Il s’agit d’un plan (010712/17) [Analyse]
Par Sami el Soudi © Metula News Agency
L’annonce de Donald Trump hier marque probablement la fin du rêve d’un authentique Etat indépendant pour les Palestiniens. Des décennies durant, depuis les accords d’Oslo, l’Autorité Palestinienne, aidée par ceux qui croyaient en nos mythes et nos ethos, et aussi par ceux qui exprimaient ainsi leur antijuivisme, se sont attelés à préparer l’établissement de notre Etat indépendant au sein des institutions internationales. A force de diplomatie, nous avons été reconnus comme Etat membre à l’UNESCO, au Comité International Olympique et auprès de la Cour Pénale Internationale. Nous avons aussi été reçus aux Nations Unies sous le statut d’Etat observateur non membre, à la suite d’un vote lors duquel 138 pays [dont la France. Ndlr.] ont voté en faveur de notre admission, alors que la plupart des Etats européens ont fait partie des 41 abstentions.
Or toute cette activité de grignotage laborieux de légitimité a été mise à terre en une seule décision des Etats-Unis : avec Jérusalem comme capitale d’Israël, la Palestine ne sera jamais un Etat comme un autre. Sans Jérusalem, nous pouvons encore devenir un "Etat moins" ou une "Autonomie plus", mais pas un pays au sens plein.
Ce, à moins que le Président Trump soit contredit par l’un de ses successeurs, ce qui semble très improbable après que le Sénat américain ait confirmé en juin dernier, à l’unanimité de 90-0, la loi votée en 1995 par les deux chambres du Congrès. Ladite loi, le "Jerusalem Embassy Act", avait été adoptée à une écrasante majorité de représentants et de sénateurs le 23 octobre 1995. Elle reconnaît que Jérusalem est la capitale de l’Etat d’Israël et décide d’y transférer l’ambassade américaine.
En fait, D. Trump, obtempérant à la requête formelle du Sénat suite au vote de juin dernier, n’a fait que mettre en pratique une décision du législateur américain.
Inutile également d’accorder une importance exagérée à la réponse que feront les Palestiniens, la Ligue arabe, qui se réunira samedi en session extraordinaire, et le Conseil de Sécurité de l’ONU, qui en fera de même demain, à la demande de huit pays membres, dont quatre européens.
Le Hamas peut bien brûler des drapeaux américains et israéliens, il n’y a rien de nouveau à cela. Il peut appeler à une nouvelle Intifada, lors de laquelle quelques malheureux vont simplement se blesser. L’émulation palestinienne des Frères Musulmans égyptiens est à bout de souffle ; elle exerce déjà sa capacité de nuisance au maximum et cela n’empêche même plus les habitants du Néguev de dormir. La réaction d’Ismaïl Hanya et de son organisation terroriste aurait pesé de quelque poids si elle avait, ne serait-ce qu’une seule fois, proposé un autre agenda, mais elle a toujours prôné la destruction de l’ "entité sioniste" et le génocide de ses citoyens, sans jamais n’avoir eu le commencement des moyens de réaliser ces objectifs. Tout ce que le Hamas est parvenu à faire est de mener, en lançant des guerres suicidaires, dans un premier temps à la destruction de Gaza, et à force, de devenir insignifiant.
Et Mahmoud Abbas amuse la galerie en claironnant que les USA, en prenant cette décision, se sont exclus des négociations en vue d’un règlement pacifique. Une prise de position périlleuse, lorsque l’on sait que seul Washington est capable de faire évoluer les choses, et que tout ce qui se passe actuellement est le résultat d’un plan savamment mûri entre Trump, le Prince héritier saoudien Mohammed ben Salman, le Maréchal égyptien al Sissi et Binyamin Netanyahu.
Mahmoud Abbas, à part se rendre ridicule et jeter nos enfants dans les rues pour affronter les policiers hébreux, n’a pas les moyens de s’opposer au tsunami qui s’est formé contre lui.
Les Etats arabes ont certes critiqué la décision de M. Trump quasi à l’unisson, mais aucun politologue arabe n’est dupe. Les réactions très modérées des leaders des grands pays sunnites ne servent qu’à sauver l’apparence du maintien du soutien aux frères palestiniens. Le Roi Salman a dénoncé du bout des lèvres une décision "injustifiée et irresponsable", quant à al Sissi, il a évoqué des "mesures qui affaiblissent les chances de parvenir à la paix au Moyen-Orient".
Pour qui sait décoder ces commentaires, il est évident que, non seulement ceux qui les ont prononcés sont très satisfaits de la décision de Donald Trump, mais qu’en plus, sans leur accord préalable, elle n’aurait pas été prise. Dans ces conditions, la réunion extraordinaire de la Ligue arabe ne peut aboutir à rien d’autre qu’à rien. Aucune décision opérationnelle n’y sera décidée.
