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Hezbollah : ne pas perdre le Nord

Hezbollah : ne pas perdre le Nord (info # 013001/15)[Analyse]

Par Stéphane Juffa© MetulaNewsAgency

 

Hier jeudi, Avigdor Lieberman, le ministre israélien des Affaires Etrangères, a violemment critiqué le 1er ministre Binyamin Netanyahu pour les décisions qu’il a prises suite au guet-apens du Hezbollah qui a coûté la vie à deux soldats israéliens et en a blessé sept autres.

 

Lieberman a ainsi affirmé que "limiter la portée de l’évènement et le manque de réponse israélienne signifie qu’Israël accepte les termes imposés par le Hezbollah. Il s’agit d’une sérieuse atteinte aux capacités israéliennes de dissuasion. (…) Si nous ne ripostons pas immédiatement avec force, les organisations terroristes comprendront qu’Israël ne peut pas efficacement combattre la terreur. Eux aussi savent que les mots et les déclarations ne peuvent pas anéantir le terrorisme ; ce ne sont que les actions dures et déterminées qui sont capables de détruire les fondations de la terreur".

 

Il a ajouté qu’ "une réponse proportionnelle dans le cadre des "règles du jeu" est précisément ce que veulent les terroristes, car ils désirent nous entraîner dans une guerre d’usure".

 

Presque rien à dire au fond quant à cette analyse, à part qu’elle manque cruellement de nuances et qu’elle n’intègre pas tous les paramètres du bras de fer qui oppose l’Etat hébreu à l’Axe des affreux, Hezbollah, al Assad et l’Iran.

 

Sur la forme, il est un peu plus choquant d’assister à ce lavage de linge sale en public, quelques heures après la mise en terre des deux militaires et tandis que les blessés sont encore hospitalisés. D’autre part, le détenteur du portefeuille des Affaires Etrangères étant en principe le diplomate d’un gouvernement, son rôle consiste à arrondir les angles et à prôner l’apaisement, exactement le contraire du discours que tient le Raspoutine de la politique israélienne.

 

Mais il nous faut relativiser notre remarque, en constatant que Netanyahu ne tient que le ministre de la Défense et l’état-major de Tsahal dans le secret de ses délibérations, et que si les autres membres de l’exécutif ont un point de vue à exprimer, ils ne peuvent le faire connaître que par voie de presse. Or rien de sensé ne devrait priver un membre de l’exécutif, surtout un ministre régalien, du privilège de participer à la conduite des affaires du pays.

 

On est en présence de l’une des manifestations détestables de la gestion en solo de l’Etat par Binyamin Netanyahu, et nous l’avions déjà déploré à l’occasion de l’Opération Rocher Inébranlable, cet été contre le Hamas.

 

Il y aurait beaucoup à ajouter sur la dangereuse chienlit qui sévit ces jours au sommet du pouvoir politique en Israël, mais ce n’est pas le propos de notre intervention. Celui-ci étant précisément de poser la question : fallait-il infliger à l’Axe du mal une "riposte disproportionnée", ou la retenue choisie par le gouvernement constitue-elle la réponse la mieux adaptée à l’agression préméditée commise par la milice chiite libanaise ?

 

Pour répondre à cette interrogation, on doit d’abord poser deux principes fondamentaux en matière de stratégie ; le problème, dans la situation qui nous interpelle, étant qu’ils sont contradictoires :

 

L’unique façon d’empêcher un ennemi de s’attaquer à votre territoire, à vos concitoyens et à vos soldats, passe par la dissuasion. Il n’est guère possible, en temps de non-belligérance, d’interdire au Hezbollah (aux Pasdaran ou aux soldats de l’Armée alaouite) d’installer cinq rampes de missiles Kornet à quatre kilomètres de l’une de vos routes civiles, de diriger le faisceau de leurs lasers sur des véhicules et de faire feu.

 

La dissuasion consiste à convaincre l’ennemi que toute action de ce genre de sa part entraînera une riposte de la vôtre qui lui coûtera infiniment plus que le bénéfice relatif des destructions qu’il vous aura infligées.

