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Antisémitisme: Joann Sfar dénonce "ces gens qui regardent ailleurs"

 

Antisémitisme: Joann Sfar dénonce "ces gens qui regardent ailleurs"

Face aux gilets jaunes infiltrés par des antisémites, l'artiste épingle ceux "qui utilisent le désespoir des gens pour attiser le fantasme sur le juif".

Par Geoffroy Clavel - HuffPost

L'inscription du mot "juif" en Allemand sur la vitrine d'une boutique parisienne a réveillé le souvenir de la Nuit de Cristal pour Joann Sfar.

POLITIQUE - Le message résonne comme un coup de colère trop longtemps retenu. "Je garde un silence de tombe depuis cette histoire de gilets jaunes. Car je sais ce qu'on va me répondre", reconnaît d'emblée le dessinateur et écrivain Joann Sfar sur sa page Facebook. Depuis la naissance de cette crise qui bouscule la France depuis presque trois mois, "la culpabilité sociale est telle sur nos chaines de télé et chez les commentateurs que n'importe quelle réaction sensée face à ces dérives passe pour un soutien au gouvernement Macron."

Pour autant, l'auteur du "Chat du Rabbin" a décidé ne de plus se taire face aux dérives antisémites, racistes et haineuses qui s'expriment en marge du mouvement. Le détonateur: un tag "JUDEN" découvert sur la vitrine d'un magasin de bagels Bagelstein à Paris ce samedi 9 février, alors que se tenait l'acte XIII du mouvement. Plus qu'une injure antisémite, un appel au réveil d'une catastrophe mondiale. "Celui qui a choisi d'écrire 'JUIF' en allemand sur cette boutique sait très bien qu'il pense aux vitrines de la nuit de cristal", prévient Joann Sfar pour qui le plus grave ne réside pas dans les intentions haineuses de son auteur mais dans leur impunité et dans l'indifférence avec laquelle elles sont accueillies.

Joann Sfar a écrit ce post Facebook samedi en fin de journée. Ce dimanche 10 février à la mi-journée, la chaîne Bagelstein a annoncé avoir déposé plainte mais aussi précisé avoir en réalité "découvert ce tag samedi matin. Il a probablement été fait dans la nuit de vendredi à samedi", selon Gille Abecassis, cofondateur de Bagelstein. Ce dernier "ne pense pas que ce soit des 'gilets jaunes'" qui aient réalisé ce tag. "Ils ont écrit ça en jaune, mais ça peut être pour l'étoile de David" que l'Allemagne nazie imposait aux juifs de porter, a-t-il souligné.

Cependant, depuis le 17 novembre dernier, des messages à caractère antisémite, raciste ou purement haineux sont visibles dans certaines manifestations de gilets jaunes, où transitent des groupuscules d'extrême gauche et d'extrême droite. Le week-end du 3 février, lors de l'acte XII, la communauté juive de Strasbourg s'était élevée "avec une forte émotion contre les propos antisémites violents proférés (...) devant la Synagogue et à l'encontre de citoyens juifs célébrant le Shabbat, fête hebdomadaire de repos et de Paix". La préfecture du Bas-Rhin avait indiqué dans un communiqué que "des propos à caractère raciste et antisémite" avaient été proférés près de la Grande Synagogue de Strasbourg.

"Jamais la culture de l'excuse ne s'est aussi bien portée"

"In ne parvient même pas à se souvenir du nombre de banderoles ou cris ou graffitis antijuifs qui ont explosé depuis le début du mouvement. Jamais une formation ou un syndicat n'a aussi unanimement refusé de réprouver de tels débordements", écrit Joann Sfar. "Ici, personne n'a rien vu, n'y est pour rien, n'en pense rien. Jamais la culture de l'excuse ne s'est aussi bien portée. Personne n'est représentant ni responsable ni comptable de rien. Je suis davantage inquiet par la multitude qui se satisfait de telles explications que par les quelques ordures qui tiennent effectivement la bombe de peinture.

"Oui, on a le droit d'être en opposition totale avec de nombreuses décisions du gouvernement actuel tout en ne trouvant aucune excuse à ceux et celles qui utilisent le désespoir des gens pour attiser, une fois encore, la haine raciale, le fantasme sur le juif, sur le franc-maçon, prétendument tous riches et puissants bien entendu, ou la haine de l'immigré", prévient-il à l'encontre de ceux qui se taisent pour ne pas s'aliéner un mouvement visant la politique d'Emmanuel Macron.

