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Glissements géopolitiques

David Bensoussan

L’auteur est professeur de sciences à l’université du Québec

Depuis le démantèlement de l’Union soviétique, l’hégémonie américaine s’est solidement affirmée. Toutefois, on en vint à réaliser que la puissance économique et technologique de la Chine avait été des plus sous-estimées. La compétition entre les États-Unis (ÉU) et l’Union soviétique du temps de la guerre froide a été remplacée par une compétition sino-américaine. En parallèle, la Russie tente de marquer des points sur la scène internationale pour retrouver sa stature de grande puissance et l’Union européenne (UE) essaie de faire contrepoids, mais n’arrive pas à se syntoniser à un même diapason.

 La polarisation grandissante entre la Chine et les ÉU.

Si du temps de la guerre froide la puissance se mesurait au nombre d’ogives nucléaires, la maîtrise des communications militaires est devenue un enjeu de prime importance au XXIe siècle. Qui plus est, la technologie 5G va mettre entre les mains du fournisseur de services une puissance économique bien plus importante que celle que la technologie 4 G a mis entre les mains du Gafa (Google, Apple, Facebook et autres). La technologie 5 G est au XXIe siècle ce que fut le semiconducteur au XXe siècle et l’acier au XIXe siècle.

La Chine maitrise de plus en plus de savoir-faire technologique en acquérant des compagnies de haute technologie à travers le monde. Elle a quatre fois plus de diplômés en sciences reliées au génie et deux fois plus de doctorants que les ÉU. En regard de la 5G, la compagnie chinoise Huawei dépense 20 milliards par an en recherche et développement et compte installer 100 000 stations de base pour mettre en fonction son réseau de très haute vitesse.  Son budget d’investissement pour les 5 années à venir se monte à 180 milliards.

L’une des craintes – raisonnable – exprimées par plusieurs pays est celle de l’ingérence du gouvernement chinois dans le nouveau réseau mondial. La communication quantique qui ne peut être piratée est peut-être la solution et la Chine a pris une grande longueur d’avance en ce domaine. Pour ce qui est des échanges commerciaux, les États-Unis ont imposé une taxe allant de 5 à 25% sur 200 milliards de produits importés et ont l’intention .de porter ce dernier chiffre à 300 milliards afin de réduire le déficit commercial avec la Chine. Ce pays a réagi en imposant des taxes sur 60 milliards de produits importés des États-Unis et contourne ces taxes en exportant ces produits via de nouvelles compagnies vietnamiennes.

La Russie cherche à reprendre sa place de grande puissance

La Russie de Poutine cherche à restaurer son prestige de grande puissance entaché depuis la chute de Berlin et dégradé par l’élargissement de l’Otan aux pays de l’Europe de l’Est. Elle s’affirme contre les ÉU en offrant son soutien – important, mais mesuré - à l’Iran et au régime dictatorial de Maduro au Venezuela. Sa présence militaire en Syrie a été rendue possible du fait que le président Obama s’est montré moins intéressé d’y impliquer fermement l’Amérique. Ses actions militaires en Géorgie et en Ukraine ont abouti à des sanctions européennes et américaines. Le Congrès américain a voté de nouvelles sanctions contre la Russie, ce qui a pour effet de freiner quelque peu le désir du président Trump à tourner une nouvelle page dans son rapport avec la Russie. Par ailleurs, la Russie participe à des exercices militaires conjoints avec la Chine dans le Pacifique.

Le président Poutine a réussi à trouver le point faible de la Turquie du président Erdogan : en jouant savamment la carte kurde, il a obtenu de la Turquie des concessions importantes, dont l’achat du système anti aérien russe S-400. Il affaiblit ainsi l’OTAN. En outre, il manifeste son soutien aux partis nationalistes d’Europe qui veulent se détacher du pouvoir centralisé du parlement européen, affaiblissant ainsi l’UE. La réaction américaine relativement mitigée pour l’instant serait bien plus grave si la Turquie continuait à importer du pétrole iranien et cela affecterait surement l’économie turque. Il est trop tôt pour avancer que le recul du parti AKP du président Erdogan aux élections municipales se traduira par un changement de politique dans un proche avenir, car les prochaines élections se tiendront en 2023.

L’Union européenne en quête de cohérence

L’UE est amoindrie par le Brexit. La vision du président français Macron n’est pas partagée par tous les pays membres. L’Allemagne qui a effectué un blitzkrieg économique en Europe de l’Est après la chute du Mur de Berlin est devenue le centre de gravité de l’UE. Il n’y a pas de politique militaire commune ni même de politique étrangère commune au sein de l’UE : les pays libérés du Pacte de Varsovie s’accrochent à l’OTAN et aux États-Unis ; l’Allemagne refuse à la France le droit de vendre à l’Arabie saoudite des hélicoptères qui contiennent des composantes allemandes ; la Belgique a opté pour l’avion américain F-35 alors que la France et l’Allemagne veulent développer un avion furtif qui sera prêt en 2040.

Les ténors des 5 +1 qui avaient conclu un accord pour limiter la technologie nucléaire iranienne sont devenus des 4 +1, car l’Amérique de Trump voit en cet accord une bombe à retardement pour l’an 2025.  Ils essaient de contourner l’embargo américain en tentant de dédollariser les échanges, mais échouent lamentablement. Même la Russie qui aimerait faire de même hésite à s’engager dans cette voie, car sa principale source de revenus repose sur la vente de produits pétroliers échangés en dollars.

Le cobaye canadien

Les relations entre la Chine et le Canada se sont gravement détériorées. La Chine a pris en otage des Canadiens sous des prétextes douteux après que le Canada ait répondu à la demande des États-Unis d’extrader la fille du président d’Huawei accusée d’avoir enfreint les lois américaines d’embargo contre l’Iran. Le Canada est un pays de droit et est tenu à respecter les conventions signées avec les ÉU. Si le Canada cède à la pression chinoise, tous les pays de droit seront menacés et devront obtempérer aux humeurs chinoises. La réunion du G20 a manqué une occasion historique de s’adresser à la Chine et de prendre parti pour le Canada qui n’a jamais failli à ses obligations internationales. 

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