« Kurdistan vs Palestine », par François Margolin, le producteur des films « Peshmerga » et « La Bataille de Mossoul » de Bernard-Henri Lévy
Il est tout de même très étonnant que l’ensemble de la communauté internationale s’insurge ces dernières semaines contre le référendum qu’organise le gouvernement du Kurdistan irakien pour son indépendance, alors que, depuis des années, la même communauté internationale se bat pour imposer la création d’un Etat palestinien. C’est encore plus étonnant quand on constate que l’ensemble des pays arabes s’opposent eux-aussi à la création d’un Etat kurde, et que les centaines de milliers de militants pro-palestiniens à travers le monde ne lèvent pas le petit doigt pour les Kurdes.
Or, il s’agit, après tout, de deux causes tout-à-fait semblables: deux peuples sans Etat, dans la même région du monde, le Moyen Orient. Deux peuples qui ont été victimes de la répression des Etats sous la domination desquels ils vivaient: Egypte, Israël et Jordanie pour les Palestiniens, Irak pour les Kurdes, les Kurdes l’emportant haut la main pour avoir été, durant les années 80, victimes d’une véritable tentative de génocide de la part du régime de Saddam Hussein.
Deux peuples dont on sait pertinemment qu’en cas de vote, ils se prononceront à la quasi-unanimité pour leur indépendance.
Deux peuples chez qui le sentiment national existe depuis des décennies, les Kurdes ayant même une certaine avance puisque, si l’OLP (l’Organisation pour la Libération de la Palestine) a été créée au début des années soixante, la volonté d’acquérir un Etat de la part des Kurdes date, au minimum, de la fin du 19ème siècle et que cet Etat leur fut même promis durant quelques années par le Traité de Sèvres de 1920.
Pourquoi alors ce sentiment de “deux poids, deux mesures”? Pourquoi ce silence assourdissant? Pourquoi ces pressions de toutes sortes pour essayer d’empêcher l’organisation de ce référendum?
Le premier argument qui est avancé est que les Kurdes seraient divisés. Ce n’est pas totalement faux car les haines sont tenaces entre les deux grands partis qui tiennent le Kurdistan irakien, le PDK des Barzani et le PUK des Talabani, et je ne parle pas des problèmes – qui tournent parfois aux affrontements armés – entre le PDK et le PKK, le parti le plus influent chez les Kurdes de Turquie, et du nord de la Syrie (où il se nomme YPG). Mais, honnêtement, on ne peut pas dire qu’il règne un grand amour entre le Hamas, qui dirige Gaza, et le Fatah de Mahmoud Abbas, qui est à la tête de l’Autorité palestinienne de Cisjordanie. Et il est extrêmement probable que, si un Etat palestinien voyait le jour, cela tournerait à la guerre civile entre les deux factions.
Le deuxième argument est que les Kurdes d’Irak ne représentent qu’une minorité du peuple kurde, qui est lui-même réparti entre l’Iran, la Turquie, la Syrie et l’Irak. C’est aussi parfaitement vrai mais aujourd’hui il y a plus de Palestiniens dans le reste du monde (Jordanie, Liban, Syrie, pays du Golfe, Etats-Unis même…) que sur le territoire que revendiquent ces mêmes Palestiniens.
Le troisième argument est que la création d’un Etat kurde indépendant viendrait bouleverser l’équilibre déjà très instable des autres pays de la Région. Or, pense-t-on sérieusement que la création d’un Etat palestinien, qui réunirait des portions des territoires de l’Egypte, de la Jordanie et d’Israël ne transformerait pas radicalement la donne géopolitique et militaire, et l’équilibre précaire qui règne dans la zone?
Le quatrième argument est que cet Etat kurde créerait un précédent inacceptable en défaisant un Etat, l’Irak, qui existe depuis près d’un siècle, et qu’avaient souhaité les grandes puissances d’alors, France et Grande-Bretagne en tête, avec les accords Sykes-Picot. Mais, la création d’un Etat palestinien diviserait lui-aussi un Etat qui date de la même époque, la Jordanie, et surtout remettrait en cause un accord entre grandes puissances beaucoup plus récent – puisqu’il date de 1948 –, le vote de l’ONU, qui est à l’origine de la création de l’Etat d’Israël.
