Mardochée
Kebir-Mustapha Ammi
Dans son dernier roman, Kebir-Mustapha ammi recueille la confession du guide marocain qui permit au jeune et impétueux Charles de Foucauld d’explorer le sud du Maroc.
Rabbin de formation, grand connaisseur du Coran, Mardochée Aby Serour fut un grand explorateur marocain qui travailla notamment pour le compte de la Société de géographie de Paris. Après une petite période de "gloire", la guerre de 1870 et surtout la mort du consul français qui l’avait découvert feront rapidement tomber dans l’oubli ce juif marocain. Jusqu’à ce qu’un certain Charles de Foucauld l’engage comme guide afin de partir à la découverte du Maroc.
De cette expédition qui durera près d’un an, le futur ermite aujourd’hui béatifié, ramènera des carnets de route, publiés en 1888 sous le titre "Reconnaissance du Maroc". Cette publication apporta une grande renommée à son auteur. Elle fut surtout une mine d’informations qui allait servir à la conquête du Maroc et à l’établissement du protectorat français. Dans son ouvrage, le vicomte Charles de Foucauld mentionne pourtant à peine le nom de Mardochée Aby Serour. Pourquoi donc avoir ainsi passé sous silence les mérites d’un guide sans qui rien n’aurait été possible pour lui ?
La réponse est sans doute dans le roman de Kebir-Mustapha Ammi qui nous livre avec Mardochée l’autre version de "Reconnaissance du Maroc". Celle que le guide donne au seuil de sa mort, et dans lequel se dessine un autre portrait du bienheureux : d’une humeur souvent exécrable, volontiers méprisant, voire humiliant, fourbe à l’occasion.
aventure et trahison
Nous voici donc repartis en 1883 dans le sud du Maroc, sur les traces de Charles de Foucauld se faisant passer pour un juif russe répondant au nom de Joseph Aleman. Ces contrées sont en effet interdites aux chrétiens. Ce qui n’empêche pas la France, l’Angleterre et l’Espagne de se livrer à une course contre la montre pour en prendre le contrôle. Mais cette fois, c’est donc Mardochée qui tient la plume et livre ses vérités sur ce voyage. Recourant lui-même aux services d’un jeune marocain, le guide s’aperçoit vite des réelles intentions de Charles de Foucault. Il réalise en même temps la portée de sa collaboration par rapport au destin de son pays, mais semble malgré tout prendre goût à cette aventure en dépit de tous les dangers qu’elle recèle. Aventures parfois rocambolesques dont la succession fait alors penser à ces premières histoires de Tintin où le jeune reporter enchaîne les situations franchement mal engagées, mais finit toujours par s’en sortir sans que l’on sache vraiment comment... Dans cette entreprise littéraire, où l’on croise Mark Twain, c’est un émir qui réhabilite la mémoire de Mardochée, en renvoyant Charles de Foucauld à un peu plus d’humilité. "Sans lui vous ne seriez rien " lui dit-il. Le roman livre aussi des passages dont le vicomte ne s’est évidemment pas vanté dans ses récits, en décalage total avec l’homme qu’il deviendra. D’une belle écriture, très classique, l’oeuvre de Kebir-Mustapha Ammi offre aussi une fin magnifique où Mardochée demande pardon pour avoir trahi son pays.
Usé par ce voyage de près d’un an, cet homme mourra dans l’oubli et la misère à Alger le 6 avril 1886. Quant à Charles de Foucauld, après avoir retrouvé Dieu à son retour en France, et été ordonné prêtre en 1901, il finira par rendre un hommage tardif à son guide. Reparti vivre dans le désert, auprès des Touaregs, il sera assassiné à la porte de son ermitage en 1916.
Pierre Granier
"Mardochée", de Kebir-Mustapha Ammi - Ed. Gallimard, 256 pages. Paiement anticipatif, Prix : 22,75 euros port compris, à verser au compte 732-7032002-38 — IBAN BE24 7327 0320 0238 — BIC CREGBEBB de Dimanche Service, 67/2 chaussée de Bruxelles, 1300 Wavre