Interview de Bat Ye’or sur l’antisémitisme et l’antijudaïsme en islam
L’antijudaïsme désigne l’hostilité à la religion juive. Le vocable « antisémitisme » en tant que haine des juifs a été forgé dans le contexte européen de la fin du XIXe siècle ; les anglophones recourent à l’expression « Jew-hatred ». Pionnière dans l’étude de la dhimmitude et d’Eurabia, l’essayiste Bat Ye’or avance des pistes de recherches stimulantes concernant la terminologie exacte, spécifique au monde islamique, de l’antijudaïsme et de la haine des juifs, en comparant avec ceux chrétiens. Interview réalisée en novembre 2023.
Véronique Chemla : En Occident, l’antijudaïsme chrétien, notamment la théologie de la substitution ou théologie du remplacement, a été analysé par des historiens, etc. L’abbé Alain René Arbez a écrit un article très intéressant sur ce sujet en remontant au paganisme sous l’Antiquité romaine...
Bat Ye'or : L’on doit ici d’une part, distinguer le sentiment de haine exprimé occasionnellement par un être humain et, d’autre part, l’organisation et l’instrumentalisation de la haine par un système idéologique, politique et social incluant sa visibilité (codes vestimentaires, etc.) et ses manifestations normatives obligatoires. De sorte que cette haine, devenue désormais loi, structure un statut légal ignominieux et déshumanisé imposé à un groupe humain institutionnellement ciblé par une violence à laquelle s’associe un faisceau de diffamations et de comportements. Ce système a existé sur une base religieuse en Chrétienté et dans l’Islam, mais également dans d’autres cultures sous d’autres formes (castes, impureté, appartenances ethniques).
Le 8 novembre 392, l'empereur Théodose (347-395), dernier à avoir régner (379-395) sur un empire romain unifié avant sa division en un Empire romain d'Occident et un Empire romain d'Orient ou byzantin, avait proclamé le christianisme religion officielle de l'empire romain et avait interdit les autres religions…
Le statut discriminatoire des Juifs fut élaboré par les Pères de l’Eglise, majoritairement orientaux et venus du paganisme. Il acquit une force redoutable à partir des IVe-Ve siècles quand l’Eglise orthodoxe, reconnue religion officielle de l’Empire byzantin, s’acharna à persécuter les Juifs et davantage encore les autres dogmes chrétiens décrétés hérétiques. Les directives du clergé furent intégrées dans les codes Théodose (438), Justinien (534), le droit canon et d’autres textes légaux.
Qu’en est-il en islam ? Parlez-nous de l’antijudaïsme dans l’islam…
Quand les tribus arabo-musulmanes déferlèrent sur les provinces orientales de l’empire byzantin, elles assujettirent des populations chrétiennes déjà fortement imprégnées d’intolérance religieuse par des pratiques légales de persécution et d’avilissement et souvent des massacres interchrétiens et antijuifs.
Après leur conversion à l’islam, les fonctionnaires chrétiens responsables de l’application de ces règles les incorporèrent dans la législation du colonisateur arabe, la collaboration avec les envahisseurs ayant motivé dans les classes dominantes de nombreuses conversions. Ces lois byzantines, déterminées par un système religieux spécifique, passèrent ainsi dans la législation islamique, mais justifiées cette fois par d’autres concepts religieux.
Ainsi dès la fin du VIIIe siècle, les juristes musulmans adoptèrent ce corpus chrétien sous une forme islamisée et l’appliquèrent non seulement aux Juifs mais aussi aux Chrétiens et aux autres peuples qu’ils soumirent dans leurs conquêtes. Les lois de la dhimmitude imposées aux Juifs et aux chrétiens ne furent pas inventées sui generis par les juristes musulmans au VIIe siècle. La plupart furent des adaptations islamiques des discriminations légales chrétiennes imposées aux Juifs. J’ai trouvé ces adaptations désormais intégrées au jihad plus sévères que les originaux chrétiens. On peut donc dire que le domaine de la dhimmitude rassemble l’antijudaïsme religieux chrétien des premiers siècles de la Chrétienté, et les sentiments anti-juifs et antichrétiens de l’oumma. Mais ceux-ci se manifestent dans le contexte global du jihad, guerre religieuse contre l’ensemble de la Mécréance. C’est donc un domaine explosif et l’on comprend que beaucoup se refusent à s’y aventurer.
Même si cette matrice commune détermine des ressemblances dans les deux systèmes, les sources de cette haine et les mobiles de son instrumentalisation sont fort différents dans la chrétienté et dans l’islam. Pourriez-vous préciser ?
On peut tout d’abord signaler que le statut discriminatoire des Juifs en chrétienté s’élabora sur le thème du déicide et de la crucifixion de Jésus. Ces deux éléments sont niés par l’islam où, par contre, le mobile fondateur de la haine des Juifs procède de leur refus de reconnaître la primauté du Coran. Les décisions à l’encontre des Juifs de Médine et de ceux de l’oasis de Khaybar attribuées à Mahomet par des textes musulmans, constituèrent un cadre juridico-théologique instituant les règlements qui furent imposés par la suite aux peuples assujettis par le jihad. Cette idéologie politico-religieuse exigeait des musulmans de combattre pour islamiser l’humanité entière selon les préceptes du Coran et de la Sunna. Ce principe est inexistant en Chrétienté. Nous passons donc ici d’un conflit qui, au plan chrétien, demeure entre Juifs et théologique, à une vision islamique universelle embrassant l’ensemble des peuples non-musulmans et dans une perspective militaire. Ces différences sont importantes.
De plus, dans l’islam, le statut discriminatoire du Juif doit être aussi celui du chrétien, situation qui diffère totalement du statut et de la représentation du Juif qui est unique en Chrétienté. Alors que pour l’Eglise les adhérents des sectes chrétiennes schismatiques méritaient la mort, les Juifs, en revanche, devaient être préservés mais dispersés en exil, pour témoigner par leur condition d’opprobre et de vulnérabilité contrastant avec la munificence de l’Eglise, de la véracité du christianisme. Ces mesures furent imposées par les Pères de l’Eglise afin de combattre l’attirance des nouveaux chrétiens pour le judaïsme et séparer par la haine les deux religions. Je renvoie ici aux travaux bien connus des spécialistes, parmi lesquels Bernhard Blumenkranz et Léon Poliakov.
