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Équité, diversité et inclusion – entre dérives et espoirs, par David Bensoussan

Équité, diversité et inclusion – entre dérives et espoirs, par David Bensoussan

 

Que se passe-t-il chez nos voisins du Sud ? Une volonté de réconciliation et de réparation des injustices du passé se manifeste à travers l’adoption d’un langage et de thèmes politiquement corrects, largement soutenue par des groupes engagés dans la justice sociale. Cependant, cela suscite des réactions de la partie conservatrice de la société et la polarisation va grandissant. Et déjà ces approches commencent à faire tache d’huile dans les pays démocratiques.

Sans être exhaustif ni même chercher à satisfaire les définitions idéales, le présent article esquisse la vue d’ensemble de ce nouveau phénomène social.

Remises en question

Le mouvement BLM (Black Lives Matter – Les vies noires comptent) s’insurge contre le racisme systémique envers les noirs et dénoncent le profilage racial et la violence policière. La culture de l’effacement (Cancel culture) vise à ostraciser des personnalités et des célébrités dont le comportement est condamnable. Ainsi, les statues de héros nationaux sont endommagées ou enlevées du fait de leurs actions discriminatoires envers les minorités. À titre d’exemple, la statue du président Jefferson a été enlevée du conseil municipal new-yorkais, car il avait eu des esclaves ; entre autres raisons dont celle du « génocide culturel » des Amérindiens, la statue du ministre canadien John A. Macdonald a été déboulonnée et décapitée à Montréal.

Le wokisme est une prise de conscience de l’injustice historique subie par les noirs et les femmes et, de façon générale, par les minorités. Y compris l’ostracisme subi par les minorités sexuelles tout comme LGBTIQA+ (lesbienne, gai, bisexuel, transgenre, intersexe, queer/questionnement, asexuel et bien d’autres termes (tels que non-binaire et pansexuel) aux États-Unis et 2ELGBTQI+ au Canada (personnes aux deux esprits, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers, intersexuées et d’autres).

À cet effet, de nombreux états censurent de façon indépendante des livres se rapportant à la race ou au sexe. L’American Library Association fait état de 1 269 demandes de censure pour l’année 2022 et recense 2 500 ouvrages qui ont fait l’objet d’un interdit. Cela comprend des ouvrages classiques tels Mark Twain (Les aventures de Huckleberry Finn), Steinbeck (Des souris et des hommes), Alice Walker (La couleur pourpre) ou même la Bible interdite en raison de certains aspects crus ou violents.

La théorie de la race critique (Critical race theory) soutient que les disparités raciales sont endémiques aux États-Unis, même dans l’esprit des personnes bien intentionnées qui tentent de s’y opposer. Selon cette théorie, le racisme est le produit de préjudices individuels qui se répercutent dans les institutions publiques.

Les libéraux de salon (Armchair liberals) sont dénoncés, car ils se veulent progressistes et égalitaires pour autant que cela ne les touche pas directement tout comme c’est le cas pour les tendances libérales superficielles caractérisées de libéralisme à l’eau de rose (pinkwashing). La micro-agression qui est une forme subtile et indirecte de condescendance envers une communauté donnée est également réprouvée.

La notion d’intersectionnalisme (intersectionnality) veut que toutes les discriminations (racisme, sexisme, transphobie, classisme…) soient reliées, aboutissant à plusieurs formes de stratification et de discrimination. Il y aurait donc une culpabilité par association, fut-elle des plus indirectes. Cela n’est pas sans évoquer la fable de l’agneau et du loup…

Sexophobie

La politique d’égalité entre les hommes et les femmes (gender politics) met à l’avant la différenciation entre le sexe de naissance et l’identité sexuelle. Les pronoms sont rebaptisés : “Elle” devient she/her/they/them et “il” devient he/him/his/they. Cette nouvelle terminologie cherche à ne pas mettre mal à l’aise des personnes qui s’identifient par (ajouter le genre d’article défini de votre choix) : genre, identité de genre, expression de genre, cisgenre, transgenre, transition de genre, dysphorie de genre, agenre, non binaire, expansif, orientation sexuelle, ou intersexe. Pour ne pas embarrasser les parents transgenres, on remplacera l’expression donner le sein (breastfeeding) par le terme allaitement de la poitrine (chestfeeding). Il a même été proposé de remplacer le vocable femme par propriétaire non prostatique (non prostate owner). Mégenrer peut donner lieu à des situations contrariantes. Il fut un temps où pour éviter toute ambiguïté, on hésitait avant d’écrire Mademoiselle ou Madame…

