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Benito et les scouts, par Thérèse Zrihen-Dvir

Benito et les scouts

Extrait du livre

Il était une fois Marrakech la juive

De

Thérèse Zrihen-Dvir

 

Avec la venue du printemps, le mouvement scout organisa un gymkhana pour tous ses adeptes juifs du Maroc. Le camp, situé aux environs de Casablanca, s’étendait sur un vaste terrain sauvage, dépourvu de végétation et coupé par une rivière. Ce rassemblement massif ralliait tous les scouts juifs du Maroc, garçons et filles, jeunes et vieux. Autobus et trains déversèrent leurs cohortes d’enfants, de jeunes hommes et jeunes femmes, caparaçonnés dans leurs uniformes et charriant de lourds sac à dos. Sous la direction de leurs guides, les différents groupes prirent possession du secteur qui leur avait été assigné et s’attelèrent au montage de leur tente.

Marie et ses collègues se débattaient en vain avec la corde et les grands piquets en fer, lesquels refusaient obstinément de percer le sol dur et sec.

« Plus fort avec ton marteau », conseilla Danièle.

« Je viens de m’écrabouiller le pouce ! » pleurnicha Laurette.

« Tes piquets ne sont pas placés correctement », suggéra une voix masculine à leur côté.

« Peux-tu faire mieux, monsieur le bêcheur ? » répliqua Marie, vexée.

« Tiens le piquet sous un angle de soixante à soixante-dix degrés par rapport au sol et frappe-le ensuite avec ton marteau. À quatre-vingt-dix degrés, tu n’y arriveras jamais. »

Totalement absorbée par ses efforts pour installer la tente, Marie négligea la présence de l’inconnu qui venait de les aider. Quand elle tourna la tête pour le remercier, elle s’aperçut qu’il était déjà loin.

Dormir à même le sol, sur des pierres saillantes, est une véritable torture. C’est comme être allongé sur un lit couvert de lames pointues dardant de tous côtés. Les couvertures légères qui leur avaient été distribuées leur tenaient à peine chaud. Marie et ses copines se soudèrent l’une à l’autre pour se réchauffer et trouver un peu de sommeil après leur exténuante journée. Au matin, Danièle, qui représentait leur groupe de cadettes au concours sportif, avait de la fièvre et était incapable de prendre part à la compétition. Léa, la cheftaine, rassembla les filles pour nommer une remplaçante.

« Écoutez-moi, leur dit-elle, ce n’est pas bien grave si nous ne remportons pas la coupe. Ce qui compte, c’est de participer au concours. Puisque Danièle était la seule à s’être entraînée, nos chances sont nulles sans elle ! Marie, peux-tu remplacer Danièle ? »

« Tu n’es pas sérieuse ! » s’exclama Marie. « Je suis le plus mauvais choix. Physiquement, je suis un vrai désastre, et de plus, je ne connais pas les règles du concours. Je deviendrais la risée de tous. »

« Personne ne te remarquera dans le tas », répondit la cheftaine.

Le temps manquait pour la controverse. Avant qu’elle ne puisse répliquer, Marie se trouva affublée d’une chemise blanche, d’un short et du foulard de son groupe, noué autour de son cou. Quelques minutes plus tard, elle se tenait debout sur la ligne de départ.

« Expliquez-moi au moins ce que je dois faire ! » supplia-t-elle sans succès.

« Tu trouveras toute seule », répondit enfin Léa. « Suis la masse et imite ce que font les autres. »

 Le gymkhana consistait en une course d’obstacles, édifiée sur le modèle du parcours du combattant et comprenant une rangée de bancs au-dessus de laquelle il fallait sauter en longueur, des barres de bois suspendues en l’air pour la marche en équilibre, de grands palmiers à escalader en s’aidant de longues cordes, des buissons d’épines sous lesquels il fallait ramper, et un grand nombre d’obstacles encore plus compliqués.