 

Mais faute de représailles de votre part, et en cela Lieberman a parfaitement raison, l’ennemi, vous considérant incapable de réagir, sera enclin à multiplier ses agressions et vous obligera à vivre dans une situation sécuritaire dégradée.

 

L’autre principe stratégique fondamental est au moins aussi péremptoire et universel ; il consiste à prescrire qu’un Etat ne déclenche un conflit armé que s’il ne peut résoudre un problème autrement (Guerre des Six Jours), ou s’il pense pouvoir obtenir des gains essentiels en faisant parler les armes (l’invasion de la Crimée par la Russie).

 

Cet axiome incontournable prescrit de ne jamais déclencher une guerre répondant à l’agenda d’un ennemi. De ne jamais surréagir à l’une de ses provocations, et de toujours garder à l’esprit qu’un Etat n’est jamais obligé de s’engager dans une confrontation armée alors qu’il ne l’a pas mûrement décidé.

 

Et si un Etat se résout à déclencher un conflit, il lui faudra encore, et c’est une condition sine qua non, définir, entre son pouvoir politique et ses généraux, des objectifs stratégiques – que veut-on obtenir à l’issue du conflit -, (par exemple, pour Poutine, l’annexion de la Crimée) ainsi que tactiques – quels objectifs militaires est-il nécessaire de réaliser afin de rendre possibles les objectifs stratégiques – (en confinant les soldats ukrainiens dans leurs casernes, en empêchant leurs avions de s’envoler et leurs navires d’appareiller).

 

Faute d’avoir respecté le second principe en 2006, suite à une embuscade localisée du Hezbollah à la frontière-nord, Ehud Olmert avait précipité Tsahal dans une guerre pour laquelle il n’était pas préparé, et sans fixer d’objectifs ni tactiques ni stratégiques à ses soldats. Or si l’on ne définit pas quels sont les buts à atteindre – c’est une lapalissade – on ne les atteindra pas.

 

La difficulté à déterminer des objectifs participe d’un problème endémique des gouvernants israéliens depuis la Guerre des Six Jours, à l’exception notable des périodes de gouvernance d’Itzkhak Rabin, d’Ariel Sharon et d’Ehud Barak, qui figuraient parmi les plus grands généraux israéliens et qui étaient des experts reconnus en la matière.

 

Même Rocher Inébranlable, cet été, fut un désastre sur le plan de la détermination des objectifs stratégiques et tactiques, ce qui est largement imputable à Binyamin Netanyahu. Ce dernier n’avait fixé aucune mission à l’Armée et n’avait aucune idée de la situation politique à laquelle il entendait parvenir à l’issue des combats. C’est pour ces raisons que cet affrontement, face à une milice terroriste aux moyens somme toute limités, a duré cinquante jours. La décision d’accepter un cessez-le-feu, comme le reste, fut prise à l’avenant et sans consultation des ministres, pas même ceux du cabinet restreint politico-sécuritaire.

 

Israël ne doit qu’à la détermination du maréchal égyptien al Sissi l’isolation de la Bande de Gaza, l’obtention d’un gain stratégique majeur empêchant le Hamas de se réapprovisionner, de réhabiliter ses ouvrages militaires et de se réarmer.

 

Il s’agit d’un cadeau inattendu issu d’un intérêt commun providentiel avec le Caire, mais pas d’un calcul prémédité et encore moins de l’objectif stratégique que Netanyahu aurait poursuivi en déclenchant ce conflit. En fait, en détruisant les tunnels de contrebande et quelques mille maisons palestiniennes en Egypte pour y créer un no man’s land, al Sissi poursuit et concrétise stratégiquement Rocher Inébranlable, transformant une planification défectueuse des autorités politiques israéliennes en une victoire probante.

 

Mais c’est un effet du seul hasard, ce qui a fait dire hier à Yvette Lieberman : "Quiconque considère Gaza et l’opération Rocher Inébranlable comme un exemple de dissuasion démontre, en réalité, le contraire de la dissuasion et de la manière dont les organisations terroristes doivent être traitées".

