Le vocabulaire de la violence, par Jose Boublil
Quel vacarme. J'entends tous ces doigts s'agiter sur les claviers.
Les coups sont forts, énervés, ils crient au loup.
Et là, les écrans sont silencieux , mais les mots d'une grande violence.
Depuis des semaines, le peuple de France a laissé le goudron et ses gilets pour une nouvelle complainte.
Les réseaux sociaux sont devenus des espaces où les "sachant" sont plus nombreux que les savants. Je n'avais jamais imaginé qu'il y avait dans notre pays autant de médecins ou de biologistes. Il y a des médecins-coiffeurs, des médecins-vendeurs de sapes, des médecins-comptables, et même des médecins-médecins . Ceux-là sont les moins nombreux.
Tous ensemble ils veulent tout de suite un vaccin. Tout de suite un traitement. Ce n'est plus de l'urgence dont on parle, c'est de l'immédiateté . Je veux! Maintenant! Mais il n'y a pas, mon chéri.
Je m'en fiche, je veux!
Je peux m'y mettre, moi-aussi, suis-tenté de dire? Alors, moi je veux un vaccin pour la vie éternelle, et un cachet pour être jeune et beau (ça ne va pas être simple). Et si je pouvais être très bien classé au tennis, ça m'arrangerait.
Je lis, ci et là, les mails, les posts, les messages de type nouveau, où la revendication est la Chloroquine pour tous. Jamais bu. C'est bon?
"on se fiche des essais cliniques, il faut traiter à la chloroquine".
Un nom qui sonne bien, surtout pour le médecin-bijoutier ou le médecin-épicier . Pas trop difficile à prononcer, mais chic.
Le mieux reste tout de même Hydroxychloroquine, pour rester simple.
Alors là, tu t'avances, toi le médecin-commissaire aux comptes(moi): "vous savez, il y a des règles en matière de développement de molécules. On doit s'assurer que les effets secondaires ne sont pas critiques, mortels parfois. Et, même si tout le monde veut, exige , il faudra attendre". On a attendu, et apparemment le professeur Raoult n'aura pas le Nobel cette année. Je suis déçu aussi, mais tellement rassuré que cette impasse n'ait pas été faite sous la pression des médecins-glaciers à Marseille. Je reste convaincu qu'il ne s'agit pas d'une question de compétence, mais de respecter
l'ordre des choses.
Le pompon a été reçu avec les honneurs du jury par un médecin-médecin, flanqué d'un tissu indien (?) sur la bouche, "genre" les Dalton en balade , insistant à l'antenne sur l'urgence du recours à la chloroquine, alors que Raoult était tout penaud sur la même chaîne à la suite de ses essais manifestement peu discriminants. Plus royaliste que le Roi , plus médecin que le "ré-inventeur" de la chloroquine.
La complainte n'est pas terminée, évidemment. Car il n'y a pas de masques.
Celui de Zorro de l'anniversaire du petit ne suffira pas pour faire la saison.
On exige des masques, tout de suite! Il n'y en a pas. Ca ne nous intéresse pas de discuter, nous voulons des masques immédiatement; et d'ailleurs uniquement des FFP2.
Un de mes contacts, au demeurant paisible, me transfère un article où certains exigent de faire comparaître Emmanuel Macron et Edouard Philippe devant la Cour Pénale Internationale pour "crimes contre l'Humanité"..
Rien que ça. Parce que nos gouvernants n'arrivent pas à produire 66 millions de masques fois disons 20, donc 1320 000 000 masques dans les bureaux de l'Elysées, ou de Matignon; ou bien, pourquoi pas, envoyer l'armée pour dévaliser les masques en Chine. Eh bien, il n'y en a pas .
On est très ennuyé, voire triste, mais la magie ne fait pas partie des obligations de maîtrise des gouvernements.
Comme ce jour de 1961 ou 62. Nous étions en week end dans un hôtel du bord de mer. Mon père avait passé une partie de son dimanche à jouer à la belote avec ses amis, en pariant à haute voix "500-1000"( 500 pour le gain de la partie, et 1000 si les adversaires ne dépassent pas le Rubicon").Sur la route du retour, mon jeune frère, qui n'avait pas quatre ans et n'avait p&as bien compris la formule des tarifs de belote, se mit à hurler :" je veux 500 000", "papa je veux 500 000".
Cette litanie a duré près d'une heure, entrecoupée de "chéri je n'ai pas 500 000" puis "je n'ai pas 500 000" puis "y'en a marre, je n'ai pas 500 000".
