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Gaza : le choix de Bibi

Gaza : le choix de Bibi (010505/19) [Analyse]

Par Jean Tsadik © Metula News Agency

Cela faisait au moins cinq ans que nous l’évoquions sans rencontrer d’écho parmi nos pairs, y compris en Israël. Aujourd’hui, alors que la confrontation avec les organisations terroristes islamiques de Gaza glisse vers une guerre généralisée, tous les spécialistes militaires et les media de l’Etat hébreu ont soudain adopté cette explication : la stratégie de Binyamin Netanyahu consiste à maintenir la gouvernance du Hamas dans la bande côtière afin d’exclure Gaza de la discussion politique quant à l’avenir des Palestiniens.

 

Au demeurant, c’est une option stratégique aussi valable qu’une autre ; l’idée de séparer l’avenir de Gaza de celui de la Cisjordanie suggère en effet un grand nombre d’avantages pour l’Etat hébreu, particulièrement pour ceux qui ne veulent plus entendre parler de la création d’un Etat palestinien indépendant.

 

Mais ce n’est pas la seule voie envisageable, et surtout, elle a un prix exorbitant, ce qui fait qu’elle ne constitue pas le choix préférentiel de la plupart des spécialistes.

 

Cette variante est principalement basée sur la résilience des habitants du Néguev et sur l’acceptation du fait de devoir subir plusieurs fois par année des tirs de roquettes en provenance de l’enclave palestinienne. Cela implique de laisser l’initiative de la violence à l’adversaire, mais cela aussi peut constituer une stratégie souvent utilisée par les joueurs d’échecs.

 

A la base de ce calcul, l’observation de ce que le Hamas et le Djihad ne possèdent en matière d’armes offensives "que" des roquettes. Or l’on connaît bien les dégâts que les roquettes sont capables de causer. Ainsi, si lors de l’affrontement de janvier dernier, par exemple, les terroristes ont tiré cinq cents roquettes en une nuit et n’ont causé "que" quelques dizaines de blessés et des dégâts matériels dont Israël est financièrement capable d’assumer le prix, pour M. Netanyahu, la fin qu’il poursuit justifie ce sacrifice.

 

C’est d’autant plus vrai que les organisations djihadistes de Gaza n’ont pas accès à d’autres types d’armes et qu’au vu de leur isolement relatif, elles n’en disposeront pas dans un avenir probable. Parallèlement à cette constatation, elles ont toutefois la capacité de fabriquer des roquettes en grandes quantités avec les moyens élémentaires dont elles disposent. Car ces roquettes ne sont pas beaucoup plus qu’un tuyau de métal rempli d’un carburant et de matériaux explosifs. Pour le carburant, on en trouve partout, même à Gaza, quant aux explosifs, je suis disposé à vous apprendre à en confectionner artisanalement avec divers types de produits apparemment inoffensifs que l’on trouve dans le commerce, notamment des substances nécessaires à l’agriculture. Pour compléter cette description, notons tout de même qu’avec l’expérience et l’aide technique de mentors tel que l’Iran, les terroristes parviennent à réaliser des fusées de plus en plus performantes. Non pas particulièrement au niveau de la précision, mais surtout de leur rayon d’action, de leur vitesse et de la masse d’explosifs que ces roquettes peuvent emporter. Désormais, le Hamas et les autres factions islamiques disposent de l’équivalent du Fadjer 5 iranien, à même d’atteindre Tel-Aviv et d’y acheminer une charge de 90kg d’explosifs.  

 

D’ailleurs, je suis en mesure d’attester que la roquette qui a frappé la maison vide au cœur de Beersheva était un Fadjer et pas un simple Kassam. Les dégâts provoqués par une charge de 90kg n’ont rien en commun avec les 30 ou 40 kilos des Kassam ; boostés par la force d’inertie qui accompagne leur chute, les Fadjer peuvent aisément détruire un immeuble entier jusqu’à ses fondations.

 

Ne me situant pas dans un contexte de jugement mais d’évaluation, je n’ai aucunement l’intention de disqualifier cette décision de Netanyahu pour des raisons de morale. Ce, car toute décision stratégique comprend un coût, des risques et des sacrifices, et ne saurait être considérée à l’aune de sa popularité. Le vrai rôle d’un authentique chef d’Etat est de gouverner et non de plaire, reste simplement à savoir si la préférence stratégique du Premier ministre et ministre de la Défense sortant est judicieuse ou non.

 

Ceci dit, nous en sommes déjà après 36 heures de combats à quatre morts et à 121 blessés israéliens (4 dans un état grave, 60 légèrement touchés et 61 en état de choc), et je crains que le bilan ne soit que provisoire. C’est le prix humain du sacrifice en vue de la tentative de séparer Gaza de la Cisjordanie et c’est la troisième fois que nos concitoyens du Sud le paient depuis novembre dernier sans que personne n’ait jamais demandé s’ils étaient consentants.

