L'ombre d'Israël derrière l'explosion d'un site nucléaire en Iran
Un mystérieux incident a endommagé un centre abritant des centrifugeuses modernes, ralentissant le programme iranien. L'État hébreu est pointé du doigt.
Par Armin Arefi Le Point
C'était au départ un incident présenté comme mineur. L'Iran avait annoncé, jeudi matin, qu'un « entrepôt sans matériel nucléaire » de sa centrale de Natanz, principal site d'enrichissement d'uranium du pays (tenu secret jusqu'en 2002, NDLR), avait été victime d'un « accident » sans gravité. Celui-ci, qui n'avait provoqué que des dégâts financiers et matériels, mais aucune pollution, et n'avait pas fait de victime, n'avait pas perturbé les activités de l'usine, avait souligné Behrouz Kamalvandi, le porte-parole de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique (OIEA).
Pourtant, les images de la télévision iranienne, ne faisant état que de dommages légers devant un bâtiment en briques endommagé, ont rapidement été démenties par des clichés satellites diffusés par les chaînes d'opposition à l'étranger. On y aperçoit un hangar totalement éventré par les flammes. « Il apparaît que c'est une explosion massive, et non un incendie, qui a touché ce bâtiment récent destiné à l'assemblage et aux tests des centrifugeuses de nouvelle génération », explique au Point Fabian Hinz, chercheur associé au James Martin Center for Nonproliferation Studies, basé à Monterey, aux États-Unis.
Ces photos ont alimenté les soupçons de la population iranienne, alors qu'une vague sans précédent d'explosions spectaculaires frappe les quatre coins du pays depuis dix jours (un réservoir de gaz industriel au nord de Téhéran le 25 juin, une centrale électrique à Chiraz le 26, une clinique de la capitale le 30 juin, et une autre centrale électrique à Ahvaz le 4 juillet, NDLR). Et soixante-douze heures après l'accident, l'ampleur de la catastrophe a finalement été admise par les autorités. Behrouz Kamalvandi, le porte-parole de l'OIEA (l'agence internationale de l'énergie atomique), a annoncé dimanche que l'incident survenu dans la centrale nucléaire de Natanz avait fait des « dégâts importants » et « pourrait ralentir » la production par l'Iran de centrifugeuses avancées. En vertu de l'accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) signé en 2015 entre l'Iran et les grandes puissances (États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume-Uni et Allemagne), la République islamique s'était engagée à n'utiliser qu'un nombre limité de centrifugeuses dites de « première génération ».
Mais depuis le retrait unilatéral des États-Unis du texte en mai 2018 et le rétablissement de sanctions américaines sans précédent contre Téhéran (alors que l'Iran respectait bien ses engagements selon les rapports de l'Agence internationale de l'énergie atomique, NDLR), la République islamique s'est affranchie d'une série de mesures prohibées telles que la production d'uranium enrichi et les activités de recherche et de développement, dont fait partie la mise au point de centrifugeuses modernes. Dans son dernier rapport publié le 5 juin, le gendarme international du nucléaire estime que le stock iranien d'uranium enrichi dépasse de presque huit fois la limite autorisée par l'accord. L'Iran assure qu'il ne souhaite pas acquérir la bombe atomique et souligne que toutes ses récentes décisions sont réversibles et ne visent qu'à accroître la pression sur les autres signataires du JCPOA afin d'alléger le poids des sanctions américaines qui étouffent son économie.
« Toutes les actions de l'Iran sont réversibles sauf le savoir-faire acquis en recherche et développement, qui ne se perd jamais, ce qui inquiète l'Occident », souligne le chercheur Fabian Hinz. « Ainsi, la destruction de ce bâtiment permet d'empêcher l'assemblage et le test de centrifugeuses modernes, et donc de freiner le programme de recherche et de développement iranien sans pour autant entraîner une escalade significative avec l'Iran ».
Jeudi, quelques heures avant l'annonce par les autorités iraniennes de l'incident, la BBC en langue persane affirme avoir reçu un communiqué de revendication émanant des « Guépards de la patrie », un groupe se disant formé de « dissidents au sein de l'appareil sécuritaire iranien ». Mais, à Téhéran, les doutes ont rapidement porté sur les « ennemis » historiques de l'Iran : les États-Unis et Israël. Dans un éditorial au ton inhabituel publié le jour même, l'agence de presse officielle Irna a fait savoir que la « stratégie » de la République islamique consistant à « empêcher toute escalade » serait « fondamentalement revue » si « des pays hostiles, en particulier le régime sioniste et les États-Unis [franchissaient] les lignes rouges fixées par l'Iran ». Et le lendemain, la piste d'un accident semble avoir été définitivement écartée, lorsque le Conseil suprême de la sécurité nationale, le plus haut organe décisionnel du pays, a indiqué avoir établi avec précision les causes de l'incident sans pouvoir les divulguer pour l'instant « pour certaines raisons de sécurité ».
