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La Pax Americana en question

David Bensoussan

L’auteur est professeur de sciences à l’Université du Québec

 

Il est difficile de trouver le fil conducteur d’un président qui agit et réagit par des gazouillis impulsifs. La politique extérieure de l’Amérique peut sembler parfois sensée, parfois chaotique.

Il semble bien qu’au-delà des convenances diplomatiques et politiques, et même morales, son slogan America First soit interprété à la lettre. La politique de Trump est du donnant donnant. C’est celle d’un homme d’affaires qui négocie dur, change d’avis de façon imprévisible et dont les partenaires ne savent plus quoi faire pour arriver à s’entendre avec lui.

En matière de politique étrangère, les grands problèmes de l’heure sont la nucléarisation de la Corée du Nord et de l’Iran, la pertinence de l’Alliance atlantique ainsi que la politique des faits accomplis de la Russie et ceux de la Chine dont la puissance ascendante menace la suprématie économique et géopolitique des États-Unis.   

L’Alliance atlantique

Trump fait table rase des convenances. Il a causé un grand émoi à sa première réunion de l’OTAN en omettant de citer l’Article 5 qui protège tout pays membre de l’OTAN d’une attaque qui surviendrait.

Pour Trump, les budgets de défense européens sont dérisoires et c’est l’Amérique qui porte la responsabilité de la défense du Pacte atlantique. Il est vrai que les 100 milliards de dollars investis dans la défense américaine à l’étranger profitent essentiellement à l’Allemagne, le Japon et la Corée du Sud. Ces pays investissent dans le développement de produits commerciaux qui concurrencent ou dominent le marché américain.

Or, la Russie a « grignoté » des territoires ukrainiens ; qu’en serait-il si elle s’en prenait à un membre de l’OTAN ? Sans la protection américaine, l’Europe et le Canada seraient sans moyen de défense soutenable.

Les pays de l’alliance atlantique

Source : Wikimedia Commons

 

Les « états voyous »

Trump a tenté de briser la glace avec la Corée du Nord mais sans résultat apparent. Il s’est retiré de l’accord des 5+1 portant sur les technologies nucléaires iraniennes, cet accord d’une durée limitée n’ayant eu aucun effet sur le rôle déstabilisateur de l’Iran au Proche-Orient ou sur le gel du développement de missiles balistiques. La pression des sanctions américaines a empiré les conditions économiques de ces pays, sans toutefois avoir encore eu l’effet géopolitique escompté. La Corée du Nord continue ses développements militaires et balistiques. Il en va de même pour l’Iran qui continue de déstabiliser la Syrie, l’Irak, le Liban et le Yémen.

Le Moyen-Orient

Au Moyen-Orient, Trump privilégie les pays sunnites pétroliers desquels il obtient des contrats plus lucratifs, quitte à fermer les yeux sur les souffrances de la population du Yémen. Il abandonne les Kurdes de Syrie à leur sort, causant encore plus de chaos dans la seule région relativement stable de ce pays.

Il privilégie les relations avec l’État d’Israël, le seul état stable et fiable dans la région. Il a cessé de financer des programmes destinés exclusivement aux Palestiniens au détriment de dizaines de millions de réfugiés dans le monde.

Son intention est de retirer les troupes américaines du Croissant Fertile, quitte à ouvrir toute grande la porte à la Russie pour contrôler cette région; mais il n’est guère sûr que la Russie s’en tienne au seul Croissant fertile…

La Russie

Trump tente de faire table rase du passé et de renouer avec la Russie. Cela est de bonne politique en vue d’atténuer les tensions russo-américaines et de contrecarrer la puissance chinoise émergente. Toutefois, le Congrès américain a voté des sanctions économiques contre la Russie en raison de l’invasion de la Crimée et de l’ingérence russe dans les élections américaines. Aussi la politique de chaud et de froid envers la Russie ne débouche pas sur une entente durable.

La Chine

La Chine fait montre d’agressivité envers les voisins, notamment en prenant possession et en militarisant des ilots du Pacifique. Les pays du Sud-est asiatique souhaitent une protection américaine accrue.

En outre, la puissance financière et commerciale de la Chine de même que son déploiement agressif des technologies 5G laissent prévoir une influence croissante dans les affaires mondiales. Cela peut être problématique lorsqu’on sait qu’en Chine même, l’ubiquité des caméras de surveillance, le traitement par intelligence artificielle de bases de données personnalisées et le contrôle de l’Internet limitent sérieusement les libertés individuelles. 

La Pax Americana en question

Ces dernières décennies, le leadership américain a été remis en question en raison de guerres malheureuses et perdues, du rejet des engagements en faveur du climat, de l’abandon des alliés et le non-respect des clauses encadrant le commerce international.

Pourtant, les gestes posés par Trump auraient pu être présentés différemment s’il avait pris conseil. Le scandale des pressions faites sur l’Ukraine aurait été désamorcé. La coordination avec les alliés aurait été mieux gérée.

Trump a déstabilisé les rapports internationaux en remettant en question la responsabilité disproportionnée de l’Amérique en matière de défense des pays de l’Atlantique et du Pacifique. Il n’en demeure pas moins que sous sa gouvernance, le budget de la Défense a augmenté de près de 15%.

Or, les périodes de remise en question sont propices à la prise de nouvelles initiatives. Si Trump est réélu pour un second mandat, il pourra définir ou imposer de nouvelles directions à la politique étrangère américaine. Dans le cas contraire, son successeur devra repenser le rôle des États-Unis dans le monde à la lumière des remises en question fondamentales du président Trump.

Il faut toutefois garder à l’esprit que, quand bien même l’Alliance atlantique n’a plus la même importance stratégique qu’elle avait au temps de la guerre froide, elle demeure néanmoins vitale pour préserver un ensemble de valeurs de liberté et de démocratie qui risquent d’être ébranlées par la Chine et la Russie. Ces pays au régime autoritaire n’hésiteront surement pas de profiter de la vacance qui accompagne l’isolationnisme américain pour intensifier encore plus leur prépotence.

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