 

On peut légitimement se demander si le Premier ministre accorde une grande considération à ses concitoyens. Je fonde mon interrogation sur le fait qu’il n’est pas intervenu publiquement pour s’adresser à la nation depuis le début des hostilités ; or je peine à imaginer que si Dallas et Houston avaient reçu six cents projectiles en un peu plus d’une journée, Donald Trump ne se serait pas adressé aux Américains. Ce, d’autant plus que lorsqu’il s’était senti injustement tourmenté par la justice, M. Netanyahu n’avait pas hésité à infliger son argumentaire de défense à tous les Israéliens, sur toutes les chaînes de télévision sur le coup de 20 heures. Ils n’avaient d’ailleurs pas tous compris le sens de cette intervention.

 

A l’intention de ceux qui douteraient de l’existence de la stratégie de Bibi que j’affirme, qui nécessite le maintien du Hamas à Gaza et le refus de discuter avec l’Autorité Palestinienne, je dis que le Premier ministre l’a énoncée explicitement. C’était le 11 mars dernier à l’occasion de la convention du Likoud. Binyamin Netanyahu plaidait afin d’autoriser le transfert au Hamas de l’argent qatari devant des délégués récalcitrants, il leur a dit textuellement : "Si vous ne voulez pas d’Etat palestinien, nous devons accepter le transfert de l’argent du Qatar au Hamas".

 

Au-delà des morts et des blessés, des dizaines de maisons endommagées ou détruites, des vies brisées d’enfants élevés dans la terreur des agressions intermittentes des terroristes, des parents affectés dans leur équilibre psychologique, l’exposition à la mort que M. Netanyahu fait subir régulièrement à un million de personnes sur un quart du territoire tutoie la déraison.

 

Pour préserver le Hamas et conserver son option, il ordonne à l’Armée de permettre aux terroristes islamiques de tuer des Israéliens dont il a la charge de la sécurité, il impose aux aviateurs de tirer sur des dunes et des bâtiments vides. Il les oblige à prévenir des criminels assoiffés du sang de nos compatriotes avant d’oblitérer leurs cibles.

 

Netanyahu empêche les agriculteurs de cultiver leurs champs et de veiller sur leurs récoltes, comme cela a été le cas hier et aujourd’hui. Les écoles ont dû garder leurs portes closes et deux-cent-trente-mille écoliers ont été contraints de rester chez eux à proximité de leur abri pour ceux qui ont la chance d’en posséder un, entourés du bruit insupportable des impacts de roquettes et des interceptions du Dôme de Fer. Ce, pendant que leurs parents, tremblants d’inquiétude, se rendaient sur leur lieu de travail, où certains ont perdu la vie. Un véhicule civil a également été pulvérisé par un missile antichar russe du Hamas de type Kornet, le conducteur a évidemment péri. Il me faut préciser que les mouvements des transports en commun, bus et trains, ont été interrompus, jetant les salariés du pourtour de Gaza sur les routes exposées au danger.

 

Soyons absolument clairs : Tsahal peut anéantir le Hamas en moins d’une semaine, sans être confronté à des risques de pertes extravagantes pour ses soldats. De plus, il n’est pas obligé de reprendre le contrôle de la bande côtière indéfiniment. Il peut se baser sur l’opposition aux islamistes qui, selon les estimations de Sami el Soudi, atteint plus de soixante-dix pour cent des Gazaouis. Israël pourrait aisément cultiver un leadership alternatif parmi eux, mais c’est précisément ce que Binyamin Netanyahu tente d’éviter : des gens sensés et reconnaissants, avec lesquels on n’a aucune raison logique de ne pas communiquer, mais qui peuvent, à n’importe quel moment, se rapprocher de l’Autorité Palestinienne.

 

Alors le chef de notre exécutif accepte qu’Ashdod (225 000 hab.) et Beersheva (210 000 hab.) soient bombardées plusieurs fois par an par une horde de dégénérés hystériques, et paralysées, de même que tout le Sud-Ouest du pays. Les miliciens d’un califat hors du temps qui ne disposent que d’un armement primitif face à celui de la cinquième puissance militaire mondiale sont ainsi autorisés à geler l’activité d’un million d’êtres humains. Ils ne disposent en réalité que de la faculté de nuisance que nous leur consentons.

 

Depuis hier, ils ont cependant tiré plus de six cents roquettes sur les Israéliens !

 

Il existait un cadre à ces confrontations qui durent généralement un jour ou deux. Parce qu’en plus du reste, on se parle et on se comprend même bien entre les chefs du Hamas et Bibi Netanyahu. Pour rester dans le statu quo, ils ne pouvaient pas tirer à plus de quarante kilomètres de leur enclave (cela exclut Tel-Aviv et Jérusalem, mais pas Ashkalon, Ashdod ni Beersheva). En contrepartie, faute de moulins à vent, on se contentait de s’attaquer avec férocité et détermination aux dunes de Gaza.

