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Encore le Proche-Orient et Israël, par Daniel Sibony

Encore le Proche-Orient et Israël, par Daniel Sibony

 

 

    
    Quelqu'un m'apprend qu’un grand expert en « stratégie » mondiale, a lancé une lourde prévision : dans 50 ans l'État d'Israël n'existera plus. Il n'a donc pris aucun risque : dans 50 ans, il ne sera pas là et n'aura pas à affronter le ridicule du démenti que la simple réalité formulera en silence. Je me souviens qu'il y a 25 ans, le même expert avait prévu que la zone cruciale du développement économique, au niveau planétaire bien sûr, (toujours), serait le golfe du Mexique (avec le pétrole, le Texas, le Mexique, la position géographique, etc.) Et qui, aujourd'hui, pense à cette fine prévision et à sa nullité ? Certes, quand la prévision est grave, pas moins que la disparition d'un État, elle semble revêtir des accents de vérité, selon le préjugé bien encrassé, qui veut que prévoir du vivable semble assez étriqué, mais que prévoir l'horreur suppose une vision très profonde. (D'où vient ce réflexe bizarre? À vous de chercher.)

         Toujours est-il que de telles prévisions, justes ou fausses, masquent le sublime foisonnement des réalités, qui toujours, comme la vie, nous surprend. Le monde arabe ne restera pas monolithique, et l'image d’une entité juive souveraine et créative, qui lui esta priori désagréable, voire insupportable, lui deviendra familière, acceptable, et pourrait même lui faire du bien, le stimuler. En outre, pour qui observe les choses sur le terrain, il est clair qu'il y a là, comme partout mais un peu plus, une lutte entre des forces de vie et des forces de mort ; des forces d'affirmation et des forces de déni. Et il semble qu'Israël, avec ou à travers tous ses manquements et toutes ses failles, mais n’ayant pas d'autre choix que de vivre et d'avancer, soit plutôt du côté des forces de vie. En revanche, les forces qui ne veulent pas de son existence, sont ancrées dans une vindicte archaïque, recuite pendant des siècles. Elles pourraient  un jour supprimer l'État hébreu si elles se coalisaient, mais c'est impossible, car la différence vivante qu'elles s'acharnent à nier les rattrape, les travaille, et produit leur dissension, ou la révèle. Il faut donc être un esprit bloqué pour voir ces forces comme un bloc énorme et, à la longue, fatal. Ces courants mortifères existent, on peut les percevoir lors de rituels antijuifs invoquant le djihad, mais on peut aussi les voir à de petits détails. Tenez, j’écris ces notes dans le tramway de Jérusalem. C'est un petit bijou qui traverse la ville d'un bout à l'autre et qui est fort utile à tout le monde, juifs, arabes ou autres. Soudain, je repense au fait que l'État suédois a annulé tous les contrats avec Veolia, l'entreprise qui a mis en place ce tramway, lui reprochant d'unifier ainsi la ville (de part en part), alors que la ville devrait être coupée en deux pour qu'une moitié soit donnée au futur Etat palestinien. Voilà qui s'appelle anticiper la paix. La même Suède, que ses Juifs commencent à fuir car la vie y devient pour eux pénible, vient de reconnaître la Palestine, comme État indépendant. Il suffisait d'y penser. Que cela puisse amener la paix, on peut en douter. La paix viendra de la paix, c'est-à-dire du constat que dans cette région, Juifs et Arabes vivent de fait sans aucun acte agressif, et cohabitent ainsi pendant quelques années. Quand ce constat sera évident, des aménagements s'imposeront. Le journaliste à qui j'ai dit cela m'objecte : Mais il y aura toujours quelqu'un pour faire un acte violent ou terroriste, qui brisera ce statu quo de paix ! À quoi j'ai répondu que s’il y a un traité de paix, en bonne et due forme, après des palabres infinies, il y aura toujours quelqu'un  ou quelques groupes pour faire un acte violent et briser la paix signée. - Mais alors, on est condamné à avoir toujours des problèmes, des troubles et de la violence ? - À peine plus qu'ailleurs. Comme si, dans ce coin de la planète, les frottements inéluctables entre deux identités, étaient plus lisibles qu'ailleurs ; et cela se comprend d’autant mieux que l'une des deux, l’islamique, n'avait pas du tout prévu que l'autre, la juive, aurait un jour une souveraineté. Un tel choc psychique met du temps à se digérer, et les gestes concrets de la vie peuvent faire bien plus pour aider à le faire passer que les palabres officielles.

