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De la miche à la baguette

De la miche à la baguette

 

La traditionnelle baguette de pain, symbole de l'identité française, puise ses origines dans la Révolution, avec la première réglementation concernant le pain. Le 15 novembre 1793 (26 brumaire An II selon le calendrier républicain), un décret de la Convention stipule que tous les Français doivent manger le même pain : « La richesse et la pauvreté devant également disparaître du régime de l'égalité, il ne sera plus composé un pain de fleur de farine pour le riche et un pain de son pour le pauvre. Tous les boulangers seront tenus, sous peine d'incarcération, de faire une seule sorte de pain : Le Pain Égalité ».

Le pain en question, à base de farine de froment, levain, sel et eau, a encore l'aspect d'une grosse boule ronde. En 1856, Napoléon III tente de réglementer la taille et le poids du pain : 40 cm et 300 g environ. Mais il n'y réussit guère et l'on continuera jusqu'à la fin du XXe siècle, dans nos campagnes, de faire honneur à la miche d'un kilo à la croute craquante et à la mie épaisse, empreinte d'un délicieux fumet. Elle sera vaincue par la déferlante des hypermarchés et des boulangeries industrielles.

Sous la IIIe République, lors de la construction du métro parisien, l'ingénieur Fulgence Bienvenüe s'irrite des bagarres incessantes entre ouvriers « immigrés » (Bretons et Auvergnats). Il décide d'interdire les couteaux sur le chantier. Le couteau ayant pour principale utilité (en-dehors des bagarres) de couper le pain, l'ingénieur commande à un boulanger des pains allongés qui se coupent à la main. C'est ainsi que serait née à la Belle Époque la baguette parisienne. Se non è vero è bene trovato.

De façon plus certaine, la première occurrence du mot baguette remonte à 1904. Elle apparaît dans un manuel de boulangerie. D'une longueur de 80 cm et d'un poids de 250 g, cette baguette se diffuse dans toute la France entre les deux guerres mondiales, après le vote d'une loi interdisant aux boulangers de travailler avant 4 heures du matin, ce qui ne leur laisse plus le temps de façonner la boule traditionnelle. La baguette est appelée flûte ou petite selon les régions. Son prix est fixé par arrêté préfectoral jusque dans les années 1980 avant d'être laissé à la discrétion des boulangers.

La tradition contre l'agro-industrie

Les années 1970 voient l'émergence de la grande distribution et le triomphe de la civilisation consumériste. Grandes surfaces et dépôts de pain distribuent des baguettes à bas coût, fabriqués dans des installations industrielle. Un boulanger indépendant se signale en 1976 à l'attention des médias en lançant la baguette à 1 franc, un prix très en-dessous du prix courant. Chacun y voit une concurrence déloyale. Le pain traditionnel se voit menacé par des ersatz insipides, avec des additifs chimiques et des farines sélectionnées pour un pétrin rapide.

Face à la mobilisation des professionnels, qui bénéficient du soutien bruyant du présentateur Jean-Pierre Coffe, le gouvernement d'Édouard Balladur promulgue le 13 septembre 1993, le « décret pain ». Il encadre la fabrication de la baguette de « tradition française » en exigeant qu'elle ne soit fabriquée qu’avec les ingrédients suivants : farine de blé, eau, levure et/ou levain, sel. Trois adjuvants sont autorisés, soit au maximum 2% de farine de fèves, 0,5% de farine de soja, 0,3% de farine de malt de blé (le gluten n’est pas considéré comme un adjuvant).

Le décret est complété par une loi, le 25 mai 1998, qui réserve l'appellation de « boulangerie » aux professionnels qui assurent eux-mêmes, à partir de matières premières choisies, le pétrissage de la pâte, sa fermentation et sa mise en forme ainsi que la cuisson du pain sur le lieu de vente au consommateur final. Ainsi a été sauvée la boulangerie artisanale... en attendant la prochaine offensive de la grande distribution et de l'agro-industrie.

Camille Vignolle

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