Racisme et antisémitisme en temps de Covid-19, par Marc Knobel
Lorsque l’homme est confronté à l’indicible, lorsqu’il est dépassé et atteint par des événements épidémiologiques d’une grande ampleur et/ou des catastrophes naturelles, il perd ses repères, le contrôle des choses et le monde s’écroule. Au fond, il devient vulnérable individuellement et/ou collectivement. C’est là une constante de l’humanité.
De plus, sans que forcément, nous nous en rendions compte, cette pandémie dramatique rappelle les périodes les plus sombres de notre histoire, notamment la peste noire de 1347 à 1352.
Justement, à cette époque, la peste noire avait surexcité la haine et la furie contre les Juifs. Ils avaient été accusés d’empoisonner les puits et de répandre la maladie.
Mais 668 ans plus tard, les réseaux sociaux sont les vecteurs d’accusations multiples. Là, des individus, des groupes/groupuscules délirants, diffusent ou relayent des rumeurs, des informations erronées, mensongères et trafiquées afin d’attiser la peur, tout en désignant des boucs émissaires.
« Des militants et sympathisants d’extrême droite et suprémacistes blancs »
Sans entrer dans le détail, j’ai vu ces dernières semaines, des caricatures racistes et antisémites, elles sont particulièrement ignobles. Elles ont été publiées ou reproduites, notamment sur le réseau russe VKontakte. Pourquoi VKontakte ?
Les militants d’extrême droite pullulent sur le principal réseau social russe. Là, ils sont entre eux, mais ils profitent probablement d’une certaine mansuétude des autorités russes, qui voient peut-être d’un bon œil l’arrivée de ces ennemis autoproclamés de nos démocraties.
Mais, des posts antisémites et racistes ont été publiés également sur des comptes Facebook et sur Twitter. Cela n’a rien d’étonnant, lorsque l’on sait à quel point Twitter est utilisé pour diffuser propos, commentaires racistes, antisémites et délires complotistes.
Mais, et pour une grande part, ce sont des militants ou des sympathisants d’extrême droite et des suprémacistes blancs qui ont posté ces messages. Ils sont endoctrinés et fanatisés, tant en France qu’aux Etats-Unis.
Ordinairement, les mêmes personnes, les mêmes groupes alimentent régulièrement leurs comptes de propos racistes, antisémites, xénophobes, homophobes, en les saupoudrant de théories complotistes.
La différence, cette fois, tient au fait qu’ils utilisent cette crise sanitaire gravissime pour accuser dans un premier temps les Asiatiques d’en être responsables, d’avoir provoqué ou répandu la mort. Par la suite, d’autres accusations ont été portées contre les chrétiens évangélistes.
C’est ainsi que, dans les réseaux sociaux, de nombreux internautes se sont lâchés littéralement en invectivant la communauté asiatique.
Dans les lieux publics, des personnes d’origine asiatique ont constaté des mouvements d’évitement, voire des prises à parties racistes dans certains espaces publics. Des personnes ont été injuriées dans les transports, dans la rue.
Dans un second temps, les Juifs ont été accusés de tirer profit de cette crise. Des noms ont été cités, des caricatures ont été publiées, des vidéos ont été postées. Il faut rappeler ici que le stéréotype selon lequel « les Juifs ont de l’argent » est (bien) ancré dans les esprits – et cela ne date pas d’aujourd’hui.
L’antisémitisme « économique » est une conséquence de l’antijudaïsme religieux : considéré comme le peuple « déicide », les Juifs sont mis au ban de la société par les chrétiens. Il faut rappeler également que c’est à l’orée du XIXe siècle, avec l’émergence du capitalisme industriel, que le cliché des Juifs et de l’argent s’affirme avec une nouvelle force. Les Juifs sont alors accusés d’être les promoteurs du capitalisme mondialisé. Le cliché se transforme en complot.
En temps de Covid 19, les militants d’extrême droite s’adaptent et adaptent leurs accusations récurrentes, à des fins stratégiques C’est ainsi qu’ils continuent de diffuser de la propagande, mais cette fois elle est centrée sur l’épidémie et ses conséquences.
D’expérience, ils savent que, souvent, les réseaux sociaux s’érigent en tribunaux populaires permanents, que certains thèmes deviennent viraux. Ils savent aussi que les internautes se lâchent littéralement. Que beaucoup se répandent pour chercher/trouver/désigner des fautifs, responsables, coupables, des boucs émissaires. Dans cet univers glauque, le racisme et l’antisémitisme s’alimentent donc très facilement. C’est alors une avalanche de propos violents.
De fait, les racistes et les antisémites utilisent l’irrationalité ambiante pour transmettre leur message à un large public, effrayé et en colère. C’est ainsi qu’ils espèrent capter l’attention du plus de monde possible.
Ils savent par ailleurs, que, comme les gens sont confinés chez eux, certains visionneront plus rapidement les vidéos et séquences conspirationnistes d’Alain Soral et de Dieudonné, par exemple. En temps de Covid 19, elles totalisent plus de 400 000 vues. Mais, là encore, rien d’étonnant. Traditionnellement, les vidéos de Dieudonné totalisent autant de vues, quelquefois beaucoup plus.
« Pas de remède contre la bêtise »
Dernier point et il n’est pas des moindres. Dans certains pays, des sites officiels et/ou affiliés participent généralement de la désinformation ambiante, divulguent des théories complotistes, mènent des campagnes systématiques de dénigrement et de basse propagande.
Les rumeurs et diverses manipulations se répandent sur Internet aussi rapidement que peut se répandre le virus. C’est ainsi que la question de l’origine du nouveau coronavirus en particulier alimente toutes les théories du complot et les conversations.
Cette situation est préoccupante. En temps de Covid 19, des accusations infondées et malsaines, des théories conspirationnistes se répandent, sans le moindre fondement que celui de faire du mal à des gens, eux-mêmes pourtant victimes d’une épidémie dangereuse. Les accusations mensongères et le complotisme feront alors le lit de toutes les exclusions, des discriminations et des appels à la haine.
Mais, au fond ce que révèle également cette nouvelle crise épidémiologique, c’est qu’il n’y a apparemment ni remède ni vaccin contre un autre virus, celui de la bêtise et de la haine raciste et antisémite. Et ses effets, seront peut-être dévastateurs.
Marc Knobel est historien et membre du Crif. Il est notamment l’auteur en 2013 de « Haine et violences antisémites. Une rétrospective 2000-2013 » (Berg International).