Le cinquième argument, sorti tout récemment de la poche de Donald Trump, est que la création de cet Etat favoriserait le développement du terrorisme (de Daech) dans la zone. Au-delà du caractère grotesque de l’accusation – les combattants kurdes irakiens, les Peshmergas, ont été longtemps les seuls à résister à l’Etat Islamique et même à en venir à bout, avec le soutien de la Coalition internationale – et au-delà de son caractère presqu’insultant pour un pays qui connaît moins d’attentats terroristes que la France, on peut, hélas, parier que la création d’un Etat palestinien, non seulement ne ferait pas disparaître le terrorisme au Moyen Orient, mais, au contraire, le renforcerait, vu l’état d’esprit d’un certain nombre de jeunes Palestiniens à l’égard d’Israël.
Ce n’est donc pas cela le véritable problème.
Pour beaucoup, dans les pays arabes, il est clair que les Kurdes ne sont pas des Arabes et qu’ils n’ont donc droit à aucun autre statut que celui d’un peuple soumis à l’arabisation de la Région, comme c’est le cas depuis des siècles. On peut même dire, sans trop de risque de se tromper, qu’après avoir participé à la disparition de la plupart des minorités dans la région, qu’elles soient chrétiennes, yézidis, zoroastriennes, turkmènes, etc. et à l’uniformisation de la plupart des pays de la zone sous la bannière de l’Islam, les gouvernements arabes ne soutiennent le peuple palestinien que parce qu’il est arabe, comme eux, et de plus en plus influencé par l’Islam, souvent radical. Et encore, on évitera de revenir sur une épineuse et lancinante question: l’utilisation, parfaitement hypocrite, de la “lutte du peuple palestinien” dans la propagande de ces mêmes gouvernements – depuis des décennies – pour éviter que soient abordés les problèmes de toutes natures qui hantent leurs sociétés.
Pour les grandes puissances, il est clair que le soutien permanent à la création d’un Etat palestinien est un facteur de stabilisation de la Région. Il permet de maintenir une pression politique et militaire sur Israël, sur le voisin égyptien et, bien sûr, sur les deux rivaux que sont l’Iran et l’Arabie Saoudite. N’oublions pas, par exemple, que le but (officiel) du régime mis en place en Iran par l’ayatollah Khomeiny est la conquête de Al Qods (Jérusalem, en arabe), qui ne peut se faire qu’avec la création de ce fameux Etat de Palestine.
Enfin, pour les militants de la “cause palestinienne”, il est malheureusement de plus en plus évident – même si cela n’a pas toujours été le cas et si ce ne l’est pas pour tous ses militants– que la revendication palestinienne et l’adhésion à leur cause n’est souvent que le cache-sexe d’un antisémitisme qui n’ose s’avouer et qui permet de lutter contre Israël sans penser être “contre les Juifs”.
Mais, de façon consciente ou inconsciente, il y a, bien sûr, l’idée que les Juifs n’ont rien à faire dans cette région – alors qu’ils s’y trouvaient déjà il y a 3000 ans – et qu’ils n’ont qu’à retourner dans leurs ghettos d’Europe Centrale d’où ils n’auraient jamais dû partir, s’il n’y avait eu le nazisme et la Shoah.
Le plus étonnant dans toute cette affaire est que le peuple kurde est le seul peuple de la Région qui a conservé – tout en étant très majoritairement musulman – une tradition de tolérance et d’authentique respect envers les autres religions et les minorités de toutes sortes. C’est au Kurdistan irakien, par exemple, que se sont réfugiés les Chrétiens qui fuyaient l’Etat Islamique. Ils étaient plusieurs millions.
Les Kurdes sont ainsi les seuls véritables héritiers de ce qui a fait la force, la renommée et la gloire de ce Moyen Orient qui fut – on a tendance à l’oublier – la partie du monde la plus développée quand s’y mélangeaient religions, minorités diverses et cultures venues de partout.
Il serait peut-être temps que, s’il veut réellement penser à l’avenir, le monde prenne les Kurdes en exemple, et les aide à reconstruire un Moyen Orient qui a terriblement besoin de retrouver sa splendeur d’antan.
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