Abdellah Ouzitane : Pour bâtir ensemble le futur, il est nécessaire d’inscrire notre Histoire dans le présent
Le Centre Abraham Zagouri valorise la mémoire coutumière et institutionnelle du droit hébraïque marocain
Inauguré officiellement le 24 février 2018 à Essaouira, le Centre Abraham Zagouri d’études et de recherches sur le droit hébraïque au Maroc est une initiative scientifique et humaine. D’après ses
initiateurs, elle conjugue fidèlement la détermination du Maroc à faire connaître ce patrimoine inestimable et à mener ainsi une réflexion profonde sur ces aspects philosophique, sociologique anthropologique
et juridique.
Pour rapprocher nos lecteurs de ce projet et d’autres
initiatives qui émergent
à Mogador, nous avons
rencontré Abdellah
Ouzitane, président
fondateur dudit Centre qui est aussi professeur
à l’Université de Bordeaux, président du Réseau des compétences franco-
marocaines du Grand
Sud-Ouest – France, chercheur en géopolitique du monde arabe et du monde musulman médiéval.
Entretien.
Libé : Terre d’accueil et d’émergence de toutes les initiatives porteuses des valeurs de partage et de cohabitation, Essaouira abrite depuis 2018 le Centre d’études et de recherches sur le droit hébraïque au Maroc. Un projet académique et culturel qui a secoué les esprits des amnésiques et résistant à la réalité pluraliste de la culture marocaine. Parlez-nous un peu de ce projet ?
Abdellah Ouzitane : Le Centre d’études et de recherches sur le droit hébraïque au Maroc a pour objet de contribuer à valoriser la mémoire coutumière et institutionnelle du droit hébraïque marocain, d’entamer des études sur la porosité du droit hébraïque particulièrement avec le droit musulman et mettre ainsi en exergue le patrimoine juridique judéo-islamique du Maroc. Mettre également en exergue la place, le rôle et l’influence de l’Ecole hébraïque andalouse, puis marocaine et enfin d’Essaouira, sur le judaïsme mondial. L’accent sera mis également sur l’étude des interférences et points de contact entre le droit juif et le droit musulman et les dynamiques de leur rencontre. Les travaux de recherches seront aussi consacrés à honorer concomitamment des juristes, juifs marocains et leurs contemporains musulmans, ayant collaboré au rayonnement d’une expérience juridique inédite en pays musulman. Notons à cet effet, que la troisième rencontre scientifique, tenue à Essaouira en décembre 2018 en présence du conseiller de Sa Majesté André Azoulay, a rendu un hommage au grand penseur et humaniste le Professeur Haïm Zafrani. Je tiens d’ailleurs à remercier vivement tous les membres fondateurs pour leur investissement pour la réussite de cette rencontre ainsi que pour le rayonnement à l’international du Centre de recherches. Toujours dans cette même dynamique de recherches, des experts ainsi que des enseignants chercheurs associés à ce projet, dont le Professeur Farid El Bacha, président exécutif dudit Centre, aborderont d’autres axes de recherches tout aussi stratégiques tels que, l’analyse des mutations socioculturelles dans le monde arabe et les relations euro- méditerranéennes, la compréhension de l’enjeu du dialogue des cultures et des religions dans l’espace méditerranéen, l’étude des éléments constituant la géopolitique de l’espace religieux avec une dimension internationale du fait religieux et de son évolution au regard des nouveaux défis contemporains.
Ne pensez-vous pas qu’il est temps de faire sortir ce débat autour des valeurs de cohabitation et de diversité des murailles de Mogador pour aller à la rencontre d’autres villes et régions du Royaume ?
Le Maroc moderne, ouvert, pluriel et uni sous la conduite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI intègre avec responsabilité l’importance majeure de l’ouverture des débats autour de la diversité culturelle tout en affirmant l’attachement aux constantes de notre nation. Essaouira, tout comme les autres villes et régions du Royaume, doivent continuer à appeler au dialogue des cultures et des religions, notamment à travers le prisme de l’altérité. La première rencontre du Forum du dialogue des cultures à Imouzzer Kandar, organisée en décembre 2018 en partenariat avec l’Association Assourif, le Centre de recherche en droit hébraïque et l’Association Essaouira-Mogador, s’inscrit pleinement dans cette dynamique globale et intégrée qui n’exclut aucune région du Royaume.
Je profite de cette occasion pour remercier infiniment les organisateurs de cette manifestation scientifique et à leur tête le président Nourredine Oulasbbas. J’ai toujours pensé que partager la connaissance et se réapproprier le passé est un bel exercice d’engagement. Inscrire notre Histoire si riche dans le présent, afin de bâtir ensemble le futur, est une nécessité absolue.
Réhabilitation de la synagogue Haim Pinto, Bayt Dakira, Centre d’études et de recherches sur le droit hébraïque … s’agit-il là d’une revivification du patrimoine juif à Essaouira?
Le Centre d’études et de recherches sur le droit hébraïque est une initiative scientifique et humaine. Elle reflète parfaitement la détermination du Royaume du Maroc à faire connaître ce patrimoine inestimable et mener ainsi une réflexion profonde sur ces aspects philosophique, sociologique anthropologique et juridique. La préservation et la valorisation du patrimoine culturel juif marocain à Essaouira et à travers le Royaume tire sa légitimité d’une profondeur historique plusieurs fois millénaire. Elle revêt un particularisme d’exception, celui d’une culture originale fondée sur le respect, la dignité, l’esprit d’ouverture et c’est ce qui explique la réussite de cette proximité extraordinaire entre le judaïsme et l’islam en terre d’islam. Le Royaume du Maroc sous la conduite de Sa Majesté le Roi, est l’exemple parfait d’une terre de paix. La très forte singularité du Royaume s’exprime à travers la grande richesse spirituelle et culturelle de l’identité marocaine dans toute sa diversité et sa pluralité.
Essaouira vient d’accueillir l’Université d’été du master du droit international, parcours droit des échanges méditerranéens, fruit d’une coopération entre l’Université Mohammed V de Rabat d’une part, et l’université de Bordeaux d’autre part. Quels sont les résultats et les perspectives de cette coopération académique ?
Ce master, mention droit international parcours droit des échanges euro-méditerranéens, est en double diplôme entre les universités de Bordeaux et de Rabat - Mohammed V (codirection assurée par les Professeurs Jean-François Brisson et Ilham Hamdai). En effet, la 1ère édition de l’Université d’été de ce master aura institué et scellé la marque et l’ADN souirie. La 2ème édition aura marqué la cité des Alizés par la tenue des premières soutenances des mémoires des étudiants de ce master, une symbolique riche de sens. Quant à la troisième, elle revêt une particularité, celle du parrainage de la promotion André Azoulay 2017-2019, un parrainage qui s’inscrit déjà dans une continuité responsable et engagée. Hormis l’aspect scientifique, ce projet porte en lui une dimension très particulière, celle du dialogue, de l’ouverture et du respect mutuel. Dar Souiri, où les travaux de l’Université d’été se sont déroulés, est un haut lieu de la transmission des valeurs universelles et humanistes et qui donnent du sens à l’avenir afin que cette histoire soit transmise et partagée avec les générations futures. A travers ce projet académique, Essaouira lance ainsi un signal fort en rappelant que la cité des Alizés demeure un véritable espace de savoir et qu’elle a toute sa place et sa légitimité dans l’enrichissement et la valorisation de la dynamique universitaire.
Propos recueillis par Abdelali Khallad
Liberation-Maroc