Eric Zemmour : la double peine des Juifs français. Par Yonathan Arfi. VP du CRIF
Eric Zemmour ne s’encombre pas de la nuance : tout ce qui dépasse, détonne, dissone, doit être supprimé. C’est la quête d’une France rabougrie et monochrome. Et malheureusement, les Juifs, ça ne rentre pas bien dans les cases… Certains disent même que nous avons été inventés pour ça.
Les Juifs sont d’ailleurs doublement victimes du discours d’Eric Zemmour : une fois victimes de ce qu’il dit, une autre du lieu d’où il s’exprime. Une fois, politiquement, une autre, symboliquement. Sur le plan politique, ce qu’il propose a le goût et l’odeur des vieux classiques de l’extrême-droite. Eric Zemmour attaque à tous les temps. Au passé, d’abord : « Pétain a sauvé les Juifs français » (Octobre 2019), fantaisiste révision de l’Histoire.
Au présent ensuite : « la Kippa est une sorte de selfie religieux » (Janvier 2016) ou hier matin en voulant « obliger à donner des prénoms français ». Les Eytan, Déborah, Ilan, Rivka, Amir, Shirel, Gad… et les Français qui portent la kippa apprécieront. Au futur, enfin, puisque Eric Zemmour s’arroge même le droit de déterminer la légitimité de nos lieux de sépulture. Même morts, nous sommes coupables. Pour Eric Zemmour, se faire enterrer en Israël, c’est de l’évasion funéraire ! Sur le fond, rien de bien nouveau. Eric Zemmour, ce sont les provocations de Jean-Marie Le Pen avec le look de Bruno Mégret.
Mais le prix le plus élevé que les Juifs paient n’est pas seulement la remise sur le devant de la scène de ces vieilleries politiques. Non. Le plus insupportable vient du fait que ces provocations soient l’expression d’une personnalité largement identifiée comme juive.
Je ne cherche pas à analyser le rapport d’Eric Zemmour à son identité juive. Ce rapport intime lui appartient et je réclame pour chacun, et donc pour lui aussi, le droit d’échapper à toute assignation identitaire. Ce qui est certain, en revanche, c’est que ses propos ne trouveraient pas un tel écho s’ils n’étaient pas formulés par une personnalité perçue comme juive. Les linguistes et communicants le savent, l’identité du locuteur compte dans la réception du message. Et en l’espèce, qu’une personnalité portant un nom juif, fasse la promotion des discours d’exclusion visant notamment les juifs et les musulmans, donne une légitimité inédite au propos. Qu’il le veuille ou non, Eric Zemmour contribue à apporter à l’extrême-droite ce que Marine Le Pen cherche depuis longtemps : un certificat « casher » dont elle espère qu’il lui apporte une légitimité nouvelle. Cette dimension là peut paraître secondaire par rapport aux propos de Zemmour, mais pour moi, elle est la plus inacceptable. Celle qui me fait le plus mal.
En tant que Juifs, nous ne sommes bien entendu pas responsables des propos d’Eric Zemmour. Mais nous avons la responsabilité de nous mettre en travers de leur chemin.
Yonathan Arfi
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