Réparations

Des voix s’élèvent pour exiger la réparation des torts du passé. Ainsi, l’université de Georgetown qui par le passé avait vendu 262 esclaves pour des raisons financières cherche à dédommager les descendants de ces esclaves. Un comité de réparation californien a proposé de verser 1,2 M$ à chaque descendant noir dont les ancêtres ont été esclaves. Ce ne sont là que des échantillons de mesures qui sont projetées ou prises et qui caractérisent l’état d’esprit de certaines institutions libérales.

Contrecoups

Les réactions négatives au mouvement BLM ont pris la forme du slogan All Lives Matter (« Toutes les vies comptent ») et du mouvement de défense de la police Blue Lives Matter (« Les vies bleues comptent »). Les études sur les noirs (Black studies) ont été annulées dans certaines universités. La statue de l’abolitionniste Heg (de l’époque de la guerre de Sécession) a été jetée dans un lac. Dans certains états, dont le Texas, on a interdit les ouvrages traitant du BLM, de la brutalité policière ou de l’égalité des genres. Elon Musk a décidé d’interdire le terme cisgenre sur Twitter. En Floride, la compagnie Walt Disney a décidé de relocaliser un projet de plus d’un milliard de dollars en Californie après que le gouverneur de Floride Ron De Santis a interdit l’enseignement et les discussions traitant d’orientation sexuelle dans certaines écoles élémentaires.

Du fait que l’âge moyen de la population blanche en 1980 soit passé de 30 ans à 38 ans aujourd’hui, certains conservateurs accusent les libéraux d’accélérer le processus du grand remplacement (Great replacement theory) par l’immigration non contrôlée.

Polarisation

La polarisation de la société avec ses extrémistes suprémacistes blancs et antifas (antifascistes) est notoire et déborde sur le plan politique. Au Congrès, démocrates et républicains se campent sur leurs positions et il devient fort difficile d’aboutir à un compromis. Le découpage électoral initié par les politiciens (Jerrymandering) est en marche accélérée en vue des prochaines élections.

La Cour suprême devient de plus en plus politisée. La décision de permettre l’avortement qui avait été prise en 1973 a été infirmée en 2022 (cette décision a probablement fait perdre la majorité aux républicains du Congrès). La Cour suprême a également décidé de mettre fin à la discrimination positive remettant en question une pratique qui donne plus de chances à des étudiants issus des minorités, pratique qui avait été confirmée en 1978.

Où s’en va-t-on ?

Les remises en question démontrent une meilleure sensibilité aux inégalités sociales. Il ne faut pas négliger l’influence des réseaux sociaux où des radicaux s’expriment en toute liberté (les messages centristes sont plutôt rares), dérivant vers des positions antiélitistes, antiscience et antitout et donnant une place de choix aux théories conspirationnistes les plus débridées. Cette influence fraie la voie aux politiciens populistes.

Cette remise en question systématique met en doute les vérités les plus simples, jette le doute dans les esprits et mine la confiance dans les institutions. La vérité factuelle est en péril.

Pour ce qui est des réparations, l’initiative est positive en soi, mais n’efface pas nécessairement les inégalités sociales. La France a investi des dizaines de milliards d’euros pour mieux répartir la population immigrée sur le territoire et améliorer les infrastructures des quartiers considérés comme problématiques. Cela n’a fait que déplacer le problème sans le résoudre et n’a guère empêché l’explosion de violences urbaines graves accompagnées d’incendies et de pillage. L’acceptation du prochain nécessite un état d’esprit nouveau dans la société. En outre, seule une auto-émancipation des couches défavorisées réduira les inégalités.

En toute probabilité, nous sommes en présence d’une remise en question générationnelle qui s’exprime de façon radicale à ses débuts. L’avenir nous dira si elle aura constitué un phénomène éphémère, un tournant dans les comportements sociaux ou encore une prise de conscience qui réformera certaines attitudes dans les rapports sociaux.

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