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Je suis vieux de 3000 ans, en tant que juif marocain

 

Je suis vieux de 3000 ans, en tant que juif marocain

 

 

 

Dans le cadre de ce dossier sur le judaïsme au Maroc, nous avons rencontré André Azoulay qui refuse de s'exprimer ici en tant que représentant de la communauté juive mais plutôt en tant que citoyen marocain, soucieux d'une lecture sans concession de cet aspect de l'Histoire du pays.

 

Sentez-vous un changement dans les mentalités vis­-à-vis de la communauté juive marocaine?

Depuis une vingtaine d'années, nous avons heureusement changé de paradigme pour évoquer cette partie de notre histoire. Pendant trop longtemps, en effet, cette évocation a évolué entre l'amnésie, la frilosité et parfois le déni ou au mieux l'indifférence.
Ce malaise, il faut le dire, existait et s'exprimait des deux côtés, musulman et juif, pris en otages par la tragédie palestinienne et la triste litanie des rendez­-vous manqués et des opportunités gâchées qui ont malheureusement jalonnés la route de la paix. Aujourd'hui, nous sommes au Maroc dans une autre dynamique, une dynamique citoyenne, consciente et sans complexe qui a franchi un seuil historique
et irréversible avec la Constitution votée en juillet 2011 qui dit dans son préambule la place et la légitimité du judaïsme dans l'histoire du Maroc.

 

A quand remonte ce changement?

Je le situe pour ma part au début des années 1970 quand, avec quelques amis, j'ai créé à Paris le groupe Identité et Dialogue.
A cette époque, l'expression hachak lihoudi était encore monnaie courante et les Marocains de confession juive, en Europe, en Israël et ailleurs, culturellement aliénés par le Protectorat français, étaient de leur côté nombreux à changer de nom et de lieu de naissance pour se fondre dans la masse. Ce double déni était suicidaire. Identité et Dialogue en a fait son premier cheval de bataille en associant juifs et musulmans dans cette double reconquête de la dignité, de l'identité et de la vérité historique. Reconquête approfondie et confortée par notre engagement pionnier et audacieux pour l'époque, en faveur d'un État palestinien doté de tous les attributs de la souveraineté.

 

Et aujourd'hui, il existe encore des manifestations d'ostracisme ou de racisme envers le judaïsme marocain?

Peut-être, mais ce phénomène quand il existe et s'il existe, je refuse de l'identifier à mon pays. Il reste certes, quelques individus qui se veulent les champions de ce racisme qui ne dit pas son nom. Mais ils se comptent sur les doigts d'une main. L'histoire finira par leur imposer sa vérité. Ce qui compte aujourd'hui et qui est indéniable, c'est le consensus national qui n'a jamais été aussi fort, aussi serein et aussi responsable pour résister à tous les vertiges de la haine et du déni. Notre pays sait désormais se ré-approprier toutes ses histoires. Il a le talent de les additionner alors que partout dans le monde fleurit la logique de la fracture et du repli identitaire et que resurgissent toutes les vieilles peurs que l'on croyait disparues.

 

Comment mettez-vous le judaïsme marocain en perspective avec le judaïsme dans le reste du monde?

De façon très simple. Je revendique d'abord la profondeur de mes racines. Je suis vieux de presque trois mille ans en tant que Marocain de confession juive. Je n'ai donc ni complexe ni état d'âme. Ensuite, je m'inscris dans un livre d'histoire dont j'assume le fait que toutes les pages n'étaient ni roses ni idylliques et je veux en parler moi -même, ne laissant à personne d'autre le soin de me les conter pour me démontrer que mon engagement serait celui du mythe soigneusement entretenu, de la complaisance, de l'ignorance ou de la naïveté. Je revendique la totalité de mon histoire, dans ses pages heureuses comme dans ses heures difficiles.
S'agissant du judaïsme marocain par rapport au judaïsme dans le monde, allons au plus simple. Entre l'inquisition espagnole et la tragédie nazie, plus de 10 millions de juifs ont péri par l'épée ou par le feu sur les terres occidentales au nord de la Méditerranée. Pendant ces cinq siècles, c'est en Islam et notamment dans notre région, en terre arabo-berbère, que les juifs pourchassés ont trouvé refuge, solidarité et humanité.

 

Quelles sont les grandes figures du judaïsme marocain qui vous ont marqué?

Elles sont en général celles qui ont marqué de leur sceau l'espace culturel de notre pays. Je pense d'abord à mon très cher ami aujourd'hui disparu, Edmond Amran Elmaleh dont on n'a pas fini de découvrir la profondeur et la très forte singularité de son œuvre littéraire, philosophique et artistique. Amran était un écrivain au nationalisme orgueilleux, intransigeant et qui a su écrire les plus belles pages que je connaisse sur le Maroc, ses terroirs, ses artistes et bien sûr, sur Essaouira.

