À la recherche du palais du roi David
La fascination pour l’historicité de la Bible
Au début du XXe siècle, l’officier de l’armée anglaise Montague Parker alluma l’imagination des Britanniques lorsqu’il proposa d’entreprendre une expédition pour découvrir le trésor du roi Salomon. Bien des investisseurs souscrivirent à cette chasse au trésor. Parker se rendit à Jérusalem et entama des fouilles. Les images des tunnels et des blocs géants renversés au cours de l’histoire tumultueuse de Jérusalem ajoutèrent un air de mystère qui attisa encore plus l’imagination des juifs et des chrétiens de l’époque.
Parker ne faisait que suivre les traces d’éminents archéologues, dont Charles Warren qui, de 1867 à 1880, entreprit des fouilles pour la British Palestine Exploration Fund. Il fora 50 puits dans l’Ophel et relia certains d’entre eux par des galeries souterraines. Il mit à jour un tronçon de muraille byzantine datant des premiers siècles avant l’ère courante (AEC), qu’il baptisa muraille de l’Ophel. Or, Parker s’aventura à fouiller sous le mont du Temple en dépit du fait qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation de ce faire de la part des autorités ottomanes. Ses fouilles secrètes furent dévoilées et il dut s’enfuir pour éviter d’être arrêté.
Parker ne fut que l’un des nombreux archéologues qui fouillèrent Jérusalem. Le Palestine Exploration Fund, l’École Biblique et archéologique Française de Jérusalem et plus tard le British School of Archeology in Jerusalem initièrent des fouilles. Wilson et Robinson dévoilèrent les arcades qui permettaient de gravir au mont du Temple (le mur des Lamentations se continue 18 mètres plus bas que son niveau actuel). Warren creusa des tunnels le long de ce mur et fora des puits en exhumant des vestiges datant du Temple de Salomon. Il découvrit des ruines de fortification au Nord-est de la cité de David ainsi que deux tours s’élevant à 20 mètres de hauteur. Félicien de Sauley découvrit le tombeau des rois de Judée – qui est en fait celui de la reine Hélène d’Adiabène.
La résonnance qu’eurent ces premiers travaux déclencha des débats fascinants sur l’historicité de la Bible : quelle est la véracité historique du récit biblique ? Quelle fut la dimension de la ville du temps du roi David ? Où se trouvaient les murailles dont la Bible fait état ?
Pour suivre cette intrigue, il faut mettre en contexte la géographie de la Cité de David, les citations bibliques ainsi que les résultats des fouilles entreprises pendant plus d’un siècle et demi. L’interprétation des trouvailles se doit d’être prudente du fait que la ville a été détruite 17 fois et rebâtie plusieurs fois et que certaines reconstructions ont pu utiliser des ruines plus anciennes. Les déclarations ou assertions sensationnelles ont souvent dû être corrigées.
La cité de David s’étend du versant Sud du mont du Temple à la vallée de la Géhenne plus au Sud. Elle est délimitée par deux versants escarpés : la vallée de Kidron à l’Est dont le versant Sud est le mont des Oliviers et la vallée de Terraphion à l’Ouest qui débouche sur le quartier juif de la vieille ville actuelle. Entre la cité du roi David et le mont du Temple se trouve l’Ophel dans le prolongement de la pente qui mène de la vallée de la Géhenne au mont du Temple. Le mont de l’Ophel joint donc la cité de David à la muraille Sud de l’esplanade du Temple.
La cité de David existait à l’ère cananéenne, occupée par les Jébuséens. Les textes d’exécration égyptiens datant du XIVe AEC (avant l’ère courante) mettent en évidence que Jérusalem était une cité importante dans la chaîne de montagnes centrale de la Judée et de la Samarie. La ville de Jérusalem fut conquise par le roi David au Xe siècle AEC.