Répondant à ceux qui lui rétorquent que ces dérives ne sont pas "représentatives" des gilets jaunes, un mouvement spontané aussi hétéroclite que déstructuré, Joann Sfar oppose le silence qui accompagne ces violences. "Ce qui est représentatif, ce sont tous ces gens qui regardent ailleurs quand on écrit 'JUDEN' sur une vitrine. A croire que le connard qui taguait a fait ça à quatre heures du matin et pas pendant une manif noire de monde", s'emporte-t-il.

"Moi je ne pourrais pas faire UN PAS dans la rue aux côtés d'une clique qui ne loupe jamais une occasion de s'en prendre un coup aux migrants, un coup aux juifs, un coup aux francs maçons", dénonce-t-il avant de renvoyer la responsabilité dans le camp des personnalités et partis politiques qui soutiennent le mouvement, pour le meilleur et pour le pire. "Tous ceux que 'ça ne dérange pas', ou qui 'considèrent que le peuple a des choses à dire et tant pis si ça fait pas plaisir', vous avez un sacré mépris pour le peuple! Si vous croyez que le peuple, ce sont ces ordures, vous avez une bien basse idée du peuple français", conclut-il.

"Nettoyer nos rangs"

Face à l'antisémitisme, le mouvement des gilets jaunes se heurte aux limites de l'horizontalité qu'il revendique. Dépassés par des groupuscules aux intérêts divergents (extrême droite identitaire, mouvements néo-fascistes, groupes d'extrême gauche, milices antifascistes...), qui s'affrontent régulièrement au coeur même des cortèges, les organisateurs, dont beaucoup sont inexpérimentés, assument leur impuissance.

"Dans ces manifestations, il y a plusieurs mouvances qui reflètent notre société. L'extrême droite, l'extrême gauche, le black bloc... Moi, franchement, je découvre tout ça", confessait récemment au HuffPost Fouazi Lellouche, qui a co-déclaré et organisé certaines des dernières manifestations parisiennes.

"La situation évoque la fin de la République de Weimar", met en garde le politologue Christian Lequesne. "N'oublions jamais qu'Hitler s'est appuyé en 1933 sur ceux qui avaient le sentiment d'avoir raté leur vie pour les opposer à ceux qui l'avaient réussi. D'où la haine des juifs, nombreux d'entre eux étant des citoyens intégrés à la société qui furent rapidement accusés d'être les nantis responsables de la crise de 1929."

Des acteurs du mouvement tentent malgré tout, à leur échelle, de s'opposer aux dérives. Le 27 janvier dernier, date anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, une centaine de gilets jaunes, venus initialement faire une chaîne humaine sur la place Bellecour à Lyon, avaient marqué leur solidarité en se joignant à la commémoration des victimes de la Shoah. "Il y a des doutes qui sont permis car certains s'infiltrent. C'était une belle occasion de montrer que l'antisémitisme n'a pas sa place ici", avait alors témoigné un gilet jaune, Thomas Rigaud.

Après la publication de cet article, les Gilets Jaunes du "Collectif Rungis IDF" ont contacté Le HuffPost pour rappeler qu'ils se battaient "contre toutes les formes de discrimination et de haines raciales". "Nous en avons fait les frais à l'intérieur de notre groupe et nous les avons condamnés dès le début jusqu'à exclure un des membres fondateurs de notre groupe il y a maintenant 3 semaines", précise le collectif qui affirme s'opposer aux "idéologies nauséabondes qui ont pollué notre mouvement depuis le début".

Preuve que l'ultradroite n'est pas toujours la bienvenue chez les gilets jaunes, cette vidéo tournée à la fin de l'acte 9 à Paris par la société de production Premières Lignes. Des hommes lancent "Dieudonné président!", avant de se dire "judéophobes mais pas antisémites". Outré, un gilet jaune s'interpose et appelle à les "sortir du mouvement". Quelques jours après cette scène, ce "gilet jaune", Benjamin Belaidi, assurait à l'AFP qu'"on ne peut pas tolérer ces propos chez nous".

"C'est important d'occuper le terrain et de nettoyer nos rangs", affirmait-il.

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