Adieu à Liliane Atlan
Liliane Atlan nous a quittés. Elle est décédée en Israël au terme d’une longue maladie, subie avec courage, auprès de ses enfants. Elle était sans contexte l’un des plus grands écrivains de sa génération.
Née à Montpellier de parents originaires de Salonique, elle était la fille d’Elie Cohen, homme d’affaires d’une générosité sans limite et qui avait soutenu à bras le corps l’école d’Orsay. Elle fut, pour un temps l’épouse d’Henri Atlan. Toute jeune fille, elle était arrivée à Orsay au début des années 50, bousculée par la vie. Alors que son intelligence ne l’y préparait guère, elle avait intégré l’enseignement à la fois traditionnel et original de Léon Askénazi, Manitou, Elle prit alors conscience avec terreur de ce qu’avait été la persécution nazie.
Mais, l’écriture poétique, le théâtre, l’opéra, la fiction romanesque lui sont apparus comme des armes nouvelles du devoir de mémoire. Il s’agissait pour elle de reconstruire, d’établir en pleine lumière la réalité transposée, des bruits, des paroles la fugace apparence de la réalité engloutie. Grâce à Liliane Atlan, la multiforme angoisse de la Shoah redit, comme le rite religieux dans sa répétition, ce que l’humanité, par la force des choses, tend à effacer de la conscience collective.
Très vite Liliane Atlan a compris que son désordre intérieur répondait au désordre du monde. Il fallait d’abord se sauver soi-même.
Ce n’est pas seulement d’avoir la vie devant soi qui rend Liliane Atlan subitement heureuse. Ainsi elle découvre ces vérités qui ne sont ni philosophiques, ni dogmatiques, ni critiques, mais venaient du fond d’une tradition millénaire. L’écrit dès lors est à l’avenant de la vérité découverte du moins en elle. Tout la ramène à la certitude que son métier, c’est l’écriture qui ne peut se constituer qu’autour du savoir ancestral et de la Shoah. L’écriture bouleversée de Liliane Atlan concerne le vrai, c’est-à-dire l’innommable. « Je ne suis pas née pour moi » écrit-elle.
Le rappel des titres de quelques uns de ces écrits se décline comme un psaume : « Monsieur Fugue ou le mal de terre » ; « Les mains coupeuses de mémoire » ; « Le rêve des animaux rongeurs » ; « Petite voiture de flammes et de voix » ; « Un opéra pour Theresine » ; « Quelques pages arrachées au grand livre des rêves ».
Mais l’écriture de Liliane Atlan n’est pas catastrophique. Une sorte d’humour traverse son œuvre, ni noir, ni désespéré, ni dérisoire. Son travail consiste en un perpétuel basculement entre l’horreur et l’émerveillement, l’incroyance et la confiance. Elle écrit « Décrétons l’état de bonheur permanent, la main sauvage qui me tenait s’est desserrée ».
Gérard Israël
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