J'ai également beaucoup de respect pour l'œuvre historique de Haïm Zafrani, une autre figure emblématique de la communauté juive d'Essaouira, lui aussi disparu et dont l'immense travail anthropologique et sociologique a été décisif pour redonner ses lettres de noblesse et son entière légitimité au judaïsme maghrébin.
Ami Bouganim enfin, lui aussi écrivain, historien et sociologue, lui aussi natif d'Essaouira et que je considère comme l'auteur le plus brillant et le plus élégant de sa génération. Du Cri de l'arbre aux Récits du Mellah, son œuvre dit son amour et aussi ses espérances encore en devenir pour Mogador, pour Essaouira.

 

Il y a aussi David Yulee, un autre Marocain originaire d'Essaouira dont la saga américaine est impressionnante
En effet, saga impressionnante et histoire exaltante pour qui veut bien s'y intéresser. David Yulee a été en effet le premier élu de confession juive de l'histoire des Etats- Unis et il a été l'un des rédacteurs de la première Constitution américaine. Son père, qui avait quitté Essaouira au début du XIX' siècle, avait déjà marqué la scène politique de l'époque en écrivant et publiant le premier livre abolitionniste de l'histoire des Etats-Unis. Ce combat contre l'esclavagisme et le racisme a été poursuivi par son fils David, qui a déposé devant le Sénat américain de l'époque le premier projet de loi demandant la fin de l'esclavage.

 

Peu de Marocains et d'américains connaissent cette histoire
Oui et c'est bien regrettable. J'ai toujours dit
et souvent appelé à cette ré-appropriation collective de notre mémoire historique. La citoyenneté se forge par ceux qui acceptent, en toute conscience, d'être les sujets avertis de leur propre histoire. Comme
l'a si bien dit Fernand Braudel: «Avoir été est une condition pour être ... » t

PROPOS RECUEILLIS PAR SAMI LAKMAHR

Je suis vieux de 3000 ans, en tant que juif marocain

Commentaires

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Coucou Rita

Je suis en phase avec toi sur le fonds, je n'ai pas voulu remettre en question la pensée de fonds d'A. Azoulay, loin de là.

J'ai mis l'accent sur deux points précis.

J'aurai souhaité que d'autres personnes impliquées et concernées se joignent à cette réflexion comme pour un "think tank" dont les juifs du Maroc dans le monde ont bien besoin. Appartenir à notre communauté devrait générer un statut social valorisant, nous avons tant de valeurs inédites à défendre et à mettre en avant.

Enfin, ne jamais ignorer nos origines c'est mieux tracer les nouveaux sentiers de notre combat aux côtés de nos amis marocains musulmans afin de continuer de vivre avec eux une coexistence pacifique.

Pour finir, mon grand regret puise dans l'absence dans les annales marocains et dans les manuscrits scolaires de cette omniprésence trois fois millénaire des juifs au Maroc. A croire que cela arrange les nouveaux gouvernants au Maroc. Il n'y a que le Roi du Maroc Mohammed 6 de par sa conscience et ses denirs personnels (20 Millions de Dollars US $ investis dans la restauration des cimetières et certaines synagogues) qui soit impliqué dans le sauvetage de ce qui reste de notre judaïsme au Maroc bien plus que les 2000 juifs restés au Maroc et leurs dirigeants.

A toi, Bisous

Arrik

Il bien réducteur que Mr Azoulay ne rappelle que 3 personnages juifs d’origine marocaine alors que des centaines d’autres encore vivants dans les lieux de « dispersion » et très actifs pour leurs nombreuses productions intellectuelles et littéraires méritent d’être cités et honorent la communauté des juifs du Maroc et celle de diaspora. C'est grâce à ces très nombreux intellectuels que l'histoire parvient à conserver les vestiges d'une époque si ce n'est d'une ère toute entière.

La société Juive Marocaine n’était-elle pas essentiellement une société religieuse ? sa créativité intellectuelle a trouvé en grande partie son expression dans les sciences rabbiniques. Les yeshivot au Maroc se développaient localement autour de personnalités connues pour leur réputation en tant que grands savants et leaders spirituels. Ainsi, à Meknès, plusieurs grands rabbins avaient attiré autour d'eux bon nombre d'étudiants illustres.

L'éducation Juive au Maroc suivait, dans ses grandes lignes, le programme idéal tracé par toutes les autorités Sépharades du Moyen - âge. Elle commençait par la Bible, au niveau du Talmud Torah, et finissait par l'étude approfondie du Talmud, de la Halakha et des commentaires bibliques. Ainsi, l'étudiant Juif commençait, au Maroc, l'étude de la Mishna, de la Guémara, avant d'arriver à la Yeshiva.

