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Il est venu le temps des Hilloulotes, par Maguy Kakon

Il est venu le temps des Hilloulotes*

Nous avons ce cri de ralliement: les youyous, cette folle expression pour exprimer notre joie intense. Cette pratique a, dans le passé, valu aux juifs marocains d’être traités d’apaches. Aujourd’hui, toutes les réceptions, sépharades ou ashkénazes, sont ponctuées de youyous.

Maguy Kakon est autrice et femme politique. Elle est fondatrice de Corps Africa Maroc et membre de la Commission régionale des droits de l’homme à Rabat. * Hilloulotes est le pluriel de Hilloula.

La Hilloula est un mot d’origine araméenne et veut dire noce, comme le Moussem pour nos compatriotes musulmans. L’origine historique de cette pratique remonte au temps de l’empereur Hadrien (117-138 JC) qui avait conquis Jérusalem, et avait formellement interdit aux israélites la pratique de leur culte et de leur religion.

Le grand maître Rabbi Simeon Bar Yohia, révolté par les mesures draconiennes de l’empereur, refusa de s’y plier et fut condamné à mort pour avoir désobéi. Pour échapper à sa condamnation, il quitta Jérusalem, se cacha avec son fils pendant 13 ans dans une grotte au village de Meron en Galilée. Ils n’en ressortirent qu’après la mort de l’empereur. C’est durant cette retraite que le grand maître Rabbi Simeon Bar Yohia rédigea le fameux Livre des Splendeurs: le Zohar.

À sa mort le 18 Iyar, qui correspond au 33ème jour après le premier jour de Pâques, dit Lag Baomer, une voix s’éleva et ordonna que cette date soit un jour de Hilloula, de fête et de réjouissances, selon le vœu du Rabbi. C’est ainsi et à cette date que fut instituée la Hilloula au Maroc. Comme le souhaitait le Rabbi, l’événement donne depuis lieu à de grandes manifestations de joie, des festins, des Seoudotes (offrandes de repas et abattages d’agneaux) et des pèlerinages à tous les saints du Maroc. On en compte plus de 450, à travers tout le pays, du nord au sud et d’est en ouest.

Les habitués ne rateraient cette visite pour rien au monde. Ils arrivent par milliers des quatre coins du monde. Pour se recueillir sur les tombeaux des saints, brûler avec ferveur et dévotion des cierges en leur mémoire, formuler vœux et prières et ce, jusqu’à ce qu’une longue et épaisse colonne de fumée noire monte au ciel.

Il est à noter que chaque région ou ville a son saint patron protecteur, vénéré souvent aussi bien par les juifs que par les musulmans. C’est à méditer. En quête de miracles, de guérisons ou tout simplement de sérénité, ils viennent de partout. Les récits des bienfaits sont innombrables: des paralytiques qui ont esquissé des pas, des muets qui retrouvent la voix, des femmes stériles devenues fécondes, des aveugles voient à nouveau, des projets qui deviennent des réussites spectaculaires, etc. L’hospitalité est naturellement de rigueur. La fédération des énergies et le partage sont ponctués de Tenfeck Ziara (bienfait du pèlerinage).

D’Oujda à Debdou, de Marrakech, ma chère ville natale, cité-jardin luxuriante, à Fès en passant par Demnate, de l’Ourika jusqu’à Dakhla en traversant Ouarzazate, Agdz (fief de mes ancêtres depuis 500 ans) et Zagora, les dunes de M’hamid, en passant par Foum Zguid pour rejoindre Tiznit, Igli, Inezgane, rejoindre Taroudant et Arzou, le Tafilalet jusqu’à Gourama, les paysages fabuleux se succèdent. Ces pèlerinages permettent également d’en saisir la beauté.

Certaines régions ont conservé leurs synagogues, leurs cimetières, leur mellah (quartier réservé à la communauté juive, souvent proche du palais royal pour qu’elle y soit protégée) et surtout la sépulture d’un saint. On se limitera à citer les plus visités: Rabbi Dawid OuMouchy, Rabbi Hanania Cohen, Rabbi Haim Pinto, Rabbi Haim Messas, Rabbi Salomon Ben Elhans, Rabbi Abraham Awriwel, Rabbi Yahia Elkhadar, Rabbi Abrahaman Moul Niss, Rabbi Raphael Encaoua, Rabbi Nessim Ben Nessim, Rabbi Isaac Abihserra, Sid Haaron Hacohen, Rabbi David Eldrah Halevy… Et il y a aussi Sidi Mohammed V. Des lieux qui attirent des milliers de visiteurs.