Son armée y parvint en s’infiltrant dans un tunnel aboutissant à la source d’eau du Gihon. Le mont Moriah ou mont du Temple fut acheté au roi jébuséen Aravna et c’est sous Salomon fils de David que le Premier Temple de Jérusalem fut construit (Samuel II, 24-24 et Chroniques I, 22-7 à 22-17).
Quelque part entre la cité du roi David et le mont du Temple se trouveraient les palais des rois David et Salomon ainsi que les murailles de la ville au Xe siècle AEC. Mais où ?
Premières découvertes
Kathleen Kenyon fut une archéologue méticuleuse. Du temps de la souveraineté jordanienne sur Jérusalem, elle entreprit des fouilles à Jéricho, à Samarie et dans la cité de David. Elle développa une approche particulièrement soignée, notant avec précaution ce que recelaient les différentes strates qu’elle exhumait. Elle découvrit que le tronçon de muraille dévoilé par Warren (la muraille de l’Ophel) se trouvait dans le prolongement de la muraille Est du mont du Temple avant de bifurquer vers le Sud-ouest jusqu’à une tour.
La base de cette tour était constituée de blocs de pierre géants hauts de 60 à 90 cm et larges de 1,2 à 2,4 m. Cette petite tour identifiée par Warren était adjacente à une tour plus large, la grande tour, haute de 20,1m. Elle se projetait plus au Sud sur près de 6m par rapport à l’axe du mur byzantin. Ces deux tours étaient érigées sur un terrain en pente de 45 degrés, ce qui devait leur donner un aspect visuel encore plus imposant par le passé.
Kathleen Kenyon put ainsi fouiller ces deux tours. L’analyse des tessons de poterie qu’elle trouva au pied des murs a montré qu’ils dataient au plus tard (terminus ante quiem) du VIIIe siècle AEC. Mais elle ne put conclure que ces deux tours existaient au Xe siècle, du temps du roi Salomon. Aussi précisa-t-elle que ces tours dataient d’une période non lointaine de celle du roi Salomon. Or Kathleen Kenyon n’avait pas noté que la muraille byzantine se continuait 3,8 mètres plus bas…
Lorsque la ville de Jérusalem passa sous contrôle israélien en 1967, des archéologues de talent commencèrent à exhumer le passé de la ville. L’espace faisant face au Mur des Lamentations fut confié à Nahman Avigad qui mit à jour des vestiges fascinants datant du Second Temple, à l’époque romaine.
Benjamin Mazar étudia la partie Sud du mont du Temple entre 1968 et 1978. Il mit à jour les murailles hérodiennes ainsi que les marches monumentales qui menaient aux portes d’accès du Temple.
Il révéla une structure de l’époque du Second Temple avec des bains rituels desservant les pèlerins venus se rendre au Temple. Cette structure est elle-même bâtie sur une autre structure du Premier Temple. Des traces d’incendie ainsi que des pointes de flèches témoignent de la destruction de la ville par le roi babylonien Nabuchodonosor en 586 AEC. En outre, de nombreux artefacts datant des ères romaine, byzantine, omeyyade et de celles des Croisés en furent exhumés.
Nahman Avigad fouilla le quartier juif de la vieille ville faisant face au Mur des Lamentations. Il mit à jour un mur de fortification datant du VIIIe siècle, des sceaux, des lampes à huile et des figurines, des chapiteaux de colonnes datant de l’époque grecque ainsi qu’une maison luxueuse de l’époque romaine incluant des jarres, des fresques et des meubles en pierre.
En 1985, Ygal Shilo identifia 16 couches d’occupation dans la partie orientale de la cité de David, la plus ancienne remontant à l’âge de Bronze tardif. Il continua les travaux de déblaiement de l’impressionnante structure en pierre à degrés entrepris par Macalister (1920) et Kathleen Kenyon (années 60). Il mit à jour une cinquantaine de sceaux, des tessons de poterie, des flèches du VIe siècle AEC, des poids étalons de pierre et des traces de meubles brûlés.
Le bois importé d’Asie Mineure et de Syrie prouve que Jérusalem n’était pas une cité isolée aux VIIIe et VIIe siècles.
