De de Gaulle à Macron, par David Bensoussan
À la suite de l’épisode récent de l’annulation de la commande des submersibles français pour des sous-marins nucléaires américains, la France réévalue son statut de grande puissance. La France est une puissance nucléaire, mais elle est loin d’égaler les capacités des États-Unis, de la Russie ou de la Chine ou de pouvoir offrir une protection satisfaisante à l’Europe.
Aux yeux des élites gouvernementales françaises d’après la Seconde Guerre mondiale, les ambitions de grande puissance de la France étaient toujours allées de pair avec une force de frappe indépendante. La crainte d’un retour de l’isolationnisme américain planait également dans les esprits. En effet, les États-Unis ne soutenaient pas la politique française en Algérie ; la France reprochait également au président Eisenhower de s’être fortement opposé à l’expédition franco-britannique à Suez en 1956. Les réserves exprimées par le président Trump en ce qui touche le niveau actuel des contributions des pays de l’OTAN à la défense ont remis à l’ordre du jour l’idée d’une force de défense européenne.
La force de frappe française
Ce fut en 1960 que la France fit exploser une première bombe nucléaire au Sahara. Les essais atomiques se poursuivirent par la suite dans les possessions polynésiennes de la France. Pour De Gaulle, ce fut l’occasion d’officialiser une politique de force de frappe qui avait discrètement prévalu durant la Quatrième république et qui avait été poursuivie par 19 gouvernements durant lesquels la préoccupation majeure de l’opinion publique était concentrée sur la guerre d’Indochine, les pressions sur l’empire colonial et la guerre d’Algérie. La force de frappe nucléaire était considérée comme le meilleur moyen de dissuasion et offrait un certain degré d’indépendance par rapport au parapluie nucléaire américain.
Par le passé, le traité de défense de la Communauté européenne de 1952 qui proposait une armée européenne fut rejeté par l’Assemblée nationale française. Cet échec est imputable, entre autres raisons, à la crainte du réarmement de l’Allemagne.
L’ambition de De Gaulle
De Gaulle revint au pouvoir en 1958 alors que la crise algérienne était à son plus fort. Il chercha par tous les moyens à donner à la France un rôle de grande puissance au même titre que les États-Unis ou l’Union soviétique. La nouvelle constitution de la Cinquième république allait renforcer le pouvoir décisionnel de la présidence et il y eut recours. Nul doute qu’il avait été traumatisé par le fait que la France avait été mise de côté durant la conférence de Yalta qui réunissait Staline, Churchill et Roosevelt en 1945 pour décider du destin de l’Europe. De Gaulle essaya de se faire accepter comme superpuissance et tenta d’engager l’Europe sous la houlette française.
En 1958, il proposa un triumvirat franco-anglo-américain pour définir des prises de position communes en matière de défense, mais cela n’alla pas plus loin, les autres membres de l’Alliance atlantique ne tenant pas à jouer un rôle subalterne. Il se replia sur Communauté économique européenne (CEE) mise en place par le traité de Rome de 1957. Il proposa un projet d’union politique mais son initiative fut rejetée par les partenaires européens en 1962 qui tinrent à ajouter la condition que l’objectif en serait de renforcer l’Alliance atlantique.
De Gaulle proposa alors en 1964 un traité franco-allemand visant une coopération étroite en matière de politique, de défense et d’économie. Là encore, le Bundestag ajouta un préambule réitérant les obligations de la République fédérale allemande à ses traités existants. Ceci fit dire à De Gaulle dépité que les traités durent ce que durent les roses, soit l’espace d’un matin. Enfin, il pratiqua la politique de la chaise vide en 1965 lorsqu’il fut question de modifier le principe de l’unanimité dans la prise de décision au profit de la règle majoritaire, gelant les décisions de la CEE pour le reste de son mandat présidentiel.
La France et l’OTAN
Dès 1959, de Gaulle avait commencé à réduire les effectifs de la marine française au sein de l’OTAN qui est le bras militaire intégré des pays de l’Alliance atlantique; les officiers français ne conservèrent qu’un rôle de liaison. De Gaulle introduisit une politique de défense qualifiée de « tous azimuts » qui engageait la France dans la planification de développement de missiles balistiques de longue portée porteurs d’ogives thermonucléaires, de sous-marins nucléaires d’attaque et dans l’addition d’avions de type Mirage IV. En 1960, il décida que la France se retirât de l’OTAN sans même en saisir l’Assemblée nationale. Tous les pays membres de l’OTAN critiquèrent cette décision. Le quartier général de l’OTAN fut transféré de Paris à Bruxelles.
Même le chef du parti socialiste et futur président Mitterrand critiqua également cette décision. Pour lui, « La France a quitté l’OTAN tout en restant dans l’Alliance atlantique, ce qui revient à dire qu’elle a laissé à ses alliés militaires la communauté des charges sans renoncer à la protection du parapluie atomique américain. » Plusieurs facteurs allaient concourir au rapprochement de la France de l’OTAN : l’installation en Europe de fusées soviétiques de portée intermédiaire SS-20 qui fut suivie de l’introduction des fusées américaines Pershing en Europe, la réalité de la supériorité numérique d’armes nucléaires soviétique en territoire européen puis les demandes pressantes des pays de l’Europe de l’Est de rejoindre l’OTAN après la chute du mur de Berlin. Le rapprochement se fit graduellement et, sous la présidence de Sarkozy, la France réintégra l’OTAN en 2009.
