Ces Juifs qui votent Le Pen
Le quotidien israélien Ha'Aretz se penche sur le cas de Juifs qui ont voté Marine Le Pen le 22 avril, oublieux de l'histoire du Front national. Pour eux, qui restent minoritaires, le parti d'extrême droite est le plus à même de les défendre – face à l'islam, en particulier.
Shirli Sitbon | Ha'Aretz
Marine Le Pen, la dirigeante du parti d’extrême droite, a obtenu près de 18 % des suffrages exprimés lors du premier tour de l’élection présidentielle en menant campagne contre l’immigration, les étrangers et les musulmans. Pour le second tour, organisé le 6 mai, ce sont ses partisans qui feront la différence, et sa popularité a d’ores et déjà poussé le président sortant Nicolas Sarkozy à adopter des positions extrémistes contre les immigrés, dans l’espoir de récupérer ses voix.
“Ne comptez pas sur moi pour vous expliquer ce qui se dit parmi les dirigeants du Crif, mais ce que je pense, c’est qu’il est naturel de se tourner vers Marine Le Pen quand on est juif. Elle lutte contre la criminalité et contre l’islam, ce qui signifie qu’elle défend les Juifs”, explique Michel Thooris à Ha’Aretz.
Il n’y a pas si longtemps, la communauté juive, sans exception aucune, condamnait les partisans de Le Pen comme Jean-Richard Sulzer [membre de l'équipe de campagne de Marine Le Pen], qui a longtemps travaillé pour le compte de la famille Le Pen. “C’était un professeur respecté, mais quand il a choisi Le Pen, sa femme l’a quitté”, explique un dirigeant communautaire. Désormais, pour les nouveaux partisans du Front national, la situation semble nettement moins problématique.
“L’attitude de nos gens a changé tout simplement parce que le Front national a changé”, affirme Michel Thooris. “Marine Le Pen a exprimé l’horreur que lui inspirait la Shoah et les Juifs le savent.” Un autre partisan de Le Pen, Michel Ciardi, qui a créé un groupe de soutien, explique cependant que sa famille refuse de la soutenir. “Mes enfants me disent qu’ils ne partagent pas mes vues, mais je ne partage pas davantage les leurs”, assène Ciardi. Son groupe de soutien s’appelle l’Union des Français juifs (UFJ) et Ciardi insiste pour que le mot “français” soit prononcé avant celui de “juifs”, au contraire de la plupart des autres organisations juives de France.
“J’ai fondé l’UFJ il y a maintenant six mois, après avoir rencontré Marine Le Pen, explique Michel Ciardi. J’avais été invité à dîner en sa compagnie chez une connaissance juive et elle m’a fortement impressionné. Elle m’a expliqué qu’il était important que nous fassions partie, en tant que Juifs, du Front national. Les Juifs qui ont décidé de soutenir Le Pen montrent aux racistes qui militent au Front national qu’ils doivent désormais s’y faire.”
D’après Ciardi, son association, soutenue activement par l’organisation pro-Le Pen Riposte laïque, compterait 150 membres, mais le journaliste juif Michel Zerbib, qui étudie l’UFJ depuis ses débuts, prétend que ce n’est qu’une “coquille vide”. “J’ai beau chercher les membres de cette UFJ, je n’y ai trouvé personne. Je reste convaincu qu’il ne s’agit que d’une initiative individuelle”, explique Zerbib, qui affirme que peu de Juifs ont voté pour Marine Le Pen. “Certes, je n’ai pas été si surpris de voir que 7 à 8 % des électeurs juifs français avaient voté pour elle [selon des évaluations internes à la communauté juive], mais cela reste trois fois moins que la moyenne nationale.”
En France, les instituts de sondage ne sont pas autorisés à mener des enquêtes communautaires et ne sont donc pas en mesure d’indiquer combien d’électeurs juifs, chrétiens ou musulmans ont choisi Le Pen. Néanmoins, comme l’indique Michel Zerbib, les organisations juives ont leurs propres méthodes pour évaluer la répartition du vote juif. “Nous avons analysé les résultats des circonscriptions où se concentrent de fortes communautés juives. Même si cette méthode n’est pas parfaitement scientifique, il ressort de nos enquêtes que, dans les ‘quartiers juifs’, on a nettement moins voté en faveur de Le Pen qu’ailleurs en France”, conclut Zerbib, lequel rappelle, à toutes fins utiles, que sa station de radio [Radio J], a toujours refusé d’inviter Marine Le Pen.
De son côté, même si les chiffres exacts restent difficiles à évaluer, Michel Thooris admet que de nombreux Juifs restent rebutés par le parti d’extrême droite. “Ce que nous rappelons sans cesse, c’est que nous roulons pour Marine Le Pen, pas pour le Front national. C’est la seule manière de gagner des voix juives qui, sans cela, ne nous seront jamais acquises.” Et Thooris de conclure, comme beaucoup de militants du Front national, qu’il n’est toujours pas certain de reporter sa voix sur Sarkozy lors du second tour, tandis qu’il ne cache pas son espoir de voir le parti présidentiel s’effondrer au lendemain de l’élection. “Hollande et Sarkozy, c’est chou vert et vert chou. Ils sont pour l’Europe de Catherine Ashton.”
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