 

Le questionnement que nous abordons ici constituera à n’en pas douter l’un des sujets principaux de la campagne électorale, et le 1er ministre en exercice aura fort à faire pour justifier ses décisions face à ses rivaux et au public israélien.

 

Suite à l’embuscade de mercredi, Netanyahu a décidé de ne pas surréagir, et il avait raison en cela, car on ne déclenche pas une guerre pour la perte de deux soldats, malgré toute la douleur que l’on peut ressentir en couchant ce constat par écrit.

 

Nous, de préciser qu’Israël n’a strictement aucun intérêt à réoccuper tout ou partie du pays aux cèdres, qui ne regorge de rien qui pourrait intéresser Jérusalem. Le Liban constitue, au contraire, un enfer communautaire incandescent et au demeurant immaitrisable. Ces considérants suffisent à prendre la décision de ne pas déclencher intentionnellement un conflit à moins d’y être forcé.

 

Or, mercredi, les options qui s’offraient à l’état-major de Tsahal étaient assurément de nature à plonger la région dans une nouvelle guerre : à la Kiria (Q.G de Tsahal, Tel-Aviv), on a cherché toute l’après-midi à identifier une riposte qui nous permettrait de conserver notre pouvoir de dissuasion sans risquer l’escalade. Et on n’a pas trouvé !

 

Car si on avait frappé des objectifs du Hezb au Liban en s’assurant de ne faire aucune victime, comme Tsahal est parfois amené à le faire, on n’aurait dissuadé personne. Il fallait soit frapper très fort, de façon disproportionnée, soit avaler son amertume et rétablir le calme le plus rapidement possible.

 

Frapper très fort, cela signifiait détruire certaines des nombreuses infrastructures du Hezb au Liban-sud et dans la plaine de la Bekaa, et anéantir des postes de commandement centraux de la milice dans la région de Beyrouth. Dans ces hypothèses, après avoir ramassé ses morts, Nasrallah aurait probablement déclenché un barrage de roquettes sur Israël, obligeant l’Etat hébreu à intervenir pour protéger ses citoyens. Lors, l’expérience a montré qu’il est impossible de faire taire les tirs de Katiouchas sans intervenir au sol ; et en envoyant Tsahal occuper une partie du Liban, on entrait dans le scénario que les stratèges de Tsahal désirent éviter à tout prix.

 

Le Hezbollah a participé à favoriser la décision de retenue. Il l’a fait en envoyant un message à Israël par l’intermédiaire des soldats de l’ONU, assurant Jérusalem qu’il n’était pas non plus intéressé par un affrontement global, et que si Israël ne répliquait pas, il agirait également pour un retour au calme, considérant avoir vengé la mort de ses chefs militaires et du général iranien, voici douze jours, dans le Golan.

 

Côté israélien, on a froidement considéré que l’offre était intéressante, car il n’est pas proportionné non plus de comparer la neutralisation des deux principaux chefs militaires du Hezbollah, Djihad Mournieh et Mohamed Issa, le plus brillant général de la Force Quds iranienne et un autre de ses officiers supérieurs, ainsi que huit autres Pasdaran et miliciens, à la perte d’un capitaine et d’un sergent de Tsahal.

 

D’un strict point de vue stratégique, l’Armée d’Israël a porté un coup déterminant au sommet de l’appareil militaire de ses ennemis, tandis que celui-ci a assassiné deux soldats, dont la perte n’impacte en rien les capacités combattantes de Tsahal. J’ai conscience du fait que cette évaluation morbide se situe à la limite du supportable pour un Israélien, mais je vous assure qu’elle est intervenue dans la décision des dirigeants politiques et militaires d’Israël.

 

Une autre option de représailles existait ; elle consistait à frapper en Syrie, ne serait-ce que pour indiquer à Khamenei qu’Israël n’est pas dupe et qu’elle sait que c’est lui qui commande directement à la Force Quds et qui distribue les ordres à Nasrallah.

