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De l'Amérique traditionnelle à l’Amérique de Trump

 

 

De l'Amérique traditionnelle à l’Amérique de Trump

DAVID BENSOUSSAN

Professeur de sciences à l'Université du Québec

 

POINT DE VUE / L’Amérique s’est peuplée d’immigrants dont beaucoup fuyaient la persécution ou la misère. L’expansion territoriale américaine à partir des treize États fondateurs s’est faite par l’annexion du Texas, l’achat de la Louisiane à la France et de l’Alaska à la Russie et la cession de territoires: la Floride par l’Espagne, la Californie par le Mexique et l’Oregon par la Grande-Bretagne. La guerre de Sécession a mis fin aux différences entre le Nord et le Sud, notamment en ce qui a trait à la fin de l’esclavage et le melting-pot américain a réussi à uniformiser une nation d’immigrants façonnée au départ par une éthique protestante et individualiste.

Avec le temps, les lois ou habitudes raciales se sont estompées et l’Amérique est devenue bien plus égalitaire. La grande dépression de 1929 fut surmontée par des solutions imaginatives tout comme le développement d’infrastructures tel le TVA. Les technologies de pointe et les films d’Hollywood des années 50, la renaissance musicale et la révolution hippie des années 60 ont popularisé la culture américaine.

L’exemple américain a fasciné la planète, car il allait à contre-courant du conformisme aristocratique des pouvoirs régnants en Europe et incorporait dans sa constitution la notion de liberté et de quête du bonheur. La prise de contact avec les centaines de milliers de soldats américains durant les deux grandes guerres mondiales a permis aux Européens de découvrir la personnalité unique d’une Amérique perçue comme étant non stratifiée, souriante, laborieuse et riche.

Entre isolationnisme et interventionnisme

Au plan international, l’Amérique a réagi à l’unisson lorsqu’elle a été attaquée: lorsque les sous-marins allemands commencèrent à couler les paquebots américains en 1917, lorsque Pearl Harbor fut attaquée par l’aviation japonaise en 1941 ou lorsque New York fut ciblée le 11 septembre 2011. Autrement, la politique américaine a oscillé entre isolationnisme et interventionnisme.

Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et l’Union soviétique ont émergé comme les grandes puissances de l’après-guerre. La guerre froide a bipolarisé le monde durant une cinquantaine d’années. Des alliances plus pragmatiques que morales (tel le soutien aux monarchies pétrolières autoritaires par les États-Unis) ont été forgées dans chacun des deux camps et des conflits marqueront cette période: la guerre de Corée en 1950, la crise de Cuba en 1961 et la guerre du Vietnam tout comme les interventions soviétiques en Hongrie en 1956, en Afghanistan en 1979 et à Prague en 1968.

Après la guerre du Vietnam, l’Amérique tangua entre le libéralisme idéologique de Carter et d’Obama, le libéralisme pragmatique de Clinton, le conservatisme de Reagan et le conservatisme interventionniste des présidents Bush père et fils. L’ordre mondial assuré par les États-Unis a néanmoins assuré pendant plusieurs décennies une sécurité et une prospérité relatives.

Désillusions américaines et inquiétudes européennes

La philosophie wilsonienne qui espérait une transformation interne des pays, transformation qui évoluerait en une démocratie semblable à la démocratie américaine est aujourd’hui considérée comme étant naïve. Pourtant, c’est cette vision de liberté et d’éthique dans les rapports entre citoyens qui a nourri le libéralisme à l’échelle mondiale et a assuré un minimum de responsabilisation des gouvernements.

Suite au démantèlement du bloc soviétique à la fin des années 80, les États-Unis sont devenus une superpuissance inégalée. La mouvance néoconservatrice décide d’utiliser cette puissance pour mettre de l’ordre dans le monde, lors de la guerre du Golfe de 1991, de l’invasion de l’Afghanistan en 2001 et de l’Irak en 2003. Or ces guerres qui ont coûté plusieurs billions de dollars n’ont pas eu les résultats escomptés: le Moyen-Orient est resté déchiré et instable. Les États-Unis hésitent désormais à policer le monde.

L’intervention contre le génocide en Bosnie sous la présidence de Bill Clinton malgré l’opposition russe a consolidé la notion de l’Amérique qui défend les libertés fondamentales. Or, le pouvoir de dissuasion américain a été ébranlé lorsque le président Obama a renié la ligne rouge qu’il avait publiquement définie en n’agissant pas contre l’utilisation d’armes chimiques par le dictateur syrien.

L’Europe a bénéficié de la protection américaine des décennies durant comme si la situation qui prévalait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale prédominait encore. Les interventions musclées de la Russie qui gruge le territoire ukrainien et celles de la Chine qui agrandit artificiellement ses eaux territoriales de l’autre font craindre le pire. Si l’isolationnisme américain se poursuit, il faudra que l’Europe fasse face à la menace des dictatures russe ou chinoise.

Expansion chinoise et résilience américaine

La réalité mondiale a changé. L’Amérique du «Do it yourself» a été remplacée par l’Amérique de Walmart. La Chine a accaparé la part du lion des industries manufacturières et sa balance commerciale est largement excédentaire. Contrairement aux prédictions des experts, la globalisation n’a pas fait évoluer les libertés en Chine même. Envers et contre tout et malgré toutes ses imperfections, une Amérique qui conserve son avantage technologique, économique et politique est la garantie de la survie de la démocratie face aux régimes autoritaires russe et chinois.

L’Amérique a une influence importante sur la gouvernance de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international depuis la Conférence de Bretton Woods en 1944 ainsi que sur la gouvernance de l’Internet. Elle a surmonté le choc pétrolier de 1973, la crise financière de 2008 et continue d’être un centre mondial des marchés financiers florissant. À l’heure actuelle, le taux de chômage est le plus bas que l’Amérique ait pu connaître depuis un siècle. Son déficit préoccupe beaucoup moins les investisseurs.

Un pouvoir présidentiel accru

Le président Trump a pris avantage des pouvoirs qui lui sont octroyés et, contrairement à d’autres présidents américains, il consulte beaucoup moins les membres du Congrès et du Sénat. La loi Hawley-Smoot de 1930 donne au président le droit d’ingérence en matière de commerce; elle a été renforcée par la loi sur les Accords de réciprocité de commerce en 1934. En matière de sécurité nationale, la Cour suprême des États-Unis a confirmé en 2018 l’autorité présidentielle en regard de l’interdiction d’entrée dans le territoire américain de citoyens de certains pays.

Le facteur Trump est déroutant. Il a insulté ou malmené des pays alliés quand ce n’est pas les spécialistes de la CIA. Il s’est retiré de nombreuses ententes commerciales multilatérales et d’institutions internationales, remettant en question leur bonne marche ou leur utilité. La cacophonie émanant de la Maison-Blanche, le narcissisme présidentiel, les fuites aux médias, les accusations et contre-accusations, un Congrès et un Sénat polarisés donnent l’image d’une Amérique dysfonctionnelle, remettant en question sa réussite démocratique. L’Amérique vit un feuilleton de téléréalité entrecoupé de gazouillis déconcertants et le président Trump met en avant une résilience hors norme.

Il n’en demeure pas moins que dans la conjoncture actuelle, un des atouts du président Trump est son imprévisibilité, ce qui lui laisse une très grande marge de manœuvre.

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