Au son strident du sifflet, la masse des filles se rua sur le premier obstacle. L’assaut fut aussi burlesque qu’inquiétant. Marie resta figée pendant une longue minute afin de considérer quelle était la meilleure trajectoire à suivre. Contrairement aux autres compétitrices, elle était très mince, fort agile et capable de se mouvoir à une vitesse surprenante. Armée seulement d’une formidable faculté d’adaptation et d’une vélocité peu commune, Marie rattrapa rapidement son retard, malgré la horde de concurrentes supérieurement entraînées. Un regard vers le sommet du premier palmier la convainquit qu’elle serait absolument incapable de l’atteindre. Après un court instant d’hésitation, elle ôta ses espadrilles et ses chaussettes et l’escalada comme un singe. Elle fut la première à atterrir sur le sol. Elle rampa prestement sous les buissons d’épines, méprisant la morsure de leurs aiguilles. La partie apparemment la plus facile du parcours était une descente dans une tranchée recouverte de sable marin glissant, d’où elle émergea en enracinant ses pieds nus au plus profond du sable chaud. Elle fut capable de se hisser au bord sans glisser, ni retomber, comme les autres concurrentes. Une fois hors de la tranchée, elle se retrouva debout, seule, face aux juges.

« Que dois-je faire, maintenant ? » leur demanda-t-elle en haletant.

« Nous amener l’emblème scout caché dans le buisson d’épines », répondit l’un d’eux.

Les yeux perçants de Marie détectèrent sans difficulté la banderole jaune et rouge profondément enfouie parmi les branches. Elle retourna sous les broussailles et l’arracha.

« Je l’ai ! » s’exclama-t-elle, « est-ce bien ce que vous voulez ? »

« Oui. Félicitations. Tu es la gagnante du gymkhana », annonça Manitou, le directeur du camp. « D’où es-tu ? » lui demanda-t-il. « Donne-moi tes coordonnées, s’il te plaît. »

 Marie haletait et son cœur battait à tout rompre. « Je vais mourir », pensa-t-elle.

Inconsciente de son état, les filles de son groupe et quelques autres parmi la foule la soulevèrent, hurlant triomphalement « Cadettes toujours victorieuses ». Elles la placèrent sur leurs épaules et paradèrent devant l’assistance. Quand Marie regagna le sol ferme, elle était blême.

« Apportez-lui un peu d’eau », recommanda Léa. « Elle n’a pas bonne mine. »

Après avoir mouillé ses lèvres, Marie demanda calmement à ses amies de la laisser se reposer toute seule sous leur tente. Inquiète, Léa hanta les parages.

L’idéologie du mouvement scout juif d’Afrique du Nord visait la création d’une nouvelle génération de jeunes juifs laïcs. Les films documentaires et les livres distribués aux enfants juifs étendaient leur compréhension des fondements idéologiques des diverses cultures, développant une conscience nouvelle, incarnée par un jaillissement de rengaines hébraïques, arabes, françaises, anglaises et hindoues chantées un peu partout autour du feu de camp. Un accueil affable et des conversations franches et ouvertes sur les différentes civilisations détruisirent les barrières psychologiques et incitèrent chacun à manifester intérêt et empathie. Malgré la place primordiale concédée à l’État d’Israël et à son apport substantiel à la vie juive dans la diaspora, ce système n’entrait pas en contradiction avec le mode de vie libéral et séculier. L’objectif essentiel du scoutisme juif était d’établir une nette démarcation entre les affaires spirituelles et culturelles d’une part, et les idéaux patriotiques d’autre part.

Allongée sous la tente, Marie attendait que ses battements de cœur recouvrent leur rythme normal. Les filles surgirent munies de plats de nourriture. À la vue des haricots cuits, Marie sourit et déclina poliment l’offre. « Y a-t-il des marchands ambulants dans les environs ? »

« Pas même leurs fantômes », répondit Danièle. « Mange au moins ton orange. Nous avons des petits pains dans nos bagages », ajouta Léa.

« Vidons nos réserves et préparons-nous un pique-nique digne de ce nom sous la tente », proposa Jocelyne.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Les filles s’offrirent un véritable festin composé de barres de chocolat, de biscuits, de fruits secs, de petits pains et, bien sûr, d’une profusion de bonbons. Ce fut le repas le plus délicieux et le plus joyeux de tout le séjour.

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