Jean Daniel le Marocain
Décès à 99 ans de l’ancien directeur de publication du Nouvel
L’ancien directeur de publication du Nouvel Observateur, qui a rendu son dernier souffle le 19 février 2020, entretenait une relation d’“amitié” avec le roi Hassan II.
Juin 1970. Golda Meir, alors Premier ministre d’Israël, vient de faire capoter quelque deux mois plus tôt le sommet que Nasser avait réussi à arranger par l’intermédiaire du journaliste français Eric Rouleau au Caire avec le président du Congrès juif mondial, Nahum Goldmann. En effet, la dame de fer israélienne se refuse à ce que ce dernier représente son gouvernement auprès du «zaïm» égyptien, dont le souhait était qu’effectivement M. Goldmann se rende en qualité d’émissaire de l’Etat hébreu dans la capitale de la République arabe unie -nom officiel à l’époque de la République arabe d’Egypte-, alors qu’une guerre d’usure oppose leurs deux pays depuis près de trois ans et la défaite des armées arabes dans le conflit de 1967, la fameuse «Naksa».
Première rencontre
C’est dans ce contexte que Jean Daniel reçoit «une nuit», «à deux heures du matin » comme il le révélera plus tard dans son autobiographie La Blessure, publiée en janvier 1992 chez Grasset, un appel de Moulay Ahmed Alaoui, ministre d’État chargé du Tourisme et de l’Artisanat dans le gouvernement Ahmed Laraki. «Le ministre me demanda si je pouvais arriver à Rabat le surlendemain pour accompagner Nahum Goldmann, président du Congrès juif mondial, que le roi Hassan II désirait recevoir. Nahum Goldmann? Il était donc invité? Non, c’était à moi de l’atteindre, de lui faire accepter l’invitation et de l’accompagner au Maroc. Pourquoi s’adresser à moi? Parce qu’on me juge bien placé pour intervenir dans ce problème», écrit M. Daniel, qui deux jours plus tard, le 25 juin 1970, réussira effectivement à débarquer aux côtés de M. Goldmann à l’aéroport de Rabat-Salé et surtout, pour la première fois, à rencontrera Hassan II, dont il sera à cette occasion «impressionné par le degré d’information et les qualités d’analyste».
L’ancien directeur de publication de l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur, qui vient de rendre son dernier souffle le 19 février 2020 à presque cent ans -il devait les fêter le 21 juillet 2020- était, pour le moins, un admirateur du défunt monarque. «Hassan II a stupéfié par l’acuité de ses visions internationales. Il n’est pas un chef d’Etat, si éloigné fût-il de la monarchie marocaine, qui n’ait été impressionné par lui,» témoigne-t-il encore dans La Blessure.
L’audace du journaliste
Inversement, Hassan II parlait d’«amitié» entre lui et le journaliste, comme il qualifiera leur relation en décembre 1989 à l’émission L’Heure de vérité, sur la chaîne de télévision française Antenne 2, après que ce dernier lui ait posé la question, sans «prononcer de nom», sur la famille du général Oufkir, qui croupissait dans les geôles du Royaume depuis la tentative de coup d’Etat perpétrée par celui-ci le 16 août 1972.
D’ailleurs, Hassan II ne lui en tiendra pas vraiment rigueur et c’est à lui qu’il accorde début juillet 1999, quelques semaines avant son décès, sa dernière interview. «J’ai évidemment un regret qui concerne le temps que ces personnes ont passé en prison. Et un regret plus vif encore quand je pense aux conditions dans lesquelles elles ont été traitées,» y confie-t-il dans un ultime moment de vérité qui en dit sans doute assez non seulement sur la proximité des deux hommes, mais celle de M. Daniel plus généralement avec le Maroc, lui qui rappelons- le n’était pas moins que Maghrébin lui-même puisqu’il est issu d’une famille juive d’Algérie du nom de Bensaïd et c’est à Blida, dans la voisine de l’Est, qu’il a d’ailleurs vu le jour.