Au cours de ses fouilles à l’ouest de la vallée de Hinnom, Gabriel Barkay découvrit une amulette datant du VIIe au VIe siècle, contenant la bénédiction des prêtres du Temple (Deutéronome 6-22/27).
Eilat Mazar, la petite-fille de Benjamin Mazar commença à explorer la grande tour avec son père avant d’entreprendre des fouilles dans la cité de David dans l’Ophel, de 1986 à 1987 puis en 2009.
Parallèlement, les archéologues Reich et Choukroune explorèrent le tunnel qui reliait la source du Gihon au Nord-est de la cité de David à la piscine de Siloé proche de la vallée de la Géhenne. Ce tunnel avait permis l‘approvisionnement en eau de la ville assiégée par les troupes assyriennes en 701 AEC. Depuis, un escalier menant de la piscine de Siloé au mont du Temple a été découvert et est en voie de restauration.
La cité de David
Eilat Mazar parvint à mieux délimiter le mur linéaire de 34 mètres de long et de 2,5 mètres de large (connu sous le nom de muraille byzantine), deux tours en avant d’une structure royale, une cour d’accès et une casemate. Elle découvrit dans cette structure royale divisée en trois salles 40 jarres hautes d’un demi-mètre. L’analyse de ces jarres montra qu’elles dataient du VIe ou du VIIe siècle AEC.
Dans le tunnel d’approvisionnement d’eau de la cité de David – Photo : David Bensoussan
Des inscriptions l-m-l-kh (pour le roi ou appartenant au roi) pourraient indiquer que ces jarres contenaient des produits remis par les fermiers en guise de taxe ou encore qu’elles faisaient partie d’un entrepôt destiné à desservir les pèlerins. Des bols, des lampes à huile ainsi qu’une statuette égyptienne à l’effigie de la déesse Sekhmet furent également exhumés. Ces artefacts datent de l’époque du Premier Temple tardive, mais non de celle du roi Salomon.
Entre 1986 et 1987, Eilat Mazar nettoya la structure royale et émit l’hypothèse selon laquelle la structure en pierre à degrés en constituait le soutènement. On trouva dans la structure royale d’autres jarres cylindriques hautes de plus d’un mètre et portant une inscription qui pourrait être interprétée comme : au maître boulanger. Une des jarres avait un dessin de palmier dattier et devait contenir des dattes ou du miel de dattes.
Structure en pierre à degrés – Cité de David
À l’ouest de la structure royale, là même où Kathleen Kenyon avait arrêté ses fouilles, Eilat Mazar découvrit un pavillon d’entrée avec des chambres de dimension différentes de celles de la structure royale. L’épaisseur des murs était uniforme. La symétrie de ce pavillon d’entrée rappela celle de structures quasi identiques bâties par le roi Salomon (Rois I, 9-15) et préservées dans les sites de Megiddo et de Gézer.
Vue partielle de la structure en pierre à degré – Cité de David. Photo : David Bensoussan
Les dimensions des salles et du corridor qui aboutissait au pavillon d’entrée de la cité de David étaient également comparables à celles de Megiddo. Ces œuvres ont été vraisemblablement conçues selon un même modèle ou par un même architecte. Si tel était le cas, cela signifierait que l’on se trouverait devant une structure datant du règne de Salomon. Mais les fragments de jarres dataient du IXe siècle : ce n’était pas encore le siècle du roi Salomon.
Or, des déclarations sensationnelles d’autres archéologues allaient remettre en doute l’historicité de la Bible avant même que les fouilles ne se continuent jusqu’au socle de fondation de la cité du roi David. Se pourrait-il que l’on y découvre d’autres vestiges qui dateraient du règne du roi Salomon ? Du roi David qui fit de Jérusalem la capitale du royaume ?