On s'est arrêté 10 fois. Pour respirer. Nous en avions besoin. Et mon père, zen, qui avait de l'avance sur les lois criminalisant les fessées, respirait longtemps, fort.
Eh bien non, les amis, ils n'ont pas 5 milliards de masques. Non, il n'ont pas 5 milliards de masques. Marre, il n'y a pas 5 milliards de masques.
Bon. Des masques, on en a commandé un peu partout, mais ça n'arrive pas dans les quantités nécessaires. Combien d'étages à Matignon, à l'Elysée?
Emmanuel je saute? Attends Edouard, j'arrive.
Allez leur dire que les plaintes sont toutes aussi bruyantes et incohérentes qu'en France.
En Italie, en Espagne, en Suisse, mais aussi en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Ils sont donc tous nuls, ces dirigeants. Le tribunal d'inquisition au clavier a tranché :le Coronavirus tue.Les responsables sont donc les dirigeants du pays.
Et s'il vous plait, parlons comme le médecin-ébéniste ou le médecin-croupier, il faut dire Covid-19.
Pour les médecins-presque médecins il faut même être plus clair et parler de SARS-CoV-2 . "C'est quoi ton parcours?" "moi c'est l'Université de la vie...45 ans; la seule université qui t'apprenne la médecine, l'aéronautique, le tarot et le pointage à Pôle Emploi".
Il manquait un mot au vocabulaire de cette crise. Certains l'ont enfin apporté comme contribution pour éclairer le sujet: Ehpad . De mon temps, jusqu'à hier, je disais maison de retraite. J'y retrouvais mieux l'image d'une grand-mère aux cheveux à peine roses, tenant le joli bouquet que le petit fils lui a apporté.
L'odeur du propre, et d'un personnel dévoué. Mais depuis quelques semaines les Ehpad sont devenus, pour ces nouveaux spécialistes de la question, les lieux sales, sur-infectés, où il ne faut surtout pas aller. C'est délicat pour moi de trop insister sur ce délire de punir ces maisons, où la sécurité des résidents est une priorité absolue. Délicat parce que mon quotidien est d'aider les familles
à trouver la bonne maison pour leur parent. Juge et partie, dira-t-on.Soit.
Mais les faits sont têtus et me donnent raison.
Imaginez: un immense stade de 850 000 places, pour tous les résidentsdes Ehpad de France. Ce stade aurait un plafond, afin de mieux faire circuler les rhumes ou les virus. Le match -peu importe qu'il s'agisse de football ou de rugby- durerait plusieurs semaines. Pendant les pauses, nombreuses,
il y aurait des gens qui viendraient apporter des collations, parler un peu, la famille amènerait les petits-enfants. Une fois ce spectacle terminé, on ramènerait ces personnes dont le plus jeune a 75 ans et le plus âgé 105 ans au bercail.
Parmi eux, de nombreux sont atteints de la maladie d'Alzheimer, de Parkinson, ou sont hémiplégiques suite à un récent AVC. On attenddait qu'au retour ils fassent un 10 000 mètres tous les deux jours.
Tous les contaminés de l'Est de la France l'ont été à la suite d'un événement géant de l'église évangélique. Beaucoup de dégâts aussi après les offices de la fête juive de Pourim. Et sans doute encore bien plus dans les rangs de la plus grande religion de France, le football, où Neymar et M'Bappé ont fait venir 50 000 personnes en un seul lieu.
Je propose que ces temples soient désormais appelés Syn-Eg3-Fo. Là où le football est criminel.
Hydroxychloroquine, FFP2, SARS-CoV-2, Ehpad, Syn-Eg3-Fo, je me sens rassuré.
Mes études de médecin-coiffeur effectuées tambour battant en quelques semaines chez Jean-Louis David me permettent enfin de débattre, arguments à l'appui, sur ces questions graves. Je fais désormais partie du tribunal d'exception qui condamne.
Derrière les petits doigts boursouflés des uns, ou ceux nerveux et sales d'autres, les mains épaisses et musclées des travailleurs en usine, il y a ces bras atrophiés face au clavier. Les juges dégainent, ils condamnent. Leur intelligence et leur culture sont déposées comme gages, comme preuves à charge contre les biologistes et professeurs de médecine trop mesurés, ou contre un Etat incapable d'inventer des masques....FFP2 évidemment.
En ces jours sombres, on peut remercier François Mitterrand au moins pour une décision: l'abolition de la peine de mort.
"Deux choses sont infinies, disait Albert Einstein, l'Univers et la bêtise humaine. Mais pour l'Univers
je n'en ai pas acquis la certitude absolue".