Quant au Conseil de Sécurité, les Etats-Unis y disposent d’un droit de veto auquel ils n’hésiteront pas un instant à recourir. En fin de compte, même si cela va prendre un peu de temps et comme je l’ai lu ce matin sous la plume de cinq spécialistes du monde arabe, la manœuvre de Trump constitue une nouvelle déclaration Balfour, en consacrant le caractère israélien de Jérusalem, d’une part, et en nanisant la cause palestinienne, de l’autre.
Déjà la Tchéquie et les Philippines ont fait connaître leur intention de transférer leur ambassade israélienne à Jérusalem. A en croire M. Netanyahu, d’autres pays envisagent une décision similaire, et sur ce point, je le crois ; ce n’est que l’affaire d’un peu de temps.
Le 8 novembre dernier, au cours d’une visite éclair à Riyad et de rencontres avec le Roi Salman et le Prince MBS, Mahmoud Abbas s’est vu présenter le plan régional convenu avec Washington et Jérusalem. Outre l’abandon de Quds, il prévoit le non-retour des réfugiés de 48, l’administration d’un territoire discontinu, le maintien de la plupart des implantations, et la création d’une "sorte" d’Etat réduit à sa plus simple expression de souveraineté conditionnelle.
Les monarques saoudiens ont présenté la chose à Abbas sous la forme d’un ultimatum : soit vous acceptez le plan et jouirez de notre soutien financier afin de créer une entité dans laquelle on peut vivre convenablement, soit on va vous faire remplacer par quelqu’un qui nous comprenne et on va se désintéresser de la cause palestinienne.
De retour à Ramallah, tous les barons de l’OLP ont poussé des cris d’orfraie et joué les fiers à bras, rejetant la proposition comme si cela changeait quelque chose. Abbas a téléphoné, dans la précipitation, à tous les amis de la Palestine dans le monde arabe et sur le reste du globe. Tous lui ont montré de la sympathie et l’on assuré de leur soutien moral.
Et hier, en dix minutes de discours de Trump, la sanction est tombée.
Les dirigeants du monde arabe ont fini de se distraire avec le jouet nommé Palestine. Ils s’en servaient lorsque leur objectif était de détruire Israël. Maintenant qu’ils en ont besoin afin de se défendre face aux Iraniens et au péril réel qu’ils représentent, le jouet ne leur sert plus à rien. Au contraire, il les gêne. D’autant plus qu’ils se sont soudain aperçus que l’Etat hébreu, depuis qu’il existe, ne leur a somme toutes jamais cherché de noises et qu’il est au contraire un voisin appréciable. Un voisin dont la puissance, lorsque l’on s’allie à lui, devient un composant efficace de leur propre sécurité.
On n‘imagine pas encore le niveau qu’a atteint la coopération entre les Arabes et les Hébreux. Le moment venu, cela en étonnera plus d’un. Mon camarade Fayçal Hache, correspondant de la Ména à Amman presque depuis les premiers pas de l’agence, m’indique que, lorsqu’ils ont appris la nouvelle des deux récentes frappes israéliennes en Syrie, de la bouche même de Binyamin Netanyahu, les chefs d’Etat arabes ont laissé éclater leur joie. Il paraît même que Riyad s’est proposé de couvrir la totalité des frais de ces opérations et de celles qui suivront. Nul doute que ces nouvelles comptent bien davantage à leurs yeux que la décision de M. Trump. Et Fayçal Hache est l’une des personnes les mieux informées de ce qui se passe dans les palais arabes.
Cette évolution place les gouvernements européens dans une situation difficile. Ils avaient consenti à soutenir la cause palestinienne et à se détacher d’Israël non par empathie pour nous mais pour plaire aux grands Etats arabes avec lesquels ils voulaient commercer et qui avaient posé ces orientations comme autant de conditions incontournables. Aujourd’hui, ils sont les banquiers de plusieurs de ces pays européens, y compris de la France, dont les économies battent de l’aile. Qu’adviendra-t-il lorsque les Arabes demanderont aux Européens d’adopter leur plan de paix pour la Palestine et de changer d’attitude face à l’Etat hébreu ?
A terme, la réponse ne laisse pas de place au doute. Pour le moment, une génération entière de politiciens du Vieux continent s’est persuadée de la légitimité de nos aspirations. Ils sont authentiquement séduits par la solution à deux Etats égaux.
Mais ne sont-ils pas allés trop loin dans le soutien qu’ils nous ont apporté ? Leur étreinte ne nous a-t-elle pas empêché d’affronter la réalité en face ? Je veux dire, ne nous ont-ils pas donné l’impression que nous pouvions discuter d’égaux à égaux avec les Israéliens ? Ce, alors que nous ne formons en réalité qu’une toute petite entité, d’une faiblesse économique insigne, rongée, de plus, par la violence, les divisions et la corruption.
