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Erdogan sur le banc de touches? Par David Bensoussan

Erdogan sur le banc de touches? Par David Bensoussan

 

David Bensoussan

Professeur de sciences à l'Université du Québec

 

POINT DE VUE / Bien des observateurs sont déroutés par la personnalité et les agissements du président turc Erdogan dont les contorsions ont de quoi étourdir ou donner le vertige. Il a pu être présenté comme une personne dont les choix sont déterminés et qui semble mener la danse, mais cette interprétation ne tient pas la route. Il semble bien que son passé de footballeur contribue à mieux le déchiffrer.

Un danseur qui occupe toute la piste

«Erdogan fait penser à un cavalier qui virevolte en voulant occuper sans compétition la piste d’un bal quitte à interpréter une chorégraphie polyrythmique : il écrase cruellement les pieds des Kurdes pour les écarter de la piste; joue un tango suggestif en alternant la partenaire russe dont il convoite les missiles anti aériens S400, et la partenaire américaine dont il envie les avions furtifs F35; il fait des entrechats devant le Qatar dont il brigue les largesses et un nez à nez avec l’Iran pour ne pas lui tourner le dos, posture qu’il réserve au dictateur syrien. Il se livre à des simagrées devant Israël pour impressionner les masses arabes, des pieds de nez à l’Égypte pour stimuler les Frères musulmans et une danse du ventre épicée d’un strip-tease devant l’Arabie en infusant chaque jour de nouveaux détails scabreux sur l’assassinat du journaliste saoudien Khassoghi ; il retient une contredanse tout en lorgnant en direction des millions de Turcs installés en Europe qu’il veut fidéliser par ses contorsions anti-occidentales. Et pendant ce temps-là, la Syrie et les Syriens se font donner le bal.» (David Bensoussan, Le ballet des dérives).

Un footballeur tout-terrain

Erdogan est devenu maître des passes aveugles qui ont permis de fourvoyer les Turcs et le reste de l’opinion mondiale relativement à ses intentions réelles. C’est ainsi que son agenda islamique fut avancé combinant l’art d’une effeuilleuse et l’hubris d’un fonceur dont la vision a perdu le sens des réalités.

Il tacle ses adversaires du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest. Il n’en fait qu’à sa tête et ses coups d’envoi calculés sont imprévisibles. Campé tout près de la ligne de touche, il fait semblant de ne pas comprendre qu’il ne peut pas comprendre et agit comme si l’arbitre avait avalé son sifflet, espérant que ces buts fantômes puissent être perçus comme gagnants pour son camp, même s’ils sont considérés être perdants par le reste des équipes. Pour ce qui est de l’esprit d’équipe, il disqualifie d’office les membres de son équipe qui ont des sympathies kurdes. Il utilise ses attouchements gouvernementaux pour castrer la liberté de presse et voit en tous ceux qui ne l’encensent pas des opposants suspects de sédition. Écrivains, journalistes, producteurs cinématographiques et érudits sont inscrits au registre des hors-jeu dans les geôles turques.

Il ignore les cartons jaunes qui rosissent de plus en plus à la limite de la déclassification. Il conteste les coups francs du côté de la Russie et les penalties européens et américains relativement à ses abus des droits d’autrui ou sa politique de faits accomplis à Chypre. Il engage des querelleurs en Syrie et dépêche de l’équipement à l’équipe ukrainienne malgré l’objection de l’équipe russe avec laquelle il est censé faire les 400 coups.

Il sait que son terrain de jeu est un terrain de prédilection pour les équipes occidentales et mise sur cet atout majeur pour se permettre de les vilipender sans retenue. Il persiste à embrigader ses exaltés en Europe même et l’Union européenne craint leur effet déstabilisant sur la société. Il aguiche l’OTAN par des jeux de passe complexes au point où on se demande s’il sait où se trouve le but adverse.

Il a un commanditaire unique, le Qatar, qui parraine ses ambitions et ses maillots aux couleurs tantôt turques, tantôt ottomanes et tantôt islamiques. Son agressivité pléthorique face à l’Égypte et les équipes sunnites l’isolent encore plus du bassin de sympathisants potentiels. Il tente de convaincre les équipes islamiques qu’il a la baraka et lance des imprécations de vaudou à l’endroit d’Israël afin de mieux les convaincre. Il se fait représenter par des casseurs en Libye et propose des coups d’envol destructeurs aux Azeris bien qu’il arrive que le ballon ne revienne pas toujours sur le terrain.

C’est un FTT (Footballer tout-terrain). Tel un multipède, il drible des passes trompeuses vers ses multiples adversaires sans prendre le temps de récupérer la balle. Il ne fait guère confiance au fair-play des joueurs iraniens et dispose une muraille de défenseurs en permanence devant son propre but. Il refuse de reconnaître que son équipe a fait des infamies à la formation arménienne. Il agit tel un sultan ottoman au pouvoir absolu pour qui Alger, Médine, Kirkuk et Belgrade lui sont redevables en tout. Pour ce qui est de l’équipe grecque, il se comporte comme si la guerre de Troie est loin d’être finie.

Erdogan sur le banc de touches?

Aux prises avec la Némésis lorsqu’il n’obtient pas ce qu’il veut, le président Erdogan est hors ligue. Il a rebuté les équipes étrangères et découragé ses groupies.

Aucune de ses victoires discutables n’a rapporté des sonnantes et des trébuchantes desquelles son pays a désespérément besoin. Il est fort possible que l’économie soit le croc-en-jambe qui lui fera s’aplatir sur le terrain. Les réserves de la Banque centrale sont épuisées et les adhérents de son équipe s’amenuisent dans les grandes villes.

Il semble bien qu’il lui sera difficile de disposer d’un autre tour dans son sac d’ici les élections de 2024.

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