         Une remarque encore : mon propos sur « Israël côté forces de vie » peut indigner ceux qui ne voient dans ce pays qu’une force coloniale ; une vue que je réfute ailleurs[1], mais que certains croient confirmer en pointant, par exemple, les constructions projetées à Jérusalem. Là encore, leur ignorance du terrain, au sens cadastral et foncier du terme, laisse libre cours à leur passion. Si les Palestiniens sont à plaindre, ce n'est pas d'être spoliés par Israël. (Eux-mêmes vendent des terres à des Arabes qui les revendent beaucoup plus cher à des Juifs avant de disparaître.) Ils seraient à plaindre d'être contrôlés (par check-points et blocus sélectif), mais la réalité montre qu’il y a de quoi. Ils sont plutôt à plaindre d'être à une place telle qu'ils agissent forcément contre leurs propres intérêts ; comme pour s'assurer que leur Cause reste vivante c’est-à-dire sans issue, puisque c'est elle qui les fait exister, et que sans elle, personne ne parlerait d’eux.

         Aujourd'hui, les militants du Hamas, en attaquant des passants au couteau, à la voiture ou au tracteur qui fonce sur eux,  cherchent à produire de la haine chez « les Juifs » ; mais ce sera une haine de circonstance, dont la cause est évidente, et qui cessera avec cette cause. Elle n'a rien à voir avec la haine millénaire qu'on rumine envers eux en terre arabe, et qui est le vrai moteur de ces attaques. Nos experts, ici, n'ont aucune idée d'une haine dont l'objet c’est l'existences même de l'autre, en l'occurrence, d'une souveraineté juive. Déjà les Juifs en terre arabe étaient difficilement tolérés, et ils l'ont payé pendant des siècles par des souffrances où ils ont pu, malgré tout, bâtir une existence et une culture, avant de partir massivement. Mais des Juifs dans un Etat juif souverain, c'est l'insupportable incarné. On comprend que la haine originaire des Arabes envers les Juifs atteigne là des paroxysmes : il faut être fou de haine pour foncer sur des gens avec un couteau ou une voiture. En Occident, on ne comprend pas la haine sans cause, sans autre cause que l'existence de son objet. Alors on lui invente une cause, le désespoir ; et cela inverse toute la scène : les Israéliens sont coupables de désespérer les Palestiniens. Ce ne sont pas les Palestiniens qui sont débordés par la haine première envers les Juifs, qui les empêche de reconnaître un Etat juif,  et qui ne peut que s'exaspérer devant cette double existence (ils sont là et ils sont souverains). Cette inversion est typique des montages pervers. Si des Occidentaux s'accrochent à cette causalité, c'est qu'ils ont besoin de la perversion qui s'ensuit. J’ai montré ailleurs pourquoi (Voir Islam, phobie, culpabilité.)

         Et comment guérir d'une perversion collective ? Seuls les coups venant du Tiers, c'est-à-dire de l'histoire, peuvent constituer un remède. (La perversion nazie a été cautérisée par les armes, non par la persuasion.)

         Je n'en trouve que plus étrange la réaction de Netanyahu, à ces meurtres : Nous ne quitterons pas ce pays ! Aurait-il intériorisé le voeu des islamistes, de vider ce pays de ses Juifs et de faire cesser l'existence d’Israël ? En principe, il n'a pas à répondre à ce niveau-là. Il y a des choses qu'on ne doit même pas nier, c'est déjà trop les affirmer.                                      

[1] Voir Proche-Orient, psychanalyse d’un Conflit (Seuil, 2003)

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