 

De plus, les chefs principaux du Hamas, à l’instar de Yahya Sinwar et d’Ismaïl Hanya, pouvaient se promener où bon leur semblait sans courir le moindre risque d’être dérangés. D’ailleurs Sinwar se trouve au Caire où il est arrivé avant le début des hostilités qu’il a probablement planifiées, et d’où il conduit les négociations en vue d’une trêve avec Jérusalem. A Gaza-city aussi, ils pouvaient déambuler sans crainte de se faire éliminer par un missile. C’étaient les personnes les plus en sécurité de l’enclave palestinienne, puisque Bibi ne pouvait pas s’en passer pour conduire sa "stratégie" anti-Etat palestinien.

 

Israël avait le loisir d’éliminer à sa guise des chefs miliciens de second plan sans que cela n’empêchât Sinwar et Hanya de dormir, mais non les chefs du Hamas tout court.

 

Mais, à la guerre comme à la guerre, les arrangements secrets entre ennemis ne dispensent pas de la haine ni des bavures. Déjà qu’à part les spécialistes, et encore depuis peu, la population israélienne était révulsée par les confrontations endémiques avec le Hamas sans saisir pourquoi on l’épargnait - mais en le pressentant -, les morts ont fait déborder le vase, comme nous l’envisagions dans notre breaking d’hier.

 

Face aux tirs incessants, à l’emploi des Fadjer, mais aussi de missiles antichars russes et de mortiers, le Khe’l Avir est redevenu l’aviation d’un pays qui a récupéré le droit de se défendre que son Premier ministre lui avait confisqué. Dans un premier temps, il s’en est pris aux bureaux des organisations terroristes, en plus des entrepôts et ateliers d’armement. Puis, les tirs se poursuivant, les chasseurs-bombardiers et les drones ont ciblé les lanceurs de roquettes ainsi que les maisons des dirigeants du Hamas sous lesquelles sont dissimulées les armes les plus sophistiquées à disposition de l’organisation terroriste et, encore un peu plus tard, il a procédé à ses premières éliminations ciblées depuis très longtemps.

 

La première victime de ces frappes chirurgicales et individuelles depuis 2014 est Hamed Ahmed Abed Khudari. Il était responsable pour le Hamas de l’organisation de grosses opérations clandestines de transferts d’argent iranien.

 

Cela s’est passé à 15h25 locales, depuis plusieurs autres dirigeants ont été éliminés de manière semblable, pendant que le cabinet sécuritaire israélien siégeait ; sa réunion a duré cinq heures et a abouti à l’instruction transmise à Tsahal de "poursuivre les frappes à Gaza et de se préparer pour la suite", précisant que "la considération ultime était la sécurité du pays et de ses habitants".

 

Des formules un peu trop succinctes et sibyllines pour une si longue séance. Nous ne sommes pas convaincus du tout que M. Netanyahu ait abandonné sa "stratégie" et que l’on ne nous annoncera pas un nouveau cessez-le-feu au milieu de la nuit, qui ne servirait naturellement que les intérêts des terroristes islamiques.

 

Pour le moment, à 21h, on en est à 260 raids du Khe’l Avir depuis hier matin et à 620 tirs de roquettes, dont 520 ont pénétré sur le territoire israélien, 335 ont été épargnées par le Dôme de Fer après que son ordinateur a déterminé qu’elles exploseraient dans un lieu inhabité, et 150 ont été interceptées par le Dôme. 35 ont touché des zones habitées générant des dégâts, des morts et des blessés.

 

Les activités de la plateforme maritime d’exploitation gazière de Tamar ont été interrompues. Elle est située à vingt kilomètres au large d’Ashkalon et c’est trop près de Gaza pour que sa sécurité soit garantie.

 

Les points de passage entre Israël et l’enclave palestinienne sont fermés, l’autorisation de l’extension du domaine de pêche des Gazaouis a été annulée. Il n’empêche que l’Etat hébreu, en pleine guerre, a tout de même fourni 650 000 litres de fuel à ses ennemis, dans des camions qui ont transité par le point d’entrée de Kerem Shalom.

 

Sinon, les tirs de roquettes se succèdent à intervalles de quelques minutes, de même que les interventions du Khe’l Avir et des blindés. Deux brigades, soit plus ou moins dix mille soldats, dont la célèbre Brigade blindée no.7, ont été envoyées dans le Sud, et une autre, de parachutistes, est prête à les imiter.

 

Pour le reste, la population de l’Etat hébreu, à part Binyamin Netanyahu, est plongée dans l’inconnu, à 48h du Jour du Souvenir des soldats morts dans les guerres d’Israël et à 72h du jour durant lequel elle fête son indépendance.

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