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«Sans la religion, nos vies ne s’en porteraient que mieux!» Par Salman Rushdie

«Sans la religion, nos vies ne s’en porteraient que mieux!»

 

 

 

Salman Rushdie publie un conte fantastique traversé par des fanatiques religieux. L'écrivain dont la tête est mise à prix par les religieux parle de la France, du burkini et du terrorisme...

 

Salman Rushdie: «C’est l’un de mes plus grands problèmes avec la religion: considérer que la vraie vie commence après la mort ne fait que dévaluer la vie. Voilà la grande illusion de la religion»

Par Xavier Alonso

 

«Le sommeil de la raison engendre des monstres. Les caprices n°43.» C’est sous les augures de cette eau-forte de Goya que Salman Rushdie ouvre Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, son dernier roman. Inutile de compter… C’est bel et bien un coup d’œil appuyé aux Mille et une nuits. Mais pas seulement, car ce récit surréaliste aux multiples digressions questionne le présent et les errances des hommes quand ils s’asservissent aux religions.

Rencontre dans un palace parisien avec l’écrivain sans doute le plus célèbre du monde. Pour son talent mais aussi parce que depuis 1989 les obscurantistes religieux ont mis sa tête à prix. Surréaliste encore… Le dalaï-lama aussi est présent dans cet hôtel. On le lui fait remarquer: «Je l’ai manqué de peu, m’a-t-on dit. Je descendais en ascenseur pendant qu’il montait évidemment», glisse rigolard Salman Rushdie. Humour British.

Votre conte est-il une métaphore du présent? Ces fanatiques religieux sont-ils des djihadistes…

Evidemment que ce roman émerge de la situation dans laquelle nous vivons tous. Il en parle de manière métaphorique, symbolique, allégorique, mais je me fiche de l’étiquette… Dans toutes les cultures, les fables et les contes, servent à impliquer les gens dans le récit. Et c’est d’autant plus utile que le monde actuel est extrêmement bouleversé. C’est une manière d’inclure les lecteurs. Quand je l’ai commencé, il y a quatre ans, personne ne parlait de l’État islamique. La guerre que je décris est quelque chose de plus universel. La guerre de la raison contre l’irrationalité.

Votre livre est aussi un récit de l’influence de la déraison et de l’imprévisible dans l’histoire?

Exact. C’est l’une des grandes leçons qu’on apprend en étudiant l’histoire: à quel point elle est imprévisible. Pensez à la disparation de l’Union soviétique. Trois mois avant la chute du mur de Berlin qui aurait pu le prévoir. Personne! L’histoire peut changer en un clin d’œil.

Vous vous dites surpris de la résurgence du religieux dans la société. N’est-ce pas sa disparition pendant des décennies qui est surprenante?

J’ai grandi en Inde dans les années qui ont suivi l’indépendance. Les émeutes de la partition entre musulmans et hindous ont été terribles. Un million de personnes ont été tuées. Je suis né dans ce moment qui démontre le terrible pouvoir de la religion. Mais je suis imprégné de cette culture très laïque qui a émergé en Europe après la 2e Guerre mondiale. Quand j’étais à l’université, nous étions une génération politique mais qui ne savait rien de la religion. Personne n’en parlait. Aujourd’hui il y a un retour en arrière. Et je crains les calamités qui peuvent être provoquées au nom de la religion.

La France est aujourd’hui confrontée au terrorisme de ses propres enfants. N’est-ce pas déstabilisant?

C’est effectivement horrible de penser que ces jeunes gens qui ont bénéficié de tous les avantages de l’Occident choisissent la probabilité de la mort. C’est l’un de mes plus grands problèmes avec la religion: considérer que la vraie vie commence après la mort ne fait que dévaluer la vie. Voilà la grande illusion de la religion. Ils leurrent les gens en leur faisant croire que le paradis les attend juste là au détour de la rue. Ils ont tort.

Vous dites vivre désormais normalement. Comment fait-on avec la peur? Elle disparaît…

On ne peut pas oublier la peur. Il faut s’en accommoder. Savoir qu’elle est là, mais continuer à vivre! Ma première expérience de menace terroriste, c’était les attentats de l’IRA en Angleterre. Quelque fois, quelque part dans le pays, une bombe explosait et des gens étaient tués. Je me souviens avoir été très impressionné par la manière dont les Anglais, très simplement, allaient de l’avant.

C’est de l’indifférence à la peur…

La peur est paralysante. Elle nous empêche de penser clairement. Donc il faut trouver le moyen de la mettre de côté. C’est plus facile à dire qu’à faire. Il faut se convaincre que peu importe l’horreur des choses qui se passent autour de nous, il faut être en accord avec soi-même pour continuer à être soi-même.

Si vous publiiez aujourd’hui «Les Versets sataniques», pensez-vous qu’on vous accuserait d’islamophobie et de racisme?

J’ai dit cela une fois et cela a été beaucoup répété. Effectivement, il y a un changement d’attitude notamment parmi les gens de gauche. On entend désormais des voix qui argumentent en faveur de la censure, de l’autocensure. Ils avancent cette curieuse idée qu’on ne faut pas dire des choses que la communauté musulmane pourrait ne pas apprécier. Que certaines paroles sont des actes hostiles envers une minorité. A l’époque des «Versets», les critiques venaient de la droite.

Est-ce une forme de terrorisme intellectuel? La religion s’immisce partout. En France, on l’a vu avec l’affaire du burkini.

Le burkini a été une sorte d’hystérie. Je suis heureux de constater que la justice française a tranché avec intelligence. Je déteste le burkini, comme la burka, le hijab ou le niqab! Je n’aime pas qu’on enferme les femmes dans des sacs. Mais cette image du policier qui demande, en quelque sorte, à une femme de se dévêtir sur la plage était surréaliste. Le burkini est un signe de l’oppression des femmes par les hommes, mais c’est un problème social et non de police.

Reste que le religieux empiète sur le social. Et contraint les gens à se positionner sur des choses qui autrefois leur étaient indifférentes?

C’est vrai qu’on me demande de prendre position sur des tas de choses sur lesquelles je n’ai pas vraiment de point de vue. Oui, nous vivons un moment fou: c’est ce dont parle le livre.

Le livre parle aussi de l’exil dont vous êtes aussi un symbole?

Je ne me sens pas exilé. Je viens d’Inde et je peux y retourner si j’en ai envie. Aujourd’hui je vis à New York, parce que je veux habiter New York. Je ne veux être le symbole de rien du tout, je veux être romancier. Pendant toute une période de ma vie, j’ai été très lié à toutes ces questions, mais désormais je veux écrire des livres et c’est tout.

Il n’empêche que votre livre actuel est parcouru par la religion…

Parce qu’il est impossible de regarder par la fenêtre du monde et de ne pas voir que la religion est là. Assise comme un éléphant au milieu de la pièce et qui vous bouche la vue. J’aimerais ne pas écrire sur la religion mais cela impliquerait que la religion quitte la pièce. J’espère qu’elle le fera. Nos vies ne s’en porteront que mieux. J’ai une vision très négative de la religion, de toutes les religions. Les hommes devraient s’en émanciper.

Salman Rushdie, Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, Actes Sud, 324 pages (TDG)

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