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Un « conte de faits »

Un « conte de faits »

 

La presse l’a surnommé « le gang des Barbares ». En 2006, un citoyen français musulman d’origine ivoirienne et sa bande de banlieue a kidnappé et assassiné, dans des conditions particulièrement atroces, un citoyen français de confession juive. « J’appelle le premier Yacef, le second Élie. L’un a 25 ans, l’autre 23. J’ai réélaboré ces faits, à travers mon imaginaire, pour en nourrir une création littéraire, une fiction », explique Morgan Sportès, « seule leur logique m’intéressait, leur signification implicite : ce qu’ils nous disent sur l’évolution de nos sociétés ébranlées par la mondialisation ». Son livre « Tout, tout de suite » (Fayard) est un « conte de faits », selon son expression. Extrait.

« C’est une placette circulaire, entourée de bancs, d’arbres, de haies taillées à l’équerre. Elle se trouve à l’intersection du boulevard Desgranges, artère assez étroite qui la coupe d’ouest en est, et de la Coulée verte. La Coulée verte est un long ruban de végétation, buissons, plates-bandes, qui traverse la ville de Sceaux (92) du sud au nord. Le matin, les gens du voisinage y font leur jogging, les enfants jouent le dimanche dans ses allées gravillonnées, le soir les amoureux s’y promènent. Le quartier semble cossu… Six lampadaires, à la tombée du jour, éclairent cette placette, lui donnant des airs de scène de théâtre. Non loin de là, vers une heure du matin, la nuit du 20 au 21 janvier 2006, Ramatou K., étudiante en droit, est plongée dans son Code civil. Elle occupe un studio au troisième étage de la résidence universitaire Tocqueville.

Soudain, des cris déchirent la nuit. « Des cris de femmes stridents, des hurlements, dira-t-elle plus tard à la police, ça venait de la placette. »

– Amina ! Rapplique vite, on dirait qu’on égorge quelqu’un ! lance-t-elle à sa cousine…

Amina sort des toilettes, où elle s’était isolée pour appeler son petit ami avec son portable.

Elle aussi a entendu ces cris aigus. Les deux filles se regardent toutes deux, effrayées. L’une et l’autre ont la peau sombre, les cheveux noirs, nattés. Elles sont d’origine nigérienne, étudiantes, 20 ans. Elles révisent leur partiel de droit international.

– Ouvre les rideaux, dit Amina, ça vient de la rue, c’est tout près.

Ramatou tire les rideaux jaunes du studio. Comme aux premières loges, elles peuvent voir la placette que les lampadaires éclairent à la façon de projecteurs. Des silhouettes s’y agitent, en ombres chinoises : « Il y avait là trois ou quatre types, habillés comme des jeunes, déclarera plus tard Ramatou. L’un d’eux portait un blouson noir. Ils devaient avoir dans les 20 ans. Ils se tenaient debout autour d’une fille affalée par terre, ils lui balançaient des coups de pied dans le ventre. C’était hyperviolent. La fille semblait jeune aussi, elle avait des cheveux longs, bruns, je crois… Elle criait :

– Au secours je vous en prie, à l’aide ! »

– Il faut que je trouve le numéro de la police, dit Aida.

Elle se précipite vers le coin cuisine, fouille les étagères…

Revenant bredouille, elle dit à sa cousine :

– Fais le 18, je crois que c’est Police-secours.

Amina a toujours son petit ami au téléphone. Elle interrompt sa conversation avec lui :

– Je te rappelle, on tue quelqu’un dans la rue, faut que je prévienne la police.

Elle compose le 18. C’est sur les pompiers qu’elle tombe. Ils lui disent de faire le 17…

Un policier décroche aussitôt. Elle explique brièvement la situation. Il lui dit :

– Remettez-vous à la fenêtre et décrivez-moi ce que vous voyez !

Dans un autre immeuble, du côté opposé de la placette, Monsieur Pierre M., pharmacien, entend aussi ces cris alors qu’il regarde, sur la première chaîne, l’émission « Sans aucun doute ». Il ouvre la porte-fenêtre de son balcon. Il fait très frais. Il plaque sur sa poitrine les pans de sa robe de chambre. Les cris continuent :

– Au secours, lâchez-moi, arrêtez !

Est-ce une voix d’homme ? De femme ? Des ombres s’agitent au loin. Il entend un des agresseurs hurler :

– Maintenant j’espère que t’as compris ?

Quelques coups sourds retentissent. Les phares d’une voiture s’allument, un moteur ronfle…

Un autre témoin, Adrienne B., étudiante, marchait sur le boulevard Desgranges au même moment.

« Je revenais, avec mon petit ami, de la station de RER Robinson, dira-t-elle plus tard. On avait passé la soirée chez des copains, à Paris. Et puis il y a eu ces cris. Des cris de femme. On a vu alors, au loin, deux individus qui remontaient de la Coulée verte vers le boulevard, à hauteur de la placette. Ils transportaient une fille, l’un la tenant par les bras, l’autre par les pieds. Il devait être un peu plus d’une heure du matin. On s’est demandé s’il s’agissait d’un simple chahut ou de véritables violences…

On n’a pas alerté la police. »

Toujours postée à sa fenêtre de la résidence Tocqueville, flanquée de sa cousine Ramatou, Amina décrit au policier à qui elle parle dans son portable le spectacle qu’elle a sous les yeux :

– Un des types prend la fille par les pieds, un autre par les bras. Elle ne se débat plus, ne crie plus. On dirait qu’ils l’ont ligotée et bâillonnée. Ils la portent vers une voiture qui s’est arrêtée au milieu du boulevard Desgranges. Une Morris Cooper peut-être… L’un des types ouvre le coffre de la voiture. Ils jettent la fille dedans ».

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