Le président Trump a critiqué le manque de contribution européenne au budget de la défense de l’OTAN et déploré le fait que celui-ci soit assumé essentiellement par les États-Unis. Un certain désintérêt de l’OTAN de la part du président Trump et l’intervention armée de la Turquie (membre de l’OTAN) en Syrie ont fait dire à Macron que l’OTAN est dans un état de mort cérébrale. Pour lui, la situation actuelle ne dessert pas les intérêts européens et il fustige « le club des 28 qui se réunit sans jamais se décider. »
L’ambition de Macron
Macron est partisan d’une Europe plus unie alors qu’il est quasi impossible d’obtenir un consensus et encore moins l’unanimité entre 27 pays disposant de 27 droits de veto. La Grande-Bretagne a quitté l’UE et les États de l’Europe de l’Est tiennent résolument à des relations étroites avec les États-Unis. En 2019, Macron a également gelé l’élargissement de l’UE (l’adhésion de la Macédoine du Nord) avant une réforme en profondeur du processus institutionnel.
Macron poursuit des objectifs similaires à ceux de De Gaulle, mais conçoit les choses différemment. Il est cartésien et tente de définir sa politique avec logique et bon sens. Face à la menace centrifuge des nationalismes, il veut protéger l’idée d’une Europe unie et intégrée politiquement et militairement, quitte à commencer par une participation partielle des États de l’UE. Or, il doit assumer ses nombreuses contradictions.
Macron déplore la déconstruction des normes et des engagements internationaux et propose que l’Europe joue un rôle historique sans s’aligner sur une superpuissance. Et de fait, le potentiel d’une superpuissance européenne a de quoi faire rêver. Or, assumer une autonomie et une indépendance françaises et construire l’Europe politique ne serait possible que si la France définissait ou orientait les politiques européennes ce qui est loin d’être le cas.
Par ailleurs, une défense européenne commune reviendrait à européaniser l’arme nucléaire française, contredirait le traité de Moscou de 1990 qui interdit à tout jamais l’armement nucléaire de l’Allemagne et contraindrait la France à répondre militairement de toute attaque contre l’un des 27 pays de l’UE. Outre cela, vouloir développer des relations étroites avec la Russie se heurterait à l’opposition des pays de l’Europe de l’Est qui ne veulent rien en savoir, d’autant plus que la Russie fait actuellement l’objet de sanctions de l’UE en raison de sa politique des faits accomplis en Géorgie et en Ukraine.
Vouloir restaurer les normes de droit international dans le monde est louable. Pourtant les interventions françaises en Libye ou au Mali n’ont pas été sanctionnées par l’ONU. Les ventes d’armes à l’Arabie saoudite se continuent malgré les opérations de bombardement qui font un grand nombre de victimes civiles au Yémen et malgré les critiques sévères de l’ONU. Il devient difficile d’établir une cohérence authentique lorsque l’on sait que la France doit exporter des armes pour en rentabiliser la production et qu’elle devient économiquement dépendante de pays qui ne sont pas toujours fréquentables.
L’exportation d’hélicoptères de combat français en Arabie saoudite a été freinée par l’Allemagne qui interdit l’exportation à l’Arabie d’armes de combat comportant des composantes allemandes. Par ailleurs, le projet d’avion furtif franco-allemand est difficile à mettre en œuvre et ne pourrait voir le jour avant deux décennies. Aussi, les alternatives en matière d’armement et de défense autonomes sont-elles limitées.
Macron défend avec conviction une certaine vision de l’Europe et du rôle majeur que la France doit y tenir. Il poursuit la politique gaullienne sans l’aura du général et sans en avoir le ton péremptoire. Il se heurte au même obstacle, car de tout temps, les ambitions françaises ont dépassé leurs capacités politiques et militaires. Aujourd’hui, la suprématie française est virtuelle, car l’Allemagne qui est le centre de gravité économique de l’Europe doit donner son imprimatur à toute décision relative au futur de l’Europe.
Pour revenir à l’affaire de la commande des sous-marins français annulée par l’Australie au profit de celle de sous-marins nucléaires américains, il est important de noter que la France fait cavalier seul dans l’Indopacifique et ne fait pas partie des principales associations de coopération en matière de défense (le groupe des Cinq Five eyes – 5 pays ; le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité QUAD – 4 pays ; l’AUKUS – 3 pays), ou d’économie (l’Accord de partenariat transpacifique CPTTP – 11 pays). Il semble bien que la France ait compris que son isolement pouvait être contre-productif. En effet, le nouveau contrat d’armement de la Grèce combiné à un pacte de défense mutuelle fait valoir cette tendance.
Macron brasse les cartes politiques de l’Europe mais ne dispose pas de tous les atouts pour faire le pli. Il pourra augmenter ceux dont il dispose en Europe et ailleurs en convainquant des partenaires étatiques des avantages que leur procurerait la complémentarité des intérêts respectifs.
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