Homo Sapiens et Homo Deus: la nouvelle bible de l'Humanité ?
Le nouvel essai de Yuval Noah Harari, Homo Deus, paraît en France. Son premier livre, Homo Sapiens, traduit en 42 langues, adoubé par Bill Gates, Mark Zuckerberg et Obama, est un phénomène planétaire.
Yuval Noah Harrari est en train de devenir un gourou planétaire. Son premier ouvrage Homo Sapiens paru en France il y a deux ans s'est écoulé à 250.000 exemplaires et il s'en achète encore 2000 par semaine. L'édition anglaise, elle, s'est vendue à un million d'exemplaires. Le livre a été traduit dans 42 pays.
Ce raz de marée mondial s'explique par l'ambition globalisante de l'auteur. À notre époque de prolifération et d'éclatement des savoirs où plus que jamais l'homme se demande d'où il vient, qui il est et où il va, cette somme de 500 pages qui prétend faire une synthèse de l'histoire de l'humanité depuis les origines en s'appuyant sur des savoirs objectifs a tout pour séduire.
La suite, Homo Deus, une brève histoire de l'avenir (Albin Michel) qui essaie d'imaginer ce que deviendrait une humanité optimisée par les manipulations génétiques et augmentée par la technologie, vient de paraître en France. Harari parachève ainsi son grand ouvrage qui peut se lire comme une nouvelle Bible, une version évolutionniste et anti spéciste de l'histoire de l'homo sapiens, depuis sa genèse jusqu'à l'Apocalypse dont l'auteur prophétise qu'elle pourrait être imminente. Une bible qui affirme que la «religion» humaniste est une construction culturelle imaginaire au même titre que les monothéismes. À cet égard, on s'étonne qu'elle ne suscite pas davantage de débats dans les pays des droits de l'homme.
Vegan et bouddhiste
Yuval Noah Harari, né en Israël en 1976, universitaire spécialisé dans l'histoire militaire du Moyen Âge, diplômé d'Oxford, donne des cours de World History à l'université hébraïque de Jérusalem. Il a diffusé ses cours sur internet sous forme de MOOC puis les a transformés en livres. La séduction qu'il exerce tient sans doute à son style convivial de professeur charismatique qui veut pousser ses élèves à remettre en question leurs idées toutes faites pour montrer que leurs croyances et leurs valeurs sont fragiles.
Végétalien - une grosse centaine de pages d'Homo Deus est consacrée aux souffrances que Sapiens fait subir aux autres animaux - Harari vit dans une communauté agricole coopérative près de Jérusalem. Il est aussi adepte de la méditation bouddhiste, tendance Vipassana. Homo Deus est d'ailleurs dédié à son maître S.N Goenka.
Les droits de l'homme, une invention
Des personnalités mondialement admirées, comme Bill Gates et Mark Zuckerberg, ont chaleureusement recommandé Homo Sapiens. Barack Obama a dit qu'il avait adoré cette «histoire de l'humanité vue du ciel», curieuse expression pour qualifier une vision réductionniste de l'homme. On se demande si l'ancien président américain a lu les pages 136 et 137 dans lesquelles Harari décortique le fameux passage de la Déclaration d'indépendance des États-Unis qui dit que tous les hommes sont créés égaux, doués de droits inaliénables parmi lesquels la vie, la liberté, la recherche du bonheur. «Ces principes universels, affirme Harari, n'existent nulle part ailleurs que dans l'imagination fertile des Sapiens et dans les mythes qu'ils inventent et se racontent. Ces principes n'ont aucune validité objective.» Harari écrit également, et pour lui cela ne semble pas souffrir discussion, que «la liberté est une invention des hommes qui n'existe que dans leur imagination». Il entreprend alors une étrange traduction «en langage biologique» de la Déclaration d'indépendance.
Quant à l'âme dont il est plus longuement question dans Homo Deus, elle n'existe pas non plus, explique-t-il, puisque les chercheurs qui ont scruté tous les recoins du cœur et du cerveau humain ne l'ont jamais découverte.
En France, Homo Sapiens n'avait pas fait l'objet d'un grand lancement médiatique. Il s'est transmis de bouche-à-oreille et… d'homme à homme. Phénomène singulier, il a été lu principalement par des hommes de catégories socioprofessionnelles supérieures qui le recommandaient à leurs amis, comme les lectrices le font habituellement avec leurs romans préférés.
Qui trop embrasse sème la confusion
Pourtant la plupart des lecteurs d'Homo sapiens, lorsqu'on leur demande ce qu'ils en ont pensé et quel est le propos de l'auteur, ont du mal à répondre. Ils plissent le front. En effet, en le lisant, on se demande où Harari veut en venir. On sent qu'il veut en venir quelque part, mais qu'il entretient un certain flou, ou peut-être qu'il n'arrive pas à dissiper le flou de sa propre pensée. Il est indéniablement plus à l'aise dans les passages narratifs que dans lorsqu'il entreprend de philosopher.
Ses lecteurs ont apprécié le foisonnement de connaissances déployées. Il est vrai qu'on peut picorer dans ces livres une multitude d'études chiffrées et d'anecdotes historiques intéressantes. Mais dans certains domaines, ces connaissances sont sujettes à caution, parfois erronées à force d'être schématiques ou partielles, au point qu'on se demande si elles sont de première main ou s'il répète ce qu'il a lu dans les livres répertoriés dans la bibliographie. Une bibliographie où ne figurent que des ouvrages et des articles contemporains. La culture classique de Harari, en littérature et en philosophie, sans parler de la théologie, semble très succincte.
Harari a un réel talent pour vulgariser, faire réfléchir en faisant marcher l'imagination de son lecteur. À cet égard, il serait certainement un bon auteur de romans dans lesquels il pourrait laisser s'exprimer les contradictions et les angoisses légitimes qui l'habitent.
Mais en refermant Homo Sapiens et Homo Deus qui brassent des milliers de siècles, d'histoires, de sujets, d'idées et de supputations, on est assommé comme si on sortait d'un chaos. À la toute dernière page, Harari semble dire qu'il a eu lui-même cette impression: «Élargir nos horizons peut se retourner contre nous en semant la confusion et en nous rendant plus passifs qu'avant.» Étrange.
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