Dans le Haut Beaujolais, la mystérieuse étoile juive du clocher d’Ouroux
Cette inscription qui daterait du XIXe siècle suscite des appels réguliers à la mairie du village, venant en particulier de touristes. Nos recherches, menées notamment auprès du musée du Compagnonnage de Tours, permettent d’échafauder une hypothèse : les concepteurs de l’époque entendaient très probablement célébrer ainsi l’union entre l’Ancien et le Nouveau Testament.
« Cette histoire, c’est un mystère ». À la paroisse de Monsols dans le Haut Beaujolais, une bénévole nous répond au téléphone, bien embarrassée de ne pouvoir nous éclairer davantage dans notre recherche. Pourquoi la toiture de l’église d’Ouroux est-elle parée d’une immense étoile de David ? La plupart des habitants du secteur n’en ont pas la moindre idée : ce symbole fait depuis si longtemps partie du paysage, qu’ils n’y prêtent plus guère attention.
Une Jérusalem de poche
Ce charmant village environné de collines aurait presque des airs de Jérusalem de poche. L’inscription géante est visible de très loin. Impossible de la rater en arrivant par la route du col du Fût d’Avenas : d’une couleur dorée se détachant sur l’ardoise, elle doit bien mesurer 2 mètres de large et de haut. Dans l’église, joliment restaurée, aucun prospectus pour expliquer cette bizarrerie architecturale, à laquelle s’ajoute une autre : un ostensoir (objet contenant l’hostie consacrée) est représenté sur la face nord de la toiture. Le curé de la paroisse est en vadrouille, injoignable. « C’est insolite, comme inscription, c’est sûr. Mais on ne sait pas ce que cela signifie, non, désolé », s’excuse un couple de retraités. À la mairie, la secrétaire, jointe quelques jours plus tard au téléphone, confirme, à défaut là aussi de pouvoir fournir des explications certaines, l’intérêt suscité par ce clocher : « Nous recevons régulièrement des appels. Des gens qui ont traversé le village et qui veulent comprendre ».
« Aucune trace dans les archives de l’archevêché »
Krystel Gilberton, archiviste
Il y a une dizaine d’années, elle se souvient d’avoir discuté avec un architecte de Villefranche-sur-Saône qui lui aurait expliqué qu’il s’agissait peut-être là d’un symbole utilisé par des compagnons couvreurs. Si les premières fondations de l’église, romane, remontent au XIIe siècle, cette étoile de David et l’ostensoir dateraient, eux, du XIXe siècle. Mais nulle trace de ce chantier aux archives départementales du Rhône, ni même à celles de l’archevêché de Lyon. « Nous n’avons rien trouvé. Nous avons aussi cherché dans le fonds d’un érudit qui avait réalisé un historique complet des paroisses (jusqu’au début du XXe siècle), mais pas un mot sur ces inscriptions. « C’est très étonnant! », souligne Krystel Gilberton, archiviste à l’archevêché. Le grand rabbin de Lyon, Richard Wertenschlag, n’avait, lui, pas connaissance de cet édifice. Rien non plus du côté des services territoriaux de l’architecture et du patrimoine (STAP), dans le Rhône, comme en Saône-et-Loire. Une église à Germolles-sur-Grosne, voisine de 6 kilomètres de celle d’Ouroux, comporte pourtant les mêmes motifs sur son clocher, avec, en prime, deux étoiles de David. « Nous n’avons aucun dossier sur cette église qui ne fait pas partie des monuments protégés », indique-t-on au STAP de Mâcon. Et chez les Compagnons du Devoir, l’une des trois fédérations compagnonniques, c’est le même point d’interrogation.
« Pas un symbole compagnon- nique »
Laurent Bastard, historien
Au siège parisien, une responsable nous suggère de contacter Laurent Bastard, le conservateur du musée du Compagnonnage, à Tours (Indre-et-Loire). L’historien découvre avec nous l’existence de cette église si particulière. Et réfléchit en direct au téléphone, tout en observant les clichés que nous lui avons adressé par e-mail. Pour lui, il ne s’agit « certainement pas de symboles compagnonniques », laissés par les artisans de la toiture, en guise de signature. « Au XIXe siècle », admet-il, « des compagnons ont pu se prétendre les bâtisseurs du Temple de Jérusalem, une pure mythologie apparue après la Révolution française : ils cherchaient alors à se recréer une identité malmenée notamment par la loi Le Chapelier qui avait supprimé les corporations. Mais ils n’ont jamais eu recours à l’ostensoir dans leur symbolique ». Le décryptage final proposé par Laurent Bastard au sujet de la toiture de l’église d’Ouroux est simplement lumineux : « L’ostensoir, qui renferme l’hostie consacrée, symbolise le Christ et l’étoile de David, les Juifs. De mon point de vue, l’alliance des deux sur la toiture signifie l’union entre l’Ancien et le Nouveau Testament. » « L’hypothèse formulée par Laurent Bastard est légitime et cohérente », juge l’historien François Icher, auteur du livre « Les Compagnons ou l’amour de la belle ouvrage » (Gallimard). Il confirme à son tour le caractère non compagnonnique de ces décorations, qui « ne relèvent pas du patrimoine symbolique des compagnons couvreurs et encore moins de leur tradition de « marquage » de leur ouvrage. » Des interprétations jugées convaincantes par Jean-Luc Darodes, chargé de l’art sacré dans le diocèse de Lyon. Un peu de brume continuera malgré tout d’envelopper ce clocher d’Ouroux, à l’origine bien mystérieuse. Mais après tout, n’est-ce pas mieux ainsi ?
NICOLAS BALLET
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