Le débat avec les minimalistes
Dans les années 80-90, un débat intense se déroula entre minimalistes et maximalistes de l’archéologie biblique. Certains historiens et biblistes remirent en question l’historicité des patriarches, reléguant cet épisode à la légende ou la mythologie. D’autres s’appuyèrent sur des théories sociologiques qui ignorèrent totalement la dimension théologique de la Bible. Les ouvrages de Philip R. Davies, Lester Grabbe, Keith W. Whitelam et de Thomas L. Thompson, Niels Peter Lemche – les trois derniers n’étaient pas archéologues – furent partisans d’un déni radical, allant jusqu’à déclarer que les inscriptions mentionnant le roi David trouvées à Tel Dan étaient une supercherie.
Qui plus est, certains révisionnistes allèrent jusqu’à attribuer l’écriture de toute la Bible à l’époque perse (IVe siècle AEC), niant ainsi son existence les royaumes d’Israël et de Juda. Les archéologues américains Hershel Shanks et William G. Dever s’élevèrent alors contre cette approche qui relevait de la « polémique idéologique » et qui tentait d’effacer l’histoire d’Israël.
Des minimalistes ont voulu dénigrer l’historicité de la ville du fait que la superficie des bâtiments attribuables à l’époque des rois David et Salomon est relativement modeste – et serait donc le fruit de l’imagination du narrateur biblique – oubliant que les Hébreux de cette époque étaient essentiellement des laboureurs et des pasteurs. En Israël même, l’archéologue Israël Finkelstein avança que la cité de David devait se trouver en dessous du mont du Temple.
La cité de David et le palais du roi Salomon enfin identifiés
À bout de ressources, Eilat Mazar eut une idée brillante : permettre aux visiteurs d’emprunter une passerelle au milieu des fouilles. Cela pourrait éveiller l’intérêt d’un philanthrope. Et de fait, les mécènes américains Daniel Minz et son épouse Meredith Berkman répondirent à son appel et les excavations purent reprendre en 2009.
C’est en érigeant la passerelle pour le grand public que l’archéologue Eilath Mazar mit à jour des vestiges du Xe siècle AEC en se fondant sur la datation de la poterie. Les débris de granite et un chapiteau de style proto-ionique de 1,3 mètres précédemment trouvés au pied de la structure confirment qu’il s’agit très vraisemblablement d’un palais.
À l’époque du roi Salomon, les dimensions du palais sont estimées à 48m de longueur, 35m de largeur et 27,5m de hauteur. La ville agrandie en son temps fut protégée par une seconde muraille.
En outre, 34 sceaux ont été exhumés au Sud-est du palais royal qui devait probablement être un centre d’archives (les incendies détruisent les documents, mais solidifient l’argile des sceaux). Entre autres, on y a retrouvé le sceau du roi Ézéchias et du prophète Isaïe (VIIIe siècle AEC).
Ces sceaux s’ajoutent à ceux qui furent authentifiés par l’archéologue Ygal Shilo, dont celui de Barukh Ben Neriya, scribe du prophète Jérémie (VIe siècle AEC). Un médaillon en or à l’effigie de la Ménora du Temple datant de l’époque perse sassanide (VIe siècle après l’ère courante) et des pièces en or de la même époque furent également trouvés.
Dans le monde judéo-chrétien, les découvertes archéologiques dans l’Orient ancien suscitent des débats passionnés en regard de l’historicité de la Bible depuis plus d’un siècle. Il suffit de voir des pèlerins de toutes les nations, de toutes les confessions et de toutes les langues s’aventurer non sans émotion dans les tunnels et dans les dédales des thèses relatives à la cité de David.
Jérusalem n’a pas fini de nous révéler ses secrets.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Dr. David Bensoussan est professeur d’électronique. Il a été président de la Communauté sépharade unifiée du Québec et a à son actif un long passé d’engagement dans des organisations philanthropiques. Il a été membre de la Table ronde transculturelle sur la sécurité du Canada. Il est l’auteur de volumes littéraires dont un commentaire de la Bible et du livre d’Isaïe, un livre de souvenirs, un roman, des essais historiques et un livre d’art.
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