Il s’ensuit que le mot « antisémitisme » forgé pour définir ce destin juif particulier de peuple témoin en Chrétienté est inadéquat pour désigner celui du Juif qui, en islam, est indissociable de la thématique jihadiste qui englobe également le chrétien et tous les autres peuples non-musulmans. La condition juive en Islam émerge d’un contexte religieux, politique et institutionnel totalement différent de celui de la Chrétienté. En outre, comme l’opprobre des Juifs n’est pas inscrit dans le dogme chrétien, les pays occidentaux ont pu abolir ce statut.
Ce sont ces différences au plan théologique qui permirent la proclamation de l’émancipation des Juifs en Europe, la condamnation formelle de l’antisémitisme par des chrétiens, le mouvement de réconciliation judéo-chrétien initié par Vatican II en 1962, ardemment combattu par les musulmans (1), et le soutien chrétien au sionisme. On pourrait dire, comme le démontra le théologien anglican James Parkes et bien d’autres, que l’antisémitisme qui a conduit à la Shoah constitue un crime contre le dogme chrétien. Jusqu’à présent je n’ai pas vu de désaveu de personnalités musulmanes des cruautés pratiquées par le jihad. Ces religions n’ont pas les mêmes critères du Bien et du Mal. Bien que l’islam ait absorbé de nombreux éléments de la Bible et leur ait donné une interprétation différente, c’est une religion qui s’est constituée dans le contexte bédouin du VIIe siècle en Arabie ainsi que dans la lutte et la contestation des deux religions bibliques.
Aux Etats-Unis, pays chrétien, la persécution religieuse fut interdite dès l’établissement de son indépendance. A Moses Seixas, juif sépharade de parents originaires du Portugal et président de la communauté juive (Congregation Jeshuat Israel) de Newport (Rhode Island), qui demandait les conditions de la tolérance qui seraient accordées aux Juifs dans cette nouvelle Amérique, Georges Washington (1732-1799), élu Président des Etats-Unis en 1789, répondit : « Désormais on ne parle plus de tolérance comme si c’était par la condescendance d’une classe de gens qu’une autre jouissait de l’exercice de ses droits naturels inhérents. » (Lettre du 21 août 1790).
J’ai esquissé quelques comparaisons entre la condition juive en chrétienté et celle de la dhimmitude en indiquant les emprunts musulmans aux lois chrétiennes avec leurs variantes et, inversement, les emprunts chrétiens à la dhimmitude comme, entre autres, les quartiers juifs et chrétiens obligatoirement séparés des habitations musulmanes dès les débuts de la conquête et très tôt les signes discriminatoires vestimentaires des dhimmis, dont la rouelle obligatoire pour les Juifs et les chrétiens aussi (2).
A mon avis, c’est le mot « dhimmitude » plutôt qu’antisémitisme qui désigne le contexte historique et le statut discriminatoire du Juif en Islam. Mais le strict verrouillage de ce sujet par les gouvernements européens, le déni de ses caractéristiques ont bloqué la prise de conscience des préjugés antijuifs et antichrétiens qu’il véhicule et le combat pour les abolir. Il est vrai que le mot dhimmitude ne s’applique pas seulement aux Juifs, il intègre aussi l’antichristianisme.
La distinction entre « antijudaïsme » et « antisémitisme » dans le monde chrétien est-elle valable dans le monde musulman ? Ces notions, chrétienne et islamique, recouvrent-elles la même réalité et se sont-elles interpénétrées ?
Ces distinctions n’existent pas dans le monde musulman car elles furent induites par l’évolution des mœurs, des idées, de la culture et de l’industrialisation propres à l’Europe et impossibles dans le monde musulman. Là, le juif demeure le « Yahoudi », le chrétien le « Croisé » et le tout constitue la « mécréance ».
Le monde musulman – et c’est très frappant avec le Président de la Turquie, Recep Tayyip ErdoÄŸan – vit dans le contexte héroïque des grandes épopées impérialistes de conquêtes jihadistes et de colonisation d’immenses territoires par une politique d’immigration musulmane dotée d’un statut privilégié, par le nettoyage ethnique des populations indigènes et le système institutionnel de la dhimmitude qui comprenait à certaines époques de nombreuses déportations et dans les Balkans, le ramassage périodique des enfants chrétiens réduits en esclavage et islamisés (3). Le terme « ramassage » s’explique parce que cette pratique était exécutée en masse par les janissaires, c’est-à-dire des soldats, le plus souvent eux-mêmes d’origine chrétienne. Il ne s'agissait pas de quelques enfants.
A la fin du XIXe siècle, le terme « antisémitisme » a été forgé pour désigner la haine des seuls Juifs – le terme « Sémites » désignait les locuteurs de langues sémites.
Après avoir recouru au vocable « judéophobie » (peur des juifs), le politologue Pierre-André Taguieff a créé le néologisme « judéomisie » (mîsos, « haine » en grec) pour nommer ce sentiment.
Un débat sémantique semble perdurer, révélant des ambigüités, imprécisions ou inadéquations terminologiques.
Bernard Lewis, Robert S. Wistrich, Mark R. Cohen, Andrew Bostom (The Legacy of Islamic Antisemitism)... Ils ont exprimé des avis parfois divergents sur l’antisémitisme islamique.
Matthias Kuntzel étudie les liens entre le nazisme et l’islamisme…
Président du conseil d’orientation à la Fondation de l’islam de France, Sadek Beloucif nie l’antisémitisme musulman. Barbara Lefebre, enseignante d’histoire et essayiste, a déploré la négation de l’antisémitisme islamique.
Les livres en français me semblent rares sur la haine des juifs dans l’islam.
Ce débat sémantique a-t-il eu lieu parmi les islamisants ou islamologues ?
Jusqu’aux années 1950-60, la condition des non-musulmans en islam fut un non-sujet.
Cependant, il existe une très abondante littérature décrivant ces populations. Elle provient de textes religieux, juridiques ou de chroniques d’auteurs musulmans. D’autres sources nombreuses et très diversifiées (italiennes, grecques, syriaques, arméniennes, arabes, juives persanes, slaves etc.) remontent aux premières conquêtes islamiques et couvrent plus d’un millénaire.