Tout le week-end, les regards se sont portés sur Israël. Régulièrement menacé de destruction par les responsables iraniens, l'État hébreu, qui demeure l'un des plus grands pourfendeurs du JCPOA, a toujours fait savoir qu'il n'hésiterait pas à se faire justice lui-même si la communauté internationale échouait à empêcher l'Iran d'acquérir la bombe atomique. Déjà, en 2007, le Mossad et la CIA avaient développé Stuxnet, un ver informatique introduit dans l'usine iranienne de Natanz par un agent iranien travaillant pour les Pays-Bas. Révélée en 2010, l'attaque informatique a endommagé près d'un millier de centrifugeuses et retardé le programme nucléaire iranien d'une vingtaine de mois.
L'hypothèse d'un sabotage d'origine israélienne est d'autant plus plausible qu'Israël et l'Iran se livrent depuis plusieurs mois une véritable guerre secrète. Échaudée par les frappes israéliennes continues depuis 2013 contre des positions iraniennes en Syrie, qui ont fait des dizaines de morts dans ses rangs, la République islamique serait derrière la cyberattaque qui a frappé le réseau hydraulique israélien les 24 et 25 avril derniers. En représailles, l'État hébreu aurait paralysé le 9 mai le terminal portuaire de Shahid Rajaee, dans le sud de l'Iran, à l'aide là aussi d'une attaque informatique.
Interrogé ce week-end sur une possible implication israélienne, Benny Gantz, le nouveau ministre israélien de la Défense, a fourni une réponse pour le moins alambiquée. « Tous les incidents qui arrivent en Iran n'ont pas nécessairement quelque chose à voir avec nous », a-t-il déclaré à la radio de l'armée israélienne. « Il est préférable de ne pas mentionner nos actions en Iran », a renchéri Gabi Ashkenazi, ministre israélien des Affaires étrangères, lors d'une conférence organisée par les quotidiens Maariv et le Jerusalem Post. « Officiellement, la stratégie de l'ambiguïté est de rigueur en Israël, avec pour but de ne pas encourir de représailles de la part des ennemis ou de pressions politiques », explique au Point Ely Karmon, chercheur en problématique stratégique et en contre-terrorisme au centre interdisciplinaire de Herzliya.
Mais pourquoi frapper maintenant ? « Il existe chez les Israéliens une inquiétude grandissante quant à l'avancement des activités iraniennes d'enrichissement d'uranium, comme relevé dans le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie atomique », ajoute le spécialiste. « Si c'est bien Israël qui est derrière l'attaque, cela pourrait également s'expliquer par le fait que Donald Trump vit peut-être ses derniers mois à la Maison-Blanche et que la présence d'un président américain très favorable à Israël est importante en cas de riposte iranienne. »
Ce lundi, le New York Times a levé une partie du voile entourant l'affaire en écrivant qu'Israël était bel et bien derrière l'explosion de Natanz. Citant un responsable moyen-oriental du renseignement, le quotidien américain a indiqué qu'une puissante bombe avait été utilisée, un détail confirmé au journal par un gardien de la Révolution iranien, membre de l'armée idéologique de la République islamique. « Si Israël est vraiment derrière cette explosion, alors il ne s'agit plus d'une guerre froide, mais d'une véritable déclaration de guerre à l'Iran, dans un contexte où il a déjà assassiné des scientifiques iraniens à Téhéran, des combattants iraniens en Syrie et a mené des cyberattaques contre la République islamique », estime Hamzeh Safavi, professeur de sciences politiques et membre du conseil scientifique de l'université de Téhéran. « Si Israël en est responsable, cette attaque appelle une réponse ferme, proportionnelle et légitime de l'Iran face à cette violation de sa souveraineté nationale, pour le dissuader d'agir à nouveau de la sorte dans le futur. »
En 2010, les dommages infligés par le virus Stuxnet dans la centrale Natanz avaient décidé la République islamique à investir massivement dans le secteur de la cyberguerre. Pour viser à son tour, quelques années plus tard, Israël et les États-Unis.