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Eric Fottorino: "J'ai détesté écrire ce livre, c'était trop douloureux"

Eric Fottorino: "J'ai détesté écrire ce livre, c'était trop douloureux"

 

Trente ans après avoir entamé sa quête des origines, le journaliste et écrivain Eric Fottorino publie une poignante déclaration d'amour à sa mère. "Dix-sept ans", comme la clé de voûte d'une œuvre autobiographique traitée sur le mode de la fiction.

En 1988, le jeune journaliste Eric Fottorino faisait ses débuts au "Monde", quotidien où il a exercé toutes les fonctions jusqu'à celle de directeur. Cette année-là, il entamait aussi son roman familial régulièrement enrichi au fil du temps. "Mes livres ont scandé ces trois décennies avec des temps plus forts que d'autres, confie l’auteur. "Dix-sept ans" en est le point d’orgue, la pièce manquante. Tous ces romans racontent la même histoire, mais avec une lumière et un personnage central différents."

La protagoniste de "Dix-sept ans" est cette fois la figure maternelle, appelée Lina. Alors qu'elle était à peine sortie de l'adolescence, Lina a connu un jeune étudiant en médecine, juif marocain. De cette relation est né le petit Eric, le 26 août 1960 dans une clinique de Nice. Naissance clandestine, dissimulée, voire niée par une famille bigote et rigoriste.

 

Il me fallait retrouver Lina. Mon existence en dépendait. Toutes mes pensées affluaient vers une gamine saisie au vif sur la promenade des Anglais, dans ces journées de soleil où elle croyait que l'avenir existait. Il était temps de rembobiner le temps. De m'enfoncer là où je n'étais jamais allé, au plus profond de l'oubli.
Extrait de "Dix-sept ans", Eric Fottorino

 

 

Reconstituer le passé

Ce livre est donc la tentative d'un fils de recomposer lambeau par lambeau les jeunes années de sa mère. Cette mère qu'il n'a jamais vraiment su aimer comme telle, mais plutôt comme une grande sœur. Il a fallu que Lina, sur le tard, révèle un secret qu'elle n'avait jamais divulgué pour que le narrateur ressente le besoin impérieux de se rendre à Nice en décembre 2016 afin d'y mener l'enquête sur les circonstances troubles de sa naissance.

Grâce à l'appui de plusieurs personnes bienveillantes, il parviendra à reconstituer le passé et à recréer un véritable lien filial avec celle qu'il sera enfin capable d'appeler maman.

"J'ai détesté écrire ce livre, affirme Eric Fottorino, c'était trop douloureux. Pendant des années, j'ai pensé qu'il n'existerait pas. Car je savais que j'allais traverser une douleur qui était celle de ma mère jeune fille et que, sur cette douleur, je n'avais plus de prise." Cette histoire intime et douloureuse a ainsi résisté à la plume de l'auteur. Une dizaine de versions successives et quatre ans de travail ont été nécessaires avant que le livre ne soit prêt à la publication.

 

J'appréhendais ce contact avec la promenade des Anglais. La sensation de marcher sur des morts. Nous étions cinq mois après les attentats. (…) La ville refermait ses plaies tant bien que mal. Moi j'en rouvrais de très anciennes. A côté d'un si grand drame, que venait faire notre histoire familiale?
Extrait de "Dix-sept ans", Eric Fottorino

 

L'histoire d'une renaissance

Le 14 juillet 2016, un terrible attentat au véhicule bélier a été commis à Nice, lorsqu'un camion fou a fauché des dizaines de badauds venus assister aux festivités. Ce drame est venu à son tour bouleverser l'écriture de "Dix-sept ans". Eric Fottorino le confirme: "Je me suis arrêté d'écrire pendant quelques mois, sans savoir comment raconter notre petite histoire familiale alors que venait de se passer un drame qui a polarisé l'attention du monde entier". Ainsi, dans son roman, l'auteur établit régulièrement un lien entre les blessures encore vives de la ville traitée comme un personnage et celles d'une jeunesse meurtrie enfouie au cœur de son enquête.

Ecrire contient le mot crier. Crier est l'anagramme d'Eric. Ce livre est donc le cri étouffé d'une mère, rendu audible près de soixante ans plus tard par un fils bouleversé. C'est enfin l'histoire d'une renaissance et d'une reconnaissance mutuelle. Ainsi, cette conclusion sur la dernière page: "Il est cinq heures du soir et nous venons de naître."

Jean-Marie Félix/ld

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