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ÉLIETTE ABÉCASSIS, ROMANCIÈRE ENGAGÉE

ÉLIETTE ABÉCASSIS, ROMANCIÈRE ENGAGÉE

Hier Ilan Halimi, les enfants de Toulouse, Sarah Halimi, aujourd'hui, Mireille Knoll. Et demain quoi, l'Inquisition ? Éliette Abécassis énumère les faits et constate sans pathos. «Il y a une résurgence de l'antisémitisme en France. Un retour du fanatisme religieux qui rappelle l'Inquisition au Moyen Âge. Et bien pire encore, quand on en vient à tuer des enfants parce qu'ils sont juifs…» La maman, juive orthodoxe, a la voix claire. Comme si elle venait d'énoncer une banalité. Comme s'il s'agissait du résumé du Maître du Talmud, son nouveau roman historique où se mêlent complots, meurtres, dogme et fanatisme religieux. Sauf qu'il se déroule dans la France du XIIIe siècle. Cette parole dépasse en effet le cadre de la fiction. «On refuse de voir la réalité, mais elle est là. Il y a un déchirement de la communauté juive française qui n'est plus à l'aise dans le pays.» Difficile de ne pas tiquer devant la sérénité de sa vérité. Mais dans la famille Abécassis, on est maître de sa pensée. Héritage oblige ! 

De sa culture philosophique à la géographie de son appartement à Paris, situé à trois étages de celui qu'occupent son père Armand Abécassis, exégète du judaïsme, et sa mère Janine, professeur de psychologie de l'enfant, Éliette Abécassis est toujours en tête à tête avec ses parents. «La famille, affirme-t-elle, est au centre de tout.» Jusque sur la table du salon. «On est en pleine construction d'un puzzle avec les enfants», sourit la maman de deux adolescents. L'œil rieur, les cheveux lâches, couleur d'ébène, emmitouflée dans un pull noir, Éliette papillonne quand on parle de sa progéniture. La mère, comprenons-nous en dépassant le mur de livres consacrés à Jésus tapissant l'entrée de la maison, est indissociable de l'auteur, philosophe et femme engagée.

Double culture

Une fusion qui s'explique notamment en raison de sa double culture juive orthodoxe et marocaine. Éliette naît en 1969 à Strasbourg. L'enfance est studieuse. «J'ai été élevée parmi les livres, la Bible et l'étude, façonnée par une éducation assez traditionnelle et pratiquante, dans une ambiance communautaire mais ouverte à la philosophie et à la psychologie.» Les parents n'entrent pas seulement, en effet, en toile de fond dans ce décor intellectuel. «Mon père avait la passion de la transmission. Il m'a prise comme disciple et m'a donné une vraie culture en acte.» Un savoir, tient-elle à préciser, «pensant chaque situation dans le monde». Alors, la jeune Éliette dévore tout, de Fantômette à Balzac, Albert Cohen, Levinas ou encore Simone de Beauvoir et ses Mémoires d'une jeune fille rangée. Quitte à s'attirer les foudres de ses parents. «Nous étions contraints de l'enguirlander pour qu'elle consacre plus de temps et de place aux loisirs, ceux des jeunes gens de son âge», expliquait Armand Abécassis dans un entretien auFigaro littéraire , en 2014.

Le bac en poche, Éliette quitte Strasbourg pour intégrer le lycée Henri IV, à Paris. Un souvenir «terrible» pour l'auteur. «Il y avait énormément de compétition, de pression. Je me retrouvais face à mon ignorance et mon envie de réussir. C'était très déroutant!» Mais, contrairement à la majorité des élèves qui sortent pourtant de classes préparatoires, elle décroche le Graal: l'École normale supérieure et une agrégation de philosophie. L'indomptable se dirige alors vers le professorat (elle enseigne trois ans à Caen) avant de partir pour les États-Unis, à Cambridge, pour faire des recherches et nourrir Qumran, son premier polar métaphysique qu'elle compose en catimini. De retour sur le continent, Éliette cherche une maison d'édition. En vain. «Nous étions dix ans avant Dan Brown. En pleine période de l'autofiction, mon roman n'était donc pas dans la mouvance.» Le combat dure un an. Et Éliette a 27 ans, quand Qumran est enfin publié en 1996 et devient un succès en librairie avec 200.000 exemplaires vendus.

D'aucuns s'en targueraient encore aujourd'hui, mais pas Éliette. «C'est une femme très humble et cultivée, précise son ami Bernard Werber. Elle ne s'appesantit jamais sur son travail.» L'auteur, presque gênée par le rappel de cette gloire, passe vite à ses autres ouvrages:Petite métaphysique du meurtre(1998), où, nourrie des conclusions d'Hannah Arendt, elle s'interrogea sur la naissance du mal, puis La Répudiée(2000), roman inspiré du scénario qu'elle créa pour le réalisateur Amos Gitaï. Après un mariage malheureux en 2001, Éliette s'empare en féministe de la question de l'amour idéal et de l'idéal de l'amour. «Le bonheur ne réside pas dans le fait d'attendre le prince. Il faut sortir de cette vision!», tonne Éliette. Une perception qu'elle fera voler en éclats dans Et te voici permise à tout homme(2011). «Le divorce est permis dans la religion juive, mais figé dans un dogme misogyne, car les femmes ne peuvent divorcer sans le consentement de leur mari. Il faut que cela change», lance, amère, Éliette. Et de préciser: «Les rabbins ont été beaucoup plus courageux au Moyen Âge.»

Pas question toutefois de faire de ses œuvres des traités de militantisme. Éliette Abécassis est certes une femme engagée (marraine d'associations contre la garde alternée pour la petite enfance, contre la GPA), mais elle est avant tout philosophe. Et à ce titre, l'auteur pense le monde, non pas pour le rendre lisse mais pour mieux révéler les particularités et aspérités qui l'habitent. Pas étonnant donc que l'auteur ait décidé de publier avec son père Le Livre des passeurs. De la Bible à Philip Roth, trois mille ans de littérature juive(2007). Un ouvrage «luttant contre l'ignorance et ouvrant à la “sagesse des nations”», comme le pense Armand Abécassis. Après tout, lire Éliette Abécassis, c'est réfléchir sur la vie. Et bien plus encore, apprendre à vivre avec l'autre, le comprendre et l'accepter.

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