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Ce que révèle l'enquête sur le meurtre de Mireille Knoll

 

 

 

 

Ce que révèle l'enquête sur le meurtre de Mireille Knoll

 Par Jérémie Pham-Lê et Claire Hache - L'Express

 

 


Retraitée juive de 85 ans, Mireille Knoll avait échappé de justesse à la rafle du Vel' d'Hiv. Le 23 mars, elle a été poignardée à mort dans son appartement parisien par deux délinquants multirécidivistes.

[EXCLUSIF] L'Express a pu consulter le procès-verbal synthétisant les investigations sur le meurtre de l'octogénaire juive à Paris, dont le caractère antisémite a été retenu par la justice.

Ce vendredi 23 mars 2018, il est 18 h 33 lorsque Madame B. compose le "18" sur les touches de son téléphone. Elle aperçoit des flammes lécher l'appartement de sa voisine et amie Mireille Knoll, une retraitée juive de 85 ans. A l'opérateur, elle précise qu'elle a vu "deux individus" dont "un de type européen" s'enfuir de l'immeuble. Les pompiers foncent dans cette résidence HLM de la rue Philippe-Auguste (XIe arrondissement de Paris) et découvrent avec horreur une scène de crime. La vieille dame est retrouvée morte sur son lit, carbonisée sur l'ensemble du côté gauche du corps. Elle présente en outre 11 plaies -profondes de trois à quatre centimètres- provoquées par une arme blanche, surtout au niveau du dos. 

Les pompiers parviennent à éteindre les quatre départs de feu, allumés à la hâte par les auteurs. Deux sont situés au niveau du canapé du salon, l'un sur la chaise roulante qu'utilisait la victime -atteinte de la maladie de Parkinson- pour se mouvoir, le dernier dans la chambre à coucher. Par chance, l'appartement n'a pas explosé. Les experts n'ont décelé aucune trace d'essence. Les commandes de la gazinière ont certes été activées en position ouverte mais les criminels ont oublié d'ouvrir le robinet d'arrivée du gaz. 

 

Un voisin et un marginal arrêtés

Qui a tué Mireille Knoll, cette rescapée de la rafle du Vel' d'Hiv que tout le monde décrit comme "ouverte", voire "pas assez méfiante"? Pourquoi ? Les policiers du 2e district de la police judiciaire de Paris interpellent très vite deux suspects, Yacine Mihoub d'abord, puis Alex Carrimbacus. Ces deux jeunes délinquants multirécidivistes ont été mis en examen lundi 26 mars pour "homicide volontaire" à caractère antisémite et écroués. Tous deux se rejettent la responsabilité du meurtre. La synthèse de l'enquête, à laquelle L'Express a eu accès, révèle les circonstances de ce crime sordide et laisse en suspens une série de zones d'ombre. Un drame qui a provoqué l'émoi national. 

En début d'après-midi, ce 23 mars, Yacine Mihoub s'ennuie. Ce Français de 28 ans, sorti il y a six mois de prison à peine, n'a pas d'emploi. Décrit comme "solitaire" et souffrant "d'une addiction à l'alcool" par ses proches, il squatte l'appartement de son frère à la Courneuve et, surtout, celui de sa mère, qui vit cinq étages au-dessus de chez Mireille Knoll. La retraitée le connaît bien : elle l'a vu grandir et s'enquiert souvent de ses nouvelles. Alors lorsque ce dernier, veste blanche sur le dos et jean bleu, frappe à sa porte pour boire des verres de porto "Romanetti Rosso", elle l'accueille à bras ouverts. Certes, Yacine Mihoub a été condamné pour avoir agressé sexuellement, en février 2017, la fille de son aide-soignante, âgée à peine de douze ans. Certes, il a aussi été poursuivi pour des faits de "violences" et de "menaces de morts", notamment lorsqu'il a "menacé de faire sauter le Monoprix" d'où il a été licencié. Certes, il a fait un séjour à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris en août 2014. Mais après ? Mireille Knoll, qualifiée d'un peu trop "naïve" par son fils, croit au pardon : elle a même adressé des mots de mansuétude à la justice lorsque Mihoub a été incarcéré ! 

Deux versions opposées en garde à vue

Dans l'appartement de la retraitée, le jeune délinquant s'enivre au point de vider "les trois quarts" de la bouteille seul. Sont également présents Alain Knoll, fils de la victime, ainsi que l'épouse du second fils. Eux se méfient de Mihoub comme de la peste. Devant les enquêteurs, la belle-fille de Mireille Knoll dira être troublée par "l'apparence décontractée" du suspect et le sans-gêne dont il fait preuve. Selon ses dires, "il la suivait avec insistance dans l'appartement tout en consommant du porto". A l'arrivée de la femme de ménage, Mihoub est prié de déguerpir pour que la vieille dame puisse faire ses courses. Ce dernier s'exécute. 

En l'absence de témoins, la suite est plus confuse. Le jeune homme semble être rentré chez sa mère pour déjeuner avant de refaire une apparition chez Mireille Knoll en fin d'après-midi. Toujours est-il qu'il se trouve seul avec l'octogénaire dans l'appartement modeste lorsque, avec le téléphone fixe de la victime, il prend contact avec Alex Carrimbacus. Ce dernier, un marginal surnommé "Le Marseillais" qu'il a rencontré en prison, n'a que 21 ans. Mais son casier judiciaire est déjà long comme le bras. En garde à vue, les deux comparses ont tenu deux versions radicalement opposées. Après avoir prétendu qu'il avait accepté de se rendre chez Mireille Knoll uniquement pour "fumer un joint" et rapporter une nouvelle bouteille de porto, puis qu'il s'était éclipsé avant le meurtre, Alex Carrimbacus livre des éléments décisifs. Selon lui, Mihoub l'a appelé pour cambrioler la retraitée juive, qui vit pourtant chichement. "Une fois sur place, Yacine Mihoub l'incitait, au prétexte d'un appel téléphonique simulé, à parcourir l'appartement à la recherche de vêtements ou d'objets de valeur. Alors que Madame Knoll se rendait aux toilettes, les deux comparses s'emparaient de boîtes à bijoux dorés, de petites horloges et d'un chéquier", retranscrivent les enquêteurs dans leur rapport. 

"Il indiquait que Yacine avait parlé des juifs avec Madame Knoll"

Là, toujours selon la version de Carrimbacus, Mihoub suit Mireille Knoll dans sa chambre. "Le Marseillais" dit alors avoir entendu la retraitée hurler. Puis avoir aperçu son complice "porter des coups de couteau à la gorge" de la victime en criant "Allah Akbar [Dieu est grand en arabe]" et "en l'étranglant". Interrogé sur l'éventuel caractère antisémite du crime, Carrimbacus tient des propos contradictoires devant les policiers. "Il indiquait que Yacine avait parlé des juifs avec Madame Knoll avant les coups mais que lui n'avait pas fait le rapprochement avec le fait qu'elle était juive", écrivent les limiers de la PJ. Carrimbacus ajoute encore plus à la confusion lorsqu'il est interrogé sur le mobile du meurtre : selon lui, Yacine Mihoub était "décidé à tuer" Mireille Knoll parce qu'elle "l'a dénoncé à la police pour un trafic d'armes" et qu'à cause d'elle, "il n'avait pas pu se rendre à l'enterrement de sa soeur". Des déclarations qui n'ont pas encore pu être confirmées par l'enquête. 

De son côté, Yacine Mihoub rejette la faute sur son ancien ami. Selon les confidences qu'il a livrées à son frère le soir du meurtre et ses propos en garde à vue, Carrimbacus a commencé à fouiller sans aucun scrupule le mobilier de la retraitée pour chercher de l'argent. Ce dernier se serait ensuite saisi d'un couteau dans la cuisine avant de pénétrer dans la chambre de l'octogénaire et d'y ressortir en lâchant : "Ça y est, c'est fait". Mihoub prétend qu'il a aussitôt quitté la pièce pour "vomir" pendant que son complice mettait le feu à l'appartement avec "un briquet de marque Bic". Là encore, sur la connotation antisémite du meurtre, Mihoub évacue net le sujet : il affirme que les origines juives de Mireille Knoll n'ont pas motivé le geste de Carrimbacus. Que ce dernier n'était d'ailleurs "sûrement pas" au courant de la confession de la victime. "C'est un crime sordide, d'une cruauté inouïe, tempête Gilles-William Goldnadel, avocat des enfants et petits-enfants de Mireille Knoll. Ce drame rappelle les pogroms, lorsque vols et violences contre les juifs allaient de pair. Il faut avoir une faible moralité et une bestialité particulière pour commettre un tel acte." 

Qui des deux voyous a porté les coups mortels ? La justice l'ignore encore. Les enquêteurs ont bien retrouvé deux couteaux, l'un caché dans la chambre de Yacine, l'autre à l'hôtel du XIIIe arrondissement où résidait de temps à autre Carrimbacus. Ils comptent sur l'analyse ADN pour se faire une idée. A moins que l'arme du crime ait été nettoyée, comme le prétend l'un des deux mis en cause... Yacine Mihoub et Alex Carrimbacus sont aujourd'hui tous les deux en détention provisoire, le premier à Fresnes (Val-de-Marne), le second à Fleury-Mérogis (Essonne). 

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