COMMENT LE ROYAUME DU MAROC SE MOBILISE CONTRE L'ISLAMISME
Le pays, confronté à la montée du salafisme chez les jeunes, a mis en place une batterie de mesures dont un contrôle étroit de la formation des imams. Il a également créé des sites Internet, une Web télévision pour « accrocher » la jeune génération et la conduire vers une interprétation « modérée » de l'islam. Mais les résultats se font toujours attendre.
La vieille ville marocaine de Fès est une merveille. Dans cette médina, le GPS est impuissant. 9400 ruelles dont les deux tiers n'ont pas de… noms! Les facteurs distribuent le courrier de la main à la main. Sorti tout droit du VIIIe siècle, ce dédale comporte aussi ses impasses. Il y en a 700. Ce labyrinthe, il faut le goûter au petit matin avant que le tourisme de masse ne le densifie. Il a ses senteurs âpres d'une cité au réveil. Un effluve piquant, robuste vous guide dans l'éclatant quartier des tanneurs. Là, depuis des siècles, des hommes s'épuisent à fouler, pieds et jambes nues, des pièces de cuir dans des cuves colorées pour les teintures. Festival d'ocre, de jaune, de rouge, de bleu, de vert. Du vert clair au très foncé.
C'est sur ce vert sombre de l'islam radical que la carte postale s'arrête net. À l'image de ces dix milles ruelles et impasses de la médina de Fès, le royaume du Maroc, 34 millions d'habitants, est aux prises avec un islamisme tentaculaire, ordinaire. Par l'habile séduction d'une religion simple et sans compromis, il touche notamment les jeunes, mais il est insaisissable, sur le modèle de cette médina où même les habitants se perdent.
Ce fléau a pris lentement mais sûrement sur une population marocaine encore à un tiers analphabète et dont le niveau scolaire reste faible: sur 9 millions de jeunes scolarisés, seul 1 million accède au lycée, et 1,5 million au collège.
« Les jeunes se forment leurs convictions sur Internet »
Rachid Saâdi, professeur de pédagogie culturelle est un formateur. Il rencontre des professeurs de toutes les matières d'établissements scolaires qui côtoient, au quotidien, la jeunesse marocaine. Il observe: «Le salafiste est celui qui considère que l'islam répond à toutes les questions. Il se développe partout, là où on ne le soupçonne pas, dans les écoles. Non pas le salafisme violent, mais le salafisme light, très simpliste qui refuse la complexité. En apparence, ces jeunes salafistes sont ouverts. Ils portent des vêtements branchés, ils sont accros aux dernières technologies. Mais dès que l'on discute surgit un conservatisme absolu avec un antisémitisme quasi pathologique. Toute la jeunesse est touchée, seuls y échappent les jeunes des classes culturelles supérieures. Quand les jeunes ont un problème, ils ne vont pas voir l'imam de la mosquée qui est sous contrôle de l'État mais se forment leurs convictions sur Internet.» Il conclut: «Le Maroc était le pays de l'islam tolérant. C'est toujours vrai, car le régime exerce un rôle stabilisateur et de régulation des tensions, mais c'est fragile. Il doit compter avec la présence croissante des salafistes.»
De fait, le régime marocain doit éteindre aujourd'hui une mèche qu'il a en partie contribuer à allumer. «Il a fait appel aux islamistes dès les années 1970 pour combattre le gauchisme», explique un intellectuel très au fait de la situation, mais qui préfère rester anonyme. «Cette alliance objective s'est reproduite en 1997, mais en 2001, le régime s'est rendu compte du danger et a commencé à avoir peur des islamistes.» De fait le Parti de la justice et du développement (PJD) devenait le premier parti d'opposition et arrivait au gouvernement en 2011.
De son côté, le roi du Maroc, Mohammed VI, au pouvoir depuis 1999, est également le commandeur des croyants. Spécificité du Maroc, un ministère de rang régalien, - comme celui de la Défense, et qui échappe donc aux variations des gouvernements - est chargé de la gestion de l'islam. C'est le ministère des Habous et des Affaires islamiques. Le terme habous désigne des propriétés de nature religieuse, mais l'essentiel de l'activité de cette instance politique et religieuse est de se concentrer dans la lutte contre le salafisme. Ahmed Toufiq, le ministre, nommé en 2002, explique depuis son immense bureau de la capitale Rabat: «Nous n'avons pas commencé notre combat en réaction à Daech, dont le califat fut une chimère, mais dans la continuité. En revanche, bien que l'on puisse vivre avec des virus, nous n'avons pas assez renforcé l'immunité de notre corps contre ce virus.» Il ajoute «les salafistes sont une minorité dont environ 10 % sont des terroristes politiques. Il ne faudrait pas réduire l'islam à cet excès».
«Immunité», «immunisation», contre toutes les formes de «virus» - islamiste, salafiste, wahhabite, Frères musulmans -, voilà un terme médical qui est le leitmotiv de tout le discours officiel religieux marocain. Et qui détermine la batterie de mesures mises en place depuis 2004 par le royaume pour réduire l'influence de l'extrémisme religieux dans la société.
Cela a commencé par la rémunération des imams. Première mesure prise par Ahmed Toufiq: passer de 6000 imams payés par l'État à 52.000 aujourd'hui. 1600 théologiens ont été dépêchés pour leur donner une formation continue deux fois par mois. Formation assortie d'un contrôle des prêches du vendredi. Autre volet, 25.000 écoles coraniques ont été créées pour les enfants, où l'on enseigne l'équivalent d'un catéchisme musulman contrôlé. Action également dans les prisons avec des programmes de déradicalisation menés par d'anciens salafistes repentis. Enfin, pour traiter la question des imams à sa racine, le Maroc a investi dans un centre de formation à vocation internationale à Rabat: l'Institut Mohammed VI de formation des imams et mourchidates.
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