Hommage au grand rabbin René Samuel Sirat, figure rabbinique de bienveillance et de dialogue
Daniel Haïk
Avec le départ de Jacob Kaplan, il prend ses fonctions de grand rabbin en 1981 pour un septennat qui se conjuguera avec celui de François Mitterrand
Le grand rabbin Sirat, décédé vendredi dernier à l'âge de 92 ans, a été incontestablement l'une des figures marquantes du Judaïsme français de la fin du XXe siècle. Premier grand rabbin sépharade de l'histoire de la communauté juive de France, il fut avant tout un éducateur hors pair, un amoureux de l'hébreu, qu'il enseigna à l'université, et un humaniste adepte d'un dialogue de proximité avec les communautés chrétiennes et musulmanes religions.
Le grand rabbin René Samuel Sirat est né le 13 novembre 1930 à Bône (Annaba) en Algérie. Il parle arabe, sa langue maternelle, avant d'apprendre à parler français. Durant la guerre, il est exempté des lois racistes de Vichy, qui ferment aux écoliers juifs les portes des écoles et lycées: "Mon père avait combattu à Verdun et cela m'avait permis d'obtenir cette dispense et de continuer à aller à l'école… Les élèves me persécutaient parce que juif et c'étaient les élèves musulmans qui me défendaient".
La communauté juive de Bône compte alors 3000 juifs. "A Bône, on était juifs comme on respirait", disait le grand rabbin Sirat. Il apprend ses premiers versets de Torah auprès de celui qui restera son maitre, le vénéré grand rabbin Rahamim Naouri, ancien mythique président du Tribunal rabbinique de Paris. C'est ce dernier qui lui insuffle l'amour de l'étude, de l'enseignement et la passion du rabbinat: "C'était un formidable pédagogue totalement autodidacte qui savait parler aux enfants", dira de lui le grand rabbin Sirat.
En 1946, il quitte l'Algérie pour aller étudier à la Yéchiva d'Aix-les-Bains, où il se retrouve en décalage par rapport à l'enseignement d'ouverture du grand rabbin Naouri. Il entre ensuite au Séminaire Israélite de France, rue Vauquelin, à Paris. Il en sortira plus jeune diplômé rabbin à l'âge de 21 ans et demi. Il est nommé d'abord à Clermont Ferrand, puis en 1951 à Toulouse, communauté durement touchée par la Shoah mais qu'il va redynamiser.
En 1956, il retourne à Paris et devient aumônier des étudiants juifs de France, ce qui va le ramener sur la voie universitaire. Il va alors mener de pair la fonction de rabbin et celle d'enseignant d'hébreu moderne. A l'écoute des développements en Algérie, il sera touché, dans sa chair, par l'assassinat de son frère en 1962, lors d'un attentat terroriste.
En 1964, il est le traducteur officiel de la rencontre à Paris entre le président De Gaulle et le Premier ministre israélien Levy Eshkol. Il y a quelques années, il a relaté, pour la première fois, que l'atmosphère de cette visite était "glaciale". Il va aussi, avec André Neher et le rabbin Léon Ashkenazi (Manitou), fonder le Centre universitaire d'études juives. Fervent sioniste, comme le fut son maitre le grand rabbin Naouri, il rencontre lors de la bar mitzva de son fils en Israël le rabbin Tzvi Yéhouda Kook chef de file du sionisme religieux. Ses enfants vont, très jeunes, faire leur alya. Et le grand rabbin Sirat vivra longtemps le cœur en Israël et les pieds en France.
Professeur des universités, il persuade, dans les années 70, le ministre français de l'Education de créer une chaire d'hébreu à l'INALCO (Ecole des Langues Orientales). Le succès de cette chaire sera immédiat. Avec le départ à la retraite du grand rabbin Jacob Kaplan, il est élu grand rabbin de France en 1980 et prend ses fonctions en 1981 pour un septennat qui se conjuguera avec celui de François Mitterrand à la présidence de la République ! C'est durant ce mandat que les synagogues consistoriales vont abolir l'usage du micro (et de l'orgue) pendant le chabbat. Comme l'explique Michel Allouche qui a rédigé, il y a trois ans, la biographie du grand rabbin (Itinéraire d'un enfant juif en Algérie. Editions Albin Michel) : "Le grand rabbin Sirat était la parfaite expression de ce que le Talmud appelle, pour qualifier les Sages d'Israël, un "Makel Noam", une "Autorité bienveillante": "C'était un fervent défenseur d'une orthodoxie sans compromis mais qu'il pratiquait dans l'ouverture et la bienveillance, qui plus est avec une extrême modestie…". Le grand rabbin Sirat appartenait à cette génération de rabbins algériens qui avaient su avec doigté choisir la voie médiane du Judaïsme inspiré par l'enseignement de Maïmonide.
Pleinement engagé dans le dialogue interreligieux, le grand rabbin Sirat occupera les fonctions de co-modérateur de la Conférence mondiale pour la paix et sera reçu par le pape François en audience privée en 2018. Il sera aussi le fondateur de l'Institut universitaire européen Rachi de Troyes.
Officier de la légion d'honneur et Grand officier de l'ordre du mérite en France, il restera toujours attentif aux développements politiques et sociétaux dans l'Etat d'Israël. Courageusement, il s'exprimera après la guerre des Six Jours en faveur d'un dialogue et d'une paix entre l'Etat hébreu et le monde arabo-musulman. Il avait fait son alya en 2013 avec son épouse et vivait depuis à Jérusalem. Au cours de sa dernière sortie publique, il y a quelques mois a Ashdod dans le cadre d'un colloque sur le judaïsme algérien, il avait été longuement ovationné par des centaines de participants.
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