Enfin, Edmond Amran Elmaleh est inconnu au bataillon hors des frontières du Maroc et notamment en Israël où plus de 850 000 juifs aux origines marocaines vivent encore par rapport aux 2 000 âmes juives vivant à ce jour au Maroc.

Il se contente enfin de rappeler l’unique ville Essaouira (autrefois Mogador) en vidant le Royaume du Maroc de son contenu cad de ses villes avec un point unique sur la carte géographique indiquant sa ville natale et préférée.

Du même coup il achève Marrakech et son passé trois fois millénaire, Sefrou , pépinière de rabbins, a été la ville la plus intéressante et de loin la Cité millénaire, qui a pourtant failli à sa mission culturelle. Celle-ci devient prospère dès le XVII° siècle et intéresse presque tous les domaines de la science et des lettres. De nombreuses publications témoignent de la vitalité de la culture Juive à Sefrou. Avec l'installation du Protectorat, la culture et l'enseignement de type européen deviennent les principaux bénéficiaires des nouvelles conditions politiques. La vénération d’une grotte à Sefrou, par les juifs (Kef Lihoud) et de la même grotte par les musulmans (Kef el 'eubbâd).

La communauté juive de Fès se distingua, dès le Moyen-âge, par ses nombreux « maîtres dont la production littéraire couvrit, bien entendu, les disciplines « traditionnelles telles que : exégèse biblique et talmudique, commentaires mystiques, « ouvrages de jurisprudence, recueils de piyyutim etc. et aussi les sciences profanes, « à savoir, la philosophie, l'astronomie, la médecine ou les mathématiques. Dans son « ouvrage Malkhe Rabbanan (Jérusalem, 1931), le rabbin Joseph Benaïm (1882-« 1961) dressa une liste d'un millier d'ouvrages de rabbins Marocains…« « …Certes, en raison de l'absence d'imprimerie hébraïque dans le pays, la plupart des « livres furent publiés à titre posthume. D'autres restèrent à l'état des manuscrits « quand ils ne furent pas déposés, par ignorance, dans des genizot où ils se « détériorèrent… » « …Faute de place dans les appartements et les appartements et les lieux d'étude, les « livres furent fréquemment empilés, sans ordre, et devinrent la proie des vers et « autres parasites. Parfois, ils finirent dans les flammes, lors des sacs des quartiers « Juifs… » « …De nombreux rabbins, en effet, réussirent à expédier leurs écrits à l'étranger pour « les éditer ou n'hésitèrent pas à se déplacer en personne dans ce but. Ce fut le cas, « entre autres, des rabbins Samuel Hagiz et Aharon Aben Hayyim qui quittèrent Fès « respectivement en 1590 et en 1608 et se rendirent à Livourne... «

Et Tanger et d’autres villes encore etc…produisant des rabbins, érudits, littérateurs, philosophes etc…

Peut-on à l’occasion rappeler de grandes figures comme :
• le Nobel de physique attribué, mardi 9 octobre à Stockholm, au Français Serge Haroche (Ecole Normale supérieure, Collège de France) pour ses travaux sur la physique quantique et les photons, né né le 11 septembre 1944 à Casablanca et fils d'un père juif marocain, qui exerce la fonction d'avocat, et d'une mère juive d'origine russe, enseignante, Serge Haroche quitte le Maroc en 1956, quand ce pays, jusque-là protectorat français, obtient son indépendance.

• Le démocrate Marc Lasry, propriétaire d’Avenue Capital, l’un des hedge funds les plus rentables des Etats-Unis, et proche de Bill Clinton, venant renoncer au poste d’ambassadeur des Etats-Unis en France, né à Marrakech et vivant à NYC considéré comme la 1° fortune juive marocaine à NYC dépassant le 1,5 Milliard de US $
La liste est très longue mais je ne peux tout énumérer ici
Il faut donc rendre à César tout ce qui lui appartient !

Arrik Delouya

Je suis surpris de constater que tous les Juifs remarquables , cites par André Azoulay , soient originaires d'Essaouira.
Mogador-Essaouira serait elle , comme Perpignan , le centre du monde , ou tout au moins du Maroc ?
Plus sérieusement , Juif Marocain depuis 3000 ans , peut être , mais aussi et surtout DHIMMI , depuis tout ce temps , citoyen de seconde zone , c'est sur...
Je suis né au Maroc , j'ai vécu ce sentiment , j'ai encore et pour toujours mes amis Marocains , mais cela suffit , le mythe du paradis ancien et perdu ,
Les Juifs n'ont plus leur place , dans les pays colonises , par les hordes Arabes , vous , Juifs Marocains faites partie d'un ensemble , plus large , plus grand , plus prometteur : la Nation Juive
Rejoignez la. , sans plus tarder

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