Aujourd’hui, je souhaite, au nom de tous, rendre un vibrant hommage à notre Souverain, que Dieu le bénisse et le comble en la personne du Prince Héritier, qui nous a constitutionnalisés en 2011. Sa lettre royale du 13 février 2013 a donné le coup d’envoi à la réfection de tous les cimetières, lieux saints et anciens quartiers juifs qui ont par ailleurs retrouvé leurs noms juifs d’antan, afin de permettre à notre diaspora de revenir à ce qui est devenu des sites de mémoire. L’exil a nourri chez tous l’envie d’y retourner. Le Maroc n’a jamais quitté leur cœur et il restera la terre de leurs ancêtres, souvent partis à la hâte avec pour unique bagage la langue judéo-arabe, la musique, la cuisine, les odeurs et saveurs que la mémoire affective a exaltées.

L’attachement est aussi fort que sincère. Une preuve? La restauration du mausolée de Sidi Haaron Hacohen à Demnate par un comité de Demnatis issus du monde entier, et surtout d’Israël 2ème et 3ème génération, conduit par Isaac Oiknine, ancien président de l’OSE Maroc et soutenu par les autorités de la région d’Azilal. Tous, ils ont entrepris la restauration du cimetière afin que ce berceau du patrimoine amazigh juif vienne enrichir cette présence juive. J’ai été ravie d’être un go between dans ce projet qui m’a permis de constater l’ampleur de la transmission adénique de l’identité marocaine. En cela, feu Hassan II, faut-il le dire, ne s’était pas trompé.

En Israël, certains dirigeants souhaitaient déculturer la diaspora marocaine. Têtue (un trait de caractère éminemment marocain), la communauté a résisté et s’est battue pour sauvegarder ses traditions et son identité face aux juifs occidentaux dits ashkénazes. Un homme, Sam Benchétrit, président de la Fédération des juifs du Maroc, a réussi à imposer la Mimouna (cérémonie qui clôture les célébrations de Pâques) en tant que fête nationale. Tout juif a donc eu à déguster la fameuse mofleta (mlaoui). La Mimouna, baptisée soirée de chance, est devenu un modèle du vivre ensemble à la marocaine, avec, bien sûr, caftan et djellabas, darboukas, youyous et cette indispensable eau à la fleur d’oranger.

Aujourd’hui encore, on y reçoit les compatriotes musulmans, qui avaient pour habitude d’envoyer aux voisins et amis juifs toutes sortes de farine, du levain, du lait, du petit-lait, du beurre, des fèves vertes, des épis de blé, des poissons, des douceurs, du miel, afin que les mois à venir soient porteurs de bienfaits pour tous. Le Maroc, c’est le partage. Cette coutume est transmise de génération en génération comme une bénédiction. J’espère dans un futur proche qu’il en soit ainsi entre Israéliens et Palestiniens. Que ce rêve de paix qui nous habite se réalise.

Également entrée dans les mœurs israéliennes, la Hanna, cette réception typique avant le mariage, en caftan et musique andalouse. Juifs, mais aussi Marocains, on se doit de l’honorer et on sait bien le faire.

La Mimouna comme la soirée de Hanna ont séduit un grand nombre de juifs non marocains, de par le monde. C’est dire l’ancrage de notre patrimoine et matrimoine marocain que l’on a somptueusement su faire rayonner. J’ai souvent entendu des jeunes gens non marocains dire: «la soirée de Hanna est plus importante que la réception du mariage». Nous avons ce cri de ralliement: les youyous, cette folle expression pour exprimer notre joie intense. Cette pratique a, dans le passé, valu aux juifs marocains d’être traités d’apaches. Aujourd’hui, toutes les réceptions, sépharades ou ashkénazes, sont ponctuées de youyous.

Pour tout cela, et au Maroc, il est urgent et nécessaire de restructurer les instances de la communauté pour qu’elles soient à la hauteur de notre aura à l’international avec des acteurs dynamiques et entreprenants.

J’espère dans un avenir proche que les élections promises au bulletin officiel du 3 novembre 2022 auront lieu, afin de redynamiser et structurer notre communauté. Dans l’esprit auguré par feu Simon Lévy, président de la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain. Il y va de notre capacité à continuer à promouvoir ce matrimoine et ce patrimoine si riche et à le faire connaître à notre jeunesse. Comme il se doit, dans les règles de l’art, en profondeur et non dans ce folklore de façade. Car le Maroc est un exemple à suivre. Les passerelles culturelles existent et elles facilitent le dialogue. C’est énorme. Il suffit pour les activer de nous débarrasser de certains a priori et autres amnésies qui ont été néfastes .

A présent, oeuvrons pour faire de ce «Temps des Hilloulotes», et de cette veille du mois du ramadan, un moment privilégié, fédérateur, qui consacre cette communion, ces présences sacrées dont les ombres se dessinent sur les majestueuses montagnes telles des vigiles, gardiens des traces de toutes ces générations passées, parrains de la survivance de cette baraka millénaire qui accompagne et protège notre Maroc. Pour l’éternité. Amen.

«Heureux le pays où vivent les juifs, il est trois fois béni», disent nos sages.

Par Maguy Kakon

 

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