 

Dans cette optique, on a certainement considéré, à Tel-Aviv, que les milliers de miliciens libanais participant à la Guerre Civile œuvrent en Syrie telle une armée régulière et non, comme ils le font au Liban, en livrant un combat de guérilla. En Syrie, les Hezbollani disposent de dizaines de véhicules, de casernes, de pièces d’artillerie et même de chars d’assaut américains flambant neufs, qui leur ont été livrés par le gouvernement chiite irakien, qui venait de les toucher des Etats-Unis.

 

Tout cela fait des proies faciles pour le Khe’l Avir, qui pourrait réaliser un véritable carnage, sans pour autant toucher au front libanais, ce qui réduirait le risque d’embrasement de la frontière. Mais deux considérations ont sans doute retenu l’élan de Benny Gantz et de ses pairs : le Hezb, sans le vouloir, participe à tenir éloigné l’Etat Islamique des frontières d’Israël, et il ne serait pas très avisé de s’en prendre à son bouclier improvisé ; d’autre part, on a probablement estimé, à la Kiria, qu’il valait mieux conserver cette option dans le cadre d’une situation "encore plus grave", comme pour inciter la milice chiite à cesser des tirs massifs de roquettes dans le cadre du début d’une confrontation généralisée. Perdre cinq cents combattants d’un coup en Syrie, et risquer de voir le reste mourir, voici de quoi ramener à la raison, le cas échéant, le secrétaire général du Hezbollah.        

 

Cette considération en amène une autre, qui a probablement échappé à M. Lieberman : la dissuasion israélienne s’applique déjà sur les décideurs du Hezbollah et leurs patrons iraniens. Ils sont, sans l’ombre d’un doute sensé, conscients de l’extrême vulnérabilité des 6 à 8 000 miliciens chiites libanais combattant aux côtés des alaouites, tout comme ils savent que Tsahal possède la capacité de les écraser au Liban, et que cela emplirait de joie leurs compatriotes chrétiens, sunnites et druzes.

 

C’est le choix de la cible de leur guet-apens qui le démontre ; elle constitue une riposte limitée, presque marginale, qui n’a blessé aucun civil et au cours de laquelle on n’a pas tenté d’enlever d’Israéliens. Sous couvert de la surprise, les miliciens auraient pu faire bien plus mal à l’Etat hébreu… s’ils n’avaient pas craint de le rendre furieux. Alors certes, les chiites fêtent une victoire, heureux d’avoir fait couler le sang des nôtres. Mais ce qui compte, en dépit des sentiments que ces réjouissances peuvent nous inspirer, c’est la réalité des forces en présence, sur laquelle j’espère avoir levé une partie du voile, et non la mascarade.

 

Mascarade qui s’est prolongée dans la presse française, décidément de plus en plus et globalement antisémite, comme il fallait s’y attendre. Libération titrant, au sujet de l’embuscade de mercredi : "Plusieurs soldats tués dans des violences entre le Hezbollah et l'armée israélienne". C’est comme si, le 22 novembre 1963, on avait titré "Un mort à Dallas dans des échanges de tirs entre John Kennedy et Lee Harvey Oswald" !

 

Les media franciliens en général, l’AFP évidemment, et Libération en particulier, de justifier les assassinats perpétrés par la milice terroriste en prétextant que "Le Hezbollah a mené une attaque dans une zone occupée à la frontière libanaise, tuant deux soldats israéliens (…)". Et "(…) deux soldats israéliens ont été tués et sept autres blessés dans l’attaque d’un convoi militaire israélien, à Har Dov, dans le secteur des fermes de Chebaa, une zone occupée par l’Etat hébreu (…).

 

Lors, en réalité, l’attaque ne s’est pas produite dans la montagne d’Har Dov (Har = montagne) où se situent les "fermes de Chebaa", mais dans la plaine, sur une route civile reliant Kiryat Shmona au village de Radjar, une zone qui n’a rien à voir avec le Liban et qu’il ne revendique pas. Chacun tirera de ces nouveaux détournements grossiers de la vérité les enseignements qui lui conviennent.

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