J’ai fréquemment évoqué cette question dans ces colonnes : ne nous ont-ils pas placés dans une situation de marchandage bien au-dessus de nos moyens réels ? Une fausse situation d’équilibre avec nos adversaires, qui ne pouvait que finir par montrer ses limites ?
Dans la situation de deux entités semblables par leur importance et, partant, dans leurs exigences au niveau des résultats d’une négociation, nos "amis" ne nous ont-ils pas poussés à refuser les "meilleures conditions possibles" qui nous furent proposées ?
Je pense particulièrement aux tentatives d’aboutir à une solution lors du sommet de Camp David qui s’est tenu entre le 15 et le 25 juillet 2000, qui réunissait Bill Clinton, Ehud Barak et Yasser Arafat, et à la rencontre de Paris, le 4 octobre de la même année, destinée à sauver la paix, entre Madeleine Albright, et les mêmes Barak et Arafat. A Paris, le Président Chirac était intervenu directement auprès du raïs, l’incitant à refuser les propositions qui lui étaient faites. En conséquence de quoi, Arafat ne s’était pas rendu à l’ambassade étasunienne où l’attendaient ses interlocuteurs.
Mais je songe principalement à l’occasion qui s’était présentée au tout début 2009, lorsque Tzipi Livni dirigeait de facto l’exécutif israélien après le retrait d’Ehud Olmert inculpé par la justice. Durant toute l’année 2008, les deux camps, impliquant l’ensemble leurs appareils respectifs, avaient conduit des négociations intensives et de bonne foi, envisageant tous les aspects d’un éventuel accord de paix. Début 2009, après une réunion-forcing à l’hôtel de Taba en Egypte entre les chefs des délégations, une proposition sensée avait vu le jour, qui nous offrait plus de 87 pour cent du territoire de Cisjordanie pour y établir notre Etat. Une fois encore, nos "amis" incitèrent Mahmoud Abbas, qui hésitait (j’étais souvent à la Mouqata de Ramallah à cette époque) [le siège du gouvernement de l’Autorité Palestinienne. Ndlr.] à refuser de signer, l’assurant qu’après les élections israéliennes toutes proches, il obtiendrait des conditions plus avantageuses. Abbas ne signa pas. Les élections eurent lieu en février, elles virent l’accession du Likoud et de Binyamin Netanyahu aux affaires, qui exigea de reprendre les discussions depuis le début, sans conditions préalables, ce qui constitue toujours sa position.
A force de dire non à tout, ce qui nous a été maintes fois reproché par nos "frères" arabes, nous avons abouti à la décision de Trump d’hier, et je doute que nous ne nous retrouvions jamais dans une situation aussi favorable qu’en ces occasions manquées.
Lorsque Donald Trump, avec l’appui du prince saoudien, a pris la décision d’exclure Jérusalem des négociations et de nous proposer la ville d’Abou Dis (16 000 hab.) pour y établir notre capitale de remplacement, et que, dans le même élan, le président évoque ces décisions comme présentant une "nouvelle opportunité d’aboutir à un accord de paix", je comprends ce qu’il dit.
Ce que les artisans de cette nouvelle proposition ont fait consiste à briser la parité fictive entre Israël et l’Autorité Palestinienne, qui, tant qu’elle prévalait, bloquait tout le processus de solutionnement du conflit. Désormais, nous sommes les "petits" que nous sommes vraiment. Et les grands Etats sunnites de la région sont en train de négocier notre avenir à notre place. Ils risquent d’y parvenir, il leur suffit de s’entendre avec Trump et Netanyahu.
Ils répondent au moins à l’interrogation que j’ai également souvent évoquée sur ces pages, celle de proposer un avenir tangible et garanti (par les promoteurs de la nouvelle situation) aux Palestiniens ainsi qu’une cohabitation paisible avec nos puissants voisins israéliens. A suivre volontairement la voie que l’on nous impose, il est possible de nous projeter dans un avenir à dix ans et même davantage. Avec moins d’indépendance et un territoire largement moins confortable que celui que nous aurions pu obtenir en 2000 et en 2009. Mais avec l’assurance de pouvoir nous autogérer et l’opportunité de prospérer.
C’est intentionnellement que je ne parle pas de mes sentiments personnels dans cette analyse, ils sont mélangés. Il m’importait de permettre à ceux qui me liront de pénétrer la substance des péripéties que nous traversons et qui pourraient sembler décousues et fortuites alors qu’elles ne le sont pas du tout. Quelque part, je me demande aussi si nous aurions été capables de dire oui à quelque proposition que ce soit qu’on aurait pu nous faire, si attrayante fût-elle, et je ne suis pas sûr de ma réponse à cette question.
Désormais il me semble qu’elle ne se posera plus. Et que si nous avions été réellement ce que nous prétendons être, nous aurions fait les choix satisfaisants au moment où ils se présentaient. Maintenant, ce qui m’importe est d’éviter des violences inutiles et de voir couler le sang d’innocents pour rien. Il a déjà bien trop coulé.
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