J’en ai publié un grand nombre dans mes livres, et j’y ai discuté leurs critères d’évaluation et de véracité. Toutes ne sont pas véridiques ni exemptes de préjugés (4).
Le premier livre synthétique abordant ce sujet sur le plan du droit fut celui d’un juriste libanais Antoine Fattal, publié en 1958 (5). Il examine le statut légal des non-musulmans fixé dans les lois de la charia et justifié par des sources coraniques ainsi que des hadiths. Pour d’autres lois, il cite leurs antécédents chrétiens avec leurs sources et leurs motivations données par Jean Juster (6) – un auteur que j’ai beaucoup utilisé moi-même dans la comparaison du statut des juifs dans l’empire byzantin et celui des dhimmis (7).
Quand un débat sur les dhimmis ou la dhimmitude a-t-il surgi ?
A ma connaissance, un débat sur ce sujet n’apparaît que dans les années 1970-80 dans le contexte des guerres civiles libanaises et libano-OLP (Organisation de libération de la Palestine). De petits groupes de juifs, de chrétiens coptes et libanais accueillent favorablement les articles avec documents publiés par mon mari David G. Littman et moi-même durant cette décennie.
De 1980 à 1984 je publie dans Le Dhimmi des centaines de pages de documents en français, anglais et hébreu. Des intellectuels, des spécialistes s’affrontent alors sur ce sujet. Jacques Ellul, Raphaël Israeli, Gérard Nahon et d’autres orientalistes aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne - Patai, Ben Segal, Graham Jenkins, James E. Biechler, Allan H. Cutler et Hellen. E. Cutler - me soutiennent. La parole se libère même dans Le Monde avec Jacques Ellul et Jean-Pierre Péroncel-Hugoz. La discussion agite les sphères académiques, mais la politique intervient aussitôt pour l’étouffer.
Mark R. Cohen est le plus virulent à mon égard. Ses arguments me semblent dénués de bon sens et il ne m’est pas difficile de les démolir (8).
En fait, mes détracteurs se focalisent sur un concept ambigu, « la tolérance », totalement irrationnel, pour examiner 13 siècles d’histoire avec leurs secteurs politiques, juridiques, religieux et sociaux sur trois continents (9).
Du reste, peut-on parler de « tolérance » dans le contexte du jihad qui condamne la « mécréance » à l’extermination ? Or, c’est sur le terrain du jihad que se nouent toutes les relations entre musulmans et « mécréants ». On perçoit ici la contradiction interne dans les termes de cette phrase qui lie une guerre d’extermination à une « tolérance » concédée par le vainqueur, tolérance conditionnelle et obligatoirement renouvelable par le rachat annuel de sa vie. Si l’on se place en amont, on peut douter de l’éthique d’une guerre d’extermination. Il me semble que mes contradicteurs n’ont jamais perçu cette opposition.
Professeur de Near Eastern Studies à l’université de Princeton, Mark R. Cohen, en particulier, ne voit dans ce sujet qu’une basse rivalité victimaire des « Juifs d’Islam » qui, selon lui, ayant toujours vécu une existence de nababs sous domination islamique, seraient jaloux de la martyrologie historique du judaïsme ashkénaze. Il a raillé mon travail en le qualifiant de « littérature lacrymale ».
Quant à Bernard Lewis, qui était un turcologue, ce n’est qu’en 1984 qu’il publia sur les Juifs d’Islam. Connaissant bien les documents, j’ai pu détecter dans ses livres les passages occultés, les généralisations, les jugements inappropriés pour adoucir des pratiques criminelles (ramassage pour l’esclavage d’enfants chrétiens, mutilations sexuelles (eunuques), déni du génocide des Arméniens, etc.). Je comprenais ses contraintes professionnelles, mais je désapprouvais sa partialité. La majorité des spécialistes juifs y adhéraient, la Turquie étant alors le seul pays musulman ami d’Israël.
De plus, la Turquie kémaliste était une carte inestimable dans le combat antisoviétique de l’Occident. La position de Bernard Lewis, comme celle de Mark Cohen et de leurs nombreux collègues, me semblaient éminemment politiques : respecter la version islamique de l’Histoire.
Dans mon Autobiographie Politique, j’évoque cette vaste discussion transcontinentale sur Le Dhimmi où se heurtent les arguments violents très politisés de mes détracteurs, notamment Norman Daniel et J.S. Nielsen, et ceux des spécialistes universitaires m’apportant l’appui de leur notoriété académique (10).
Pourquoi ce sujet, l’antisémitisme islamique, soulève-t-il encore aujourd’hui des passions ?
Musulmans et non-musulmans ont une opinion divergente sur ce sujet.
Les traditionalistes musulmans soutiennent que les mesures discriminatoires contre les juifs et les chrétiens fondées sur leur nature présumée mauvaise émanent de la volonté d’Allah et Allah ne se trompe pas. Par conséquent, ce statut n’est nullement discriminatoire, mais juste, mérité par la nature d’essence perverse des « Infidèles ». Affirmer le contraire ou le critiquer implique que ce statut est fautif envers ses victimes et insinue que la charia, loi divine, est imparfaite, ce qui est considéré comme une affirmation blasphématoire.
Il faudrait que les intellectuels musulmans prennent du recul par rapport à leur histoire, la contextualisent dans les mœurs de l’époque et la désacralisent (11).
Je m’empresse de dire que tous les musulmans ne partagent pas l’opinion traditionnelle. Néanmoins, dans une population d’un milliard et demi d’individus comptant 56 Etats, il est impossible de savoir qui pense quoi. La seule indication possible serait la permanence des manifestations du jihad et de la dhimmitude dans des pays musulmans contemporains. Mais comme ces deux forces théologiques, d’une puissance politique telle qu’elle changea la face de continents, sont hermétiquement soustraites à la discussion dans l’espace occidental, personne ne peut les analyser.
Depuis le jihad du 7 octobre 2023 en Israël, on observe une recrudescence du nombre d’actes antijuifs en France, aux Etats-Unis, etc.
Lors de rassemblements anti-israéliens, la foule a repris ces slogans évoquant Khaybar : « Khaybar Khaybar, oh Juifs, l'armée de Mahomet reviendra ! » à Londres (Royaume-Uni) le 11 novembre 2023, « Khaybar Khaybar ya yahud ! » aux Etats-Unis en octobre 2023… En mai 2023, l’Iran avait montré son missile de longue portée « Khaybar » pouvant atteindre Israël. Ce qui prouve combien cette bataille perdure dans l’esprit des ennemis des Juifs, et combien elle est ignorée des autorités policières, judiciaires ou politiques.
Certains politiciens ou journalistes français expliquent cette hausse dramatique du nombre d’actes antisémites par « l’importation du conflit israélo-palestinien » et exhortent à ne pas l’importer dans l’hexagone.
Est-ce une manière « politiquement correcte » d’occulter la haine des juifs véhiculée par certains immigrés ou descendants d’immigrés musulmans et de ne pas remettre en cause l’immigration de masse promue par l’Union européenne (UE) et des dirigeants nationaux ?
Certains évoquent un « antisémitisme d’atmosphère » en s’inspirant du « jihadisme d’atmosphère », expression de Gilles Kepel.
D’autres désignent l’« antisémitisme islamiste », et non islamique.
Ismaël Saidi, réalisateur, scénariste et dramaturge (« jihad », 2014) belge, a déclaré sur Sud Radio le 5 novembre 2023 : « Il n’y a pas de conflit importé. Il y a un antisémitisme… Quand on écoute les enregistrements audio de ces terroristes, ils parlent des « juifs », ils ne parlent pas des « Israéliens »... A partir du moment où ils parlent des « juifs », on n’est pas dans un conflit de territoire… C’est « On a tué des Juifs »… Le conflit israélo-palestinien est devenu le cache-sexe de cet antisémitisme… C’est pour essayer de justifier cette haine qu’on a à l’égard des juifs… Il existe [un antisémitisme] au sein des différentes communautés musulmanes dans le monde. Et je pense qu’il faut en parler ».
Est-ce un sujet tabou, et qui empêche de décrypter la réalité ?
C’est certainement LE sujet tabou depuis les années 1970, celles qui scellèrent l’alliance contre Israël de la Communauté économique européenne (CEE) avec le jihadisme nazi de l’OLP et son chef Yasser Arafat, héritier de la mission génocidaire du grand mufti de Jérusalem Amin al-Husseini, son oncle et son modèle.
Auparavant, aucune censure ne tentait d’effacer une histoire bien connue en Europe par des siècles de piraterie barbaresque, de razzias sur les côtes, de conquêtes turques et ottomanes jusqu’au cœur de la chrétienté. La visibilité de la dhimmitude s’affichait dans tous les empires musulmans. Personne ne pouvait la nier. Les voyageurs et marchands occidentaux y étaient eux-mêmes assujettis par certaines contraintes : interdiction de vivre parmi les musulmans, de porter la couleur verte, éviter les contacts et les discussions avec les musulmans, etc.
Le problème est qu’on ne peut parler d’antijudaïsme musulman sans parler d’antichristianisme puisque ces deux éléments se compénètrent et s’associent. Et ce sujet est hermétiquement scellé. Quiconque l’aborde pourrait risquer sa vie. J’attribue la criminalisation de mon travail pendant deux décennies par Wikipédia et par des auteurs français, anglais et norvégien à ma conceptualisation de ce sujet auquel j’ai donné un nom : dhimmitude.
On pourrait même dire que les chrétiens souffrirent davantage de persécutions du fait des guerres islamo-chrétiennes récurrentes. Les Etats chrétiens et les clergés devaient payer des sommes considérables aux califes ou aux sultans pour protéger les communautés ou les églises de la destruction et racheter par des rançons exorbitantes leurs captifs pris en otages.
Or, à notre époque, dans nos sociétés multireligieuses avec une forte composante musulmane, on ne pourrait évoquer ce passé sans risquer de compromettre gravement la « paix sociale ». Il fait partie d’une histoire et d’un univers interdits.
Y a-t-il eu occultation, oubli ou absence de transmission de la part des descendants des dhimmis ou de leurs dirigeants communautaires ?
Pas vraiment. On doit se replacer dans le contexte des années 1945-1980, un monde déchiré par la Deuxième Guerre mondiale et la Guerre froide, le judaïsme européen quasi-exterminé, la Shoah, des dizaines de millions de morts, des destructions d’apocalypse semant la misère et la dévastation.
Après la reddition du III Reich en 1945 suivie de celle du Japon, dans l’euphorie de la paix, personne ne pensait en Europe que la guerre nazie-euro-islamique contre les Juifs continuerait dans les pays arabes sous la bannière de la « Palestine arabe » de l’OLP.
Dans ces années d’après-guerre, le peuple Juif devait relever deux défis majeurs : réunir les juifs rescapés de la mort et survivre aux guerres arabes d’agression. Les Arabes de la Palestine mandataire furent les agents les plus intransigeants de la guerre arabe d’extermination d’Israël en 1947-48 et se rallièrent aux armées d’invasion de cinq Etats arabes. A la demande des chefs arabes, notamment de leur représentant le grand mufti de Jérusalem Amin al Husseini, ils s’enfuirent pour faciliter les opérations militaires arabes et le massacre des Juifs.
C’est dans ce contexte dramatique pour tout le peuple d’Israël, que se déroula l’exode contraint des juifs des pays arabes, d’Iran, etc. Environ un million de juifs, dont certains emprisonnés, spoliés et expulsés durent résoudre leurs problèmes matériels immédiats générés par la fuite et l’exil au sein de nouvelles sociétés. Il n’y eut aucun organisme international comme l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) pour les aider. Pourtant ils auraient dû bénéficier de cette aide puisqu’ils étaient des populations civiles extérieures aux combats.
En 1975, une première prise de conscience politique s’exprima avec WOJAC (Organisation mondiale des Juifs originaires des pays arabes) (12). Mais l’opposition de la gauche, y compris en Israël, fut si venimeuse et radicale qu’elle étouffa toute tentative de mentionner cet exode. Ici et là, grâce à quelques mécènes, de modestes centres s’organisèrent pour conserver la mémoire vécue de ces évènements. En Israël même, les réfugiés du monde musulman ne furent reconnus comme réfugiés que dernièrement, en 2014.
Une autre cause d’occultation fut la découverte progressive de l’incommensurable horreur de la Shoah, génocide qui fut largement approuvé dans le monde musulman et y fit d’Hitler un héros. L’opinion musulmane était, en effet, majoritairement favorable au nazisme et à l’extermination des Juifs. Cet engouement des masses arabes dans les territoires administrés par le Royaume-Uni, notamment dans la Palestine mandataire, contribua efficacement à annuler les tentatives de sauvetages des victimes juives pendant la Deuxième Guerre mondiale.
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la rhétorique anti-batye’orienne de Mark Cohen qui a dénoncé une rivalité victimaire des Juifs sépharades avec les Juifs ashkénazes et raillé une « histoire lacrymale ». Ces « Juifs d’Islam » n’ont même pas le droit de parler de leurs tragédies car elles portent ombrage et écornent le poncif de la « tolérance islamique » brandie contre la chrétienté. Il faut bien comprendre que le refus extérieur d’accueillir la parole vous condamne au silence. Autrement dit, s’il y eut occultation, ce n’est pas faute d’avoir parlé, mais par refus d’écouter.
Le silence sur les persécutions anti-chrétiennes dans les dernières décennies du XXe siècle s’inscrit dans le même contexte idéologique et politique d’interdits. Les puissantes forces d’occultation des gouvernements occidentaux, leur contrôle des médias et les dangers mortels liés aux accusations d’islamophobie plombent de silence tout effort d’information. Des pans d’histoire sont effacés ou altérés pour corroborer les versions islamistes.
Le temps de la parole est révolu, la prégnance actuelle de la dhimmitude dans les pays occidentaux et son corollaire, le terrorisme, imposent l’autocensure et la soumission.
Evoquer la dhimmitude suscite donc des oppositions, notamment car ce thème déconstruit le mythe al-Andalus, le mythe de la coexistence pacifique interreligieuse sous domination musulmane…
En effet, mais ce thème n’est que le fondement du principe essentiel sur lequel s’édifia toute la politique méditerranéenne de coopération et de mixité euro-arabe et islamique établie après la guerre du Kippour, attestée par des documents officiels entre les neufs pays de la CEE et ceux de la Ligue arabe (novembre 1973).
La pierre angulaire fondatrice de cette géostratégie fut la reconnaissance par la CEE du « peuple palestinien », de son président à vie, Yasser Arafat, et de l’engagement des Neuf dans le jihad palestinien destiné à créer cette seconde « Palestine » arabe, au cœur de l’Etat d’Israël, la première étant la Transjordanie créée en 1922 sur 80% du territoire palestinien historique. Ainsi se recréait en 1973 l’entente sacrée des Européens et des musulmans dans l’extermination des Juifs perpétrée dans le IIIe Reich.
Les caractères démonologiques des Juifs sous le nazisme furent désormais transférés à l’Etat d’Israël. C’est l’Etat juif qui est la cause du terrorisme islamique contre l’Europe, déclarent les ministres européens, car, avant le sionisme, les trois religions monothéistes vivaient dans la prospérité et l’harmonie dans les pays musulmans. Ces affirmations du mythe andalou figurent dans les grands textes internationaux de l’Alliance des Civilisations, de la Fondation Anna Lindh, dans la Charte de l’OLP, celle du Hamas (art. 6 et 31) et dans les commémorations officielles de la "Nakba" dont elles sont la trame. La cause de la guerre est ainsi subvertie. Ce ne serait pas le jihad génocidaire de l’OLP, et de ses devanciers, contre Israël qui causerait la guerre, mais l’existence même de l’Etat hébreu.
Le mythe andalou est indispensable pour justifier l’immigration islamique en Occident exigée par l’Organisation de Coopération Islamique (OCI), développer la mondialisation souhaitée par les élites financières, favoriser la fusion euro-arabe et islamo-chrétienne, héritage du nazisme hostile à la judéité inhérente au christianisme (judéité de Jésus et des apôtres, rameau greffé sur la racine). Le programme d’éradication d’Israël est celui de « la paix par la solution à deux Etats ». Il exige de projeter sur Israël la cause du Mal, afin de le cantonner dans un territoire exigu, d’augmenter sa vulnérabilité en lui contestant son droit à l’auto-défense, de procurer les financements, la propagande et les soutiens politiques à ses ennemis irréductibles, leur transférer l’histoire d’Israël jusqu’à sa disparition et son remplacement par la « Palestine ». Ainsi s’accomplirait la promesse d’Hitler en 1942 au créateur arabe et nazi de la « Palestine », le grand mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini.
Le mythe andalou a non seulement fourni le prétexte de combattre Israël en l’enfermant dans une situation suicidaire, mais il a été le fondement de toute la politique immigrationniste musulmane en Occident. On comprend dans ce contexte que mon travail sur la dhimmitude ne soit pas le bienvenu.
Et je ne parle pas ici des méfaits collatéraux d’une telle politique non seulement sur la diffusion de l’antisémitisme/antisionisme en Europe, mais sur l’ensemble des sociétés occidentales.
Dans les années 1970, quelle a été la raison ayant imposé ce tabou ?
Ce tabou fut imposé dans les années 1970 après la guerre du Kippour quand les pays de la Ligue arabe instituèrent un boycott du pétrole aux pays qui ne souscriraient pas à leurs exigences. Les plus importantes étaient la reconnaissance de l’OLP, alors considérée comme une organisation terroriste et de son représentant Yasser Arafat. Les pays de la CEE qui désiraient établir avec le monde musulman des relations de paix et une politique de rapprochement fusionnel à tous les niveaux s’exécutèrent docilement en novembre 1973. Ainsi, loin de condamner l’agression militaire perpétrée par l’Egypte et la Syrie contre Israël en octobre 1973, les neufs pays de la CE s’empressèrent de transformer la victoire militaire d’Israël en une défaite politique en souscrivant à toutes les conditions anti-israéliennes exigées par la Ligue Arabe pour annuler le boycott du pétrole. Sur cette base, ils jetèrent les fondations d’une vaste politique de collaboration euro-arabe dans tous les domaines.
C’est de cette époque que date la création d’un « peuple palestinien » totalement inconnu jusque-là puisque la Résolution 242 de l’ONU (1967) ne le mentionne même pas. Ceci ouvrit la voie à un train de décisions politiques, commerciales, culturelles, immigrationnistes etc., communes à l’ensemble des pays de l’UE. Les politiques culturelles et d’immigration importèrent en Europe les concepts et les interdits de la civilisation islamique parmi lesquels le mythe andalou, c’est-à-dire le régime de tolérance exemplaire accordée par la charia aux autres religions.
Toute la politique de collaboration euro-arabe avec son corollaire immigrationniste s’est construite sur le rejet d’Israël et le soutien total de leaders européens (13), souvent des ex-nazis convaincus (Walther Hallstein, Kurt Waldheim, K.G. Kiesinger, Hans Globke, parmi tant d’autres), ou des collaborateurs (Mitterrand, Bousquet, Couve de Murville, etc.) au djihad palestinien dont certains connaissaient bien le représentant nazi Amin al-Husseini et son successeur Arafat. Ce fut le début de la palestinisation de l’Europe qui fut le cheval de Troie de son islamisation.
Les relations étroites, et l’alliance, dès 1933 et durant la Deuxième Guerre mondiale, entre les dirigeants nazis, dont Adolf Hitler, et des dirigeants du monde islamique, dont le grand mufti de Jérusalem Mohammed Amin al-Husseini, ont été longtemps occultées, ou minorées.
Environ 100 000 musulmans européens ont combattu pour l’Allemagne nazie. Des divisions nazies musulmanes ont été constituées : la Légion arabe, la Brigade arabe, deux divisions musulmanes bosniaques Waffen SS, une division Waffen SS albanaise dans le Kosovo et dans la Macédoine occidentale, des Waffengruppe der-SS Krim (volontaires Tatars de Crimée), des formations composées de musulmans de Tchétchénie, l’Osttürkischen Waffen-Verbände SS avec des musulmans du Turkestan, etc.
Cette alliance était fondée sur deux points communs : la haine des juifs et la volonté d’éradiquer le peuple Juif.
Les louanges publiques et hommages officiels de l’Autorité palestinienne (AP) au grand mufti de Jérusalem al-Husseini sont nombreux.
Le 12 novembre 2023, Isaac Herzog, président d’Israël, a révélé lors d’une interview à la BBC que l’armée israélienne avait trouvé, dans le cadre de la guerre « Glaives de fer » (Swords of Iron) un exemplaire en arabe, annoté, de « Mein Kampf » d’Adolf Hitler dans une chambre d’enfant d’une maison utilisée par des terroristes du Hamas dans le nord de la bande de Gaza…
Cette politique euro-islamique raviva les liens culturels et politico-militaires noués durant la Première Guerre mondiale entre les empires allemand et austro-hongrois avec l’empire ottoman et ses élites militaires turques et arabes. Durant la Seconde Guerre mondiale, le fascisme ainsi que le nazisme devinrent très populaires parmi les peuples musulmans du Moyen-Orient et leurs élites politiques et militaires. Ces dernières, soudoyées dès les années 1930, par Rome et Berlin, adhérèrent totalement au nazisme, notamment le mouvement arabe palestinien représenté par son leader, le grand mufti de Jérusalem Amin al-Husseini, Frère musulman dont le parti rassemblait chrétiens et musulmans. Cette collaboration du nazisme et dudjihad, nourrie de la haine génocidaire des Juifs, s’établit sur l’ensemble des pays européens conquis par le III Reich, c’est-à-dire de la France à l’Ukraine, de la Norvège à la Grèce (14) et enflamma les pays musulmans.
On peut citer la Légion nord-africaine (LNA), dénommée aussi Brigade nord-africaine (BNA) et Phalange nord-africaine, fondée en janvier 1944 par Henri Chamberlin dit Henri Lafont (1902-1944), un chef de la Gestapo française de la rue Lauriston (75016), et par Mohamed el-Maadi (1902-1954 ou 1957). Ayant pour supérieur hiérarchique le colonel SS Helmut Knochen, la LNA a combattu la résistance. El-Maadi a été accueilli en Allemagne par le Grand Mufti de Jérusalem Amin al-Husseini, puis s’est installé au Caire (Egypte).
Et Saïd Mohammedi, dont le nom de guerre était Si Nacer (1912-1994), kabyle aspirant de l’armée française, s’est engagé dans la Waffen-SS et la LVF (Légion des volontaires français contre le bolchevisme), a lutté sur le front russe, séjourné à Berlin, été décoré par la Croix de fer, en mission de renseignement et sabotage en Algérie à la demande de l'Abwehr (service de renseignement nazi), fin 1944, avec 5 compagnons d'armes, arrêté, condamné aux travaux forcés et à l'emprisonnement à perpétuité, libéré après des remises de peine en 1952, il lutta pour l'indépendance de l'Algérie (jihad) en portant son Stahlhelm casque allemand et sa mitraillette de cette période de collaboration, colonel de l'Armée de libération nationale (ALN) en Wilaya III, député (1962), ministre des Anciens combattants et victimes de la guerre (moudjahidines), et finit sympathisant du FIS.
L’alliance active d’autorités religieuses musulmanes, notamment en Palestine mandataire avec le régime nazi et leur propagande haineuse, diffusa dans le monde musulman l’idéologie antijuive nazie dans le contexte théologique coranique. Le terrain historique musulman d’exécration religieuse contre les juifs offrait aux nazis l’opportunité de soulever les musulmans des colonies anglaises et françaises contre la métropole.
De nombreux volontaires musulmans émigrèrent en Allemagne et furent intégrés aux SS et dans la Wehrmacht où ils bénéficièrent d’un statut privilégié au sein des forces militaires nazies. Cette collaboration quasiment parfaite justifie le terme d’islamo-nazisme. Le fusionnement idéologique et militaire euro-arabe créé par le nazisme se prolongea dans l’après-guerre. L’historien Matthias Küntzel a récemment publié un livre qui explique très clairement ces problématiques que je viens d’évoquer (15).
Cette collaboration se maintint même après la défaite des armées de l’Axe en 1945, les fonctionnaires et leurs collaborateurs de la période de guerre étant maintenus dans leurs responsabilités (16).
Bien avant la guerre du Kippour (1973), ces milieux désirant rétablir l’entente euro-musulmane des années de guerre militaient pour une politique pro-arabe et anti-israélienne. Le boycott du pétrole ne fut qu’un prétexte pour le réaménagement de la politique antérieure en vue de construire un vaste ensemble euro-méditerranéen avec les pays de la Ligue arabe, où Israël serait remplacé par la « Palestine ». D’où la construction dès cette date d’un « peuple palestinien » sosie du peuple Juif, dépouillé lui-même de son histoire et relégué dans son propre pays au rôle infamant « d’occupant » et de « nazi ».
Simultanément, une nouvelle rhétorique créée par les collaborateurs européens déguisa en « victimes innocentes » et en « résistants », les populations chrétiennes et musulmanes de la Palestine mandataire, traditionnellement liguées contre les Juifs et alliées au nazisme. Beaucoup de volontaires s’étaient engagés dans les formations militaires du IIIe Reich et des SS.
Une infime partie de ce passé a émergé lors des guerres dans l’ex-Yougoslavie (1991-2001), surtout celles de Bosnie et du Kosovo…
En effet, durant la guerre en ex-Yougoslavie l’on vit le même blocage mémoriel effacer l’histoire pluriséculaire tragique des dhimmis serbes sous le joug ottoman et surtout le génocide qu’ils subirent durant la Deuxième Guerre mondiale perpétré par le régime Oustachi croate (majoritairement catholique) et des Bosniaques (musulmans), tous deux alliés aux nazis. Ce passé expliquait la volonté d’indépendance des Serbes, notamment au Kosovo.
Si les Etats-Unis avaient adopté une attitude plus conciliante envers eux au lieu de les acculer au choix de la guerre ou de la reddition totale, la situation aurait pu évoluer de façon plus favorable à la paix entre les trois groupes ethnoreligieux. Mais Washington a favorisé le pan-ottomanisme dans cette région-clé des Balkans, écrasant les Serbes sous un tapis de bombes déversés par l’OTAN alors dirigé par Javier Solana.
Le soutien américain aux Croates et aux Bosniaques conjugué à la violente campagne antiserbe internationale ne pouvaient qu’occulter davantage la participation des musulmans slaves aux campagnes hitlériennes et surtout le long passé d’oppression subi par les Serbes que j’évoque dans les Chrétientés d’Orient, notamment dans l’édition anglaise (1996).
La position américaine contre les Serbes proches de la Russie continuait la guerre de Washington contre l’Union soviétique désormais défunte.
L’antisionisme conjuguerait-il, politiquement, l’antijudaïsme et l’antisémitisme ? Quels sont les fondements de l’antisionisme islamique ?
A mon avis, antijudaïsme et antisémitisme sont blanc-bonnet et bonnet-blanc bien que l’antisémitisme enrichit l’antijudaïsme classique du concept de race particulier au XIXe siècle. Le fondement de l’antijudaïsme chrétien est antisioniste puisqu’il attribue la conquête romaine de la Judée en 131 à un châtiment divin punissant le refus par les Juifs de se convertir au christianisme. Châtiment qui oblige le peuple Juif à errer en exil dispersé parmi les nations et interdit sa présence à Jérusalem. Cette opinion exprimée par Saint Augustin fut partagée par l’Eglise catholique et l’Eglise byzantine ou orthodoxe qui contribuèrent jusqu’à la Shoah au combat antisioniste.
L’antisionisme islamique procède de l’idéologie du jihad qui interdit sur terre toute législation autre que la charia. Cette idéologie a conduit à l’islamisation de nombreux pays chrétiens en Europe, Asie et Afrique, de la Perse sassanide, des royaumes bouddhiques et hindouistes en Asie. La palestinisation ou islamisation d’Israël entre dans ce contexte de destruction jihadiste, comme la guerre actuelle contre l’Arménie et le Haut-Karabagh dénommé aussi Artsakh.
Néanmoins l’antisionisme islamique aujourd’hui s’est enrichi de toute la propagande nazie qui a instrumentalisé l’antijudaïsme islamique dans le Coran et les hadiths durant la Deuxième Guerre mondiale. La guerre actuelle contre Israël conjugue l’alliance et la collaboration européenne avec le jihad de l’OLP pour éradiquer Israël à tous les niveaux : international, médiatique, financier aggravé par le déni de son historicité et de ses droits nationaux dans sa patrie millénaire. C’est sur cette base qu’est construite la nouvelle démonologie juive « d’apartheid », de « colonisation juive en Judée » ! qui d’ailleurs concordent parfaitement avec le principe jihadiste d’illégitimité des nations « mécréantes ».
Cette participation de l’Union européenne alliée à l’Oumma en fait une guerre internationale, compte tenu des immenses pressions économiques et financières sur les pays réticents à l’adopter.
Guerre contre le peuple d’Israël rassemblé sur un minuscule territoire et doublement rescapé : de la Shoah en Europe et de la dhimmitude en islam.
Mahmoud Abbas (Abou Mazen), Chairman de l’Autorité palestinienne (AP), a nié le lien historique entre le Kotel et le mont du Temple à Jérusalem et le peuple Juif : « Le mur d’al-Buraq [le mur occidental, soubassement vestige du Temple, Ndlr] et al-Haram al-Sharif [le mont du Temple, Ndlr] appartenaient exclusivement au Wakf islamique ». Un déni commun à l’Unesco.
Il a aussi déclaré en 2015 : « Les juifs n’ont pas le droit de souiller la mosquée Al-Aqsa de leurs pieds sales ».
Il avait affirmé en 2013 qu’aucun Israélien ou juif ne vivra dans la « Palestine », qui sera donc Jüdenrein comme de nombreux pays musulmans. La communauté internationale ne s’est pas indignée.
Ce dirigeant si apprécié de chefs d’Etats européens a exprimé la vision islamique de l’Histoire et des clichés anti-juifs…
J’ai parlé de la palestinisation de l’Occident, par cela j’entends le retour de l’alliance euro et islamo-nazi contre le peuple d’Israël, car le « peuple palestinien » est l’héritage nazi de son leader Amin al-Husseini, représentant de la branche palestinienne des Frères musulmans alliée aux nazis.
Après la guerre d’Indépendance en 1948 et surtout dès 1954 en Egypte, Syrie, Irak, des organisations terroristes arabes harcelèrent Israël par des sabotages et des assassinats. Parmi celles-ci, les prémices de l’OLP créée en 1964 et soutenue par Nasser fut idéologiquement et militairement formée par les criminels nazis arrivés d’Europe dans les pays arabes et convertis à l’islam, ainsi que par le KGB et les services de renseignements roumains. Parmi ceux-là, Eric Altern, chef de la section juive de la Gestapo en Galicie, avait rejoint l’Egypte et était connu sous l’alias Ali Bella, chargé de l’entraînement de l'OLP. Hans Appler, collaborateur de Goebbels, était connu au Caire sous l’alias Salah Shafar, actif dans la propagande anti juive et anti-israélienne avec son copain Franz Bartel, alias el Hussein. Baumann, qui collabora à l’extermination des Juifs dans le ghetto de Varsovie, a vécu au Caire sous l’alias Ali Ben Khader, enseignant militaire pour les volontaires de l’OLP avec Willi Berner, alias Ben Kashir, ancien officier SS gardien du camp de concentration de Mauthausen, et bien d’autres dizaines encore.
La guerre d’extermination contre le peuple d’Israël, commencée en Europe, ne s’est pas arrêtée en 1945, mais a continué avec les guerres israélo-arabes pour la « Palestine » et celle aujourd’hui du Hamas qui a montré son emprise en Occident.
Depuis 2000, on parle d’un « nouvel antisémitisme » en France pour désigner la haine des Juifs qui provient de populations issues de l’immigration musulmane. Cette expression vous semble-t-elle adéquate ?
C’est une expression incorrecte, car la haine des juifs dans l’Islam est vieille de treize siècles. Elle dénote l’ignorance de la dhimmitude, ce qui est grave car l’Europe vit déjà dans une condition de dhimmitude avancée analogue à certaines situations historiques antérieures.
Cet antisémitisme décomplexé est bien connu des Juifs d’Islam. C’est celui qui idolâtrait Hitler et glorifiait ses crimes, qui jubilait de haine avec l’outrance d’une impunité triomphante. Celui qui s’exprimait fièrement dans l’Oumma comme un accomplissement religieux. Celui d’une atmosphère festive née du sang versé, des congratulations accompagnées de pâtisseries. Bref, celui qui a renforcé la haine génocidaire du jihad par celle du nazisme euro-chrétien depuis près d’un siècle. Celui qui a uni chrétiens et musulmans sous l’autorité d’Amin al-Husseini dans la Palestine mandataire. Maintenant, fort de ses millions d’émigrés en Europe, il y impose sa loi.
Le facteur psychologique le plus évident est l’acceptation par les dirigeants de l’Union européenne de vivre en état de siège permanent depuis la vague d’attentats des années 1970-80 réactivé dans les années 2000. L’aspect militarisé de nos villes nous est familier : gardes armés protégeant certains lieux, ambassades, agences de voyages, consulats, centres culturels ou religieux transformés en blockhaus, patrouilles militaires dans les aéroports, fouilles minutieuses, etc.
Les Européens se sont habitués à vivre chez eux assiégés par le terrorisme, brimés dans leurs libertés, agressés par l’insécurité, astreints à des pertes de temps considérables et obligés de financer une importante infrastructure antiterroriste. Pays parmi les plus riches et les plus puissants, disposant d’armées sophistiquées, les Etats européens refusent de se défendre contre le jihad qu’ils nient, puisque leurs élites en imputent les causes à l’existence d’Israël. Grands gestionnaires des marchés industriels et de l’économie internationale, ils se résignent au chantage terroriste pour ne pas compromettre leurs intérêts économiques et géostratégiques avec le monde arabe et musulman. De dérives en collusions avec les Etats terroristes, de compromissions en lâchetés, des partis politiques, obsédés par la récupération des votes dans le vivier d’une immigration mastodonte, ont imposé le déni des réalités.
Seule la Hongrie, qui garde la mémoire historique de ses deux cents ans de soumission au joug turc, résiste à la stigmatisation et aux diktats de la Commission européenne, et maintient le contrôle de son identité, de son Histoire ainsi que ses libertés.
Car la dhimmitude, il faut le rappeler, ne frappe pas exclusivement des minorités. Elle incarne le douloureux processus de transformation de majorités en minorités soumises, l’extinction dans une longue nécrose de nations riches et parvenues à un haut niveau de civilisation. Bien que le facteur démographique ne soit pas négligeable, il n’est pas primordial. Certes, l’immigration « portes ouvertes » provenant de pays musulmans dans une Europe vieillie, infantilisée et s’abstenant de procréer, éveille de légitimes inquiétudes, mais d’autres facteurs d’ordre psychologiques et économiques sont tout aussi déterminants.
A l’heure du « dialogue judéo-musulman », des « accords d’Abraham » et du « vivre ensemble », des études sur l’antisémitisme et l’antijudaïsme en Islam peuvent-elles s’effectuer sereinement, selon les règles du débat universitaire, sans que leurs auteurs soient stigmatisés, voire ostracisés ?
Définitivement non ! La situation s’est tellement dégradée que ces études ou ces débats essentiels voici quelques décennies peuvent difficilement être abordés aujourd’hui. Nous sommes devenus la civilisation du Chaos pour construire le grand Déni, du Mensonge devenu Vérité, de l’inversion du sens, de l’exonération du crime pour inculper la victime. La dérision vicieuse du Vrai déguise les islamo-nazis en « résistants ». Arrivé à ce stade, il est difficile de se relever.
Jacques Ellul avait déjà en son temps parlé de la subversion du sens. J’en avais étudié l’origine, les causes géopolitiques et économiques et les processus dans mes livres Eurabia : l’Axe euro-arabe, et L’Europe et le Spectre du Califat. Quelques années avant son décès, Anne-Marie Delcambre a courageusement combattu cette tendance. Dans mon livre Ghazal, tome 3 de Bienheureux les souffrants…, l’héroïne se débat dans ce champ de ruines du rationalisme inhérent à notre culture.
Par ailleurs, nous avons aussi les Accords d’Abraham et le climat très amical avant le 7 octobre entre Israël, ses voisins et les Emirats. Israël sera-t-il accepté comme un égal avec ses droits historiques souverains inaliénables, ou sur la base d’un traité provisoire du jihad éternel ? Ce passé de djihad et de dhimmitude nous le partageons avec le monde chrétien. Pourquoi celui-ci se tait-il ? N’est-il pas assez puissant pour s’exprimer ? Pour défendre l’Arménie ?
Quels sont les enjeux contemporains de ces réflexions ou analyses ?
Pour certains Occidentaux, l’enjeu majeur est la réalisