DSK du Seigneur, par Albert Cohen
Le Point.fr
par Patrick Besson
Chaque jour, Patrick Besson emprunte la plume d'un célèbre écrivain pour nous raconter la campagne électorale
Il est venu, l'enfant de chez nous, le petit garçon de sucre et de miel, qui scella naguère l'alliance avec l'Éternel, tendre et appliqué, il a pris la grosse voiture allemande noire, trop grosse, trop allemande et trop noire pour lui, et il est arrivé dans la ville du Nord, si loin des rivages fleuris de notre Méditerranée, loin des sycomores et des flamboyants, des cyprès et des palmiers, la ville hautaine et froide, ennemie de notre peuple, la ville des Gentils et des juges. L'attendait la horde de journalistes et de photographes, trop heureux, dans leur haine à peine cachée pour nos coutumes, nos prières et nos chants de le voir tomber de haut, puni dans son orgueil, châtié dans son plaisir, humilié dans ses pratiques, le petit garçon vieilli, naguère choisi par l'Éternel pour soulager le monde, enchanter le monde, régner sur le monde.
Il est sorti de l'automobile, gonflé de chagrin, bouffi de crainte, pâle et perdu, et mon coeur en le voyant sur l'écran de télévision, mon coeur de père et de fils, mon coeur d'homme de coeur, mon coeur de Juif et d'amant, a saigné, tant il se sentait proche de cette victime de la folie puritaine des Gentils. On les croyait réconciliés avec nous, ayant compris et accepté nos tourments et nos craintes, nos folies et nos raisons, regrettant le mal qu'ils nous firent autrefois et naguère, s'excusant des crachats et des coups, des insultes dites et écrites, mais cette explosion internationale de la haine pour un homme qui a seulement utilisé son corps de plaisir pour le plaisir avec d'autres corps de plaisir, ces torrents de commentaires absurdement et atrocement haineux sur des accouplements aussi innocents et rieurs que ceux d'Adam et Ève au commencement béni du monde où il n'y avait pas encore d'antisémitisme, nous rappellent, et peut-être est-ce bon et bien qu'ils nous le rappellent, que sous les sourires benêts et les propos lénifiants, les invitations consenties et les saluts polis, il y a toujours chez les Gentils le sentiment obscur, têtu, fielleux, incertain et putride que nous, mon cher peuple, mon engeance fidèle et adorée, la plus pure et simple expression des voeux de l'Éternel pour le monde, nous sommes en relation permanente avec le Mal, des agents et des représentants du Mal, et peut-être même la source du Mal, et au nom de cette croyance latente, ils nous frappent dès qu'ils le peuvent, nous insultent, nous torturent.
Radeau de l'antisémitisme
Quand Dominique, homme de liberté et de choix, de science et de jovialité, sortit de chez le juge avec, gravé à son front juif, l'accusation immonde de proxénétisme - a-t-il mis des filles sur le trottoir ? - aggravé - les a-t-il frappées ? - en bande - quelle bande ? pas celle du FMI - organisée - quelle organisation ? celle des positions de l'amour physique ? -, j'ai compris qu'il était temps pour moi et pour nous tous, les élus de l'Éternel, de quitter ce radeau de l'antisémitisme qu'est devenue la France et de retrouver les nôtres à Jérusalem, au bord de la mer et du désert.
Les femmes, évidemment, sont sacrées dans leur beauté et leur fraîcheur, elles sont le sucre de la terre, la source de toute joie humaine, et le moindre mal qui leur est fait, la plus petite offense dont on se rend coupables envers elles, sont des péchés contre la nature prodigieuse du monde, mais Dominique n'a fait que les aimer, un peu trop fort, un peu trop longtemps, un peu trop souvent. Est-ce un crime si grand qu'on doive le punir d'une honte et d'une haine mondiales ? Dieu et le peuple de Dieu sont près de toi, mon garçon, sens leur présence comme un souffle léger et parfumé dans ton cou, ne perds pas courage dans cet enfer, un jour, il finira, et tu riras parmi les tiens, dans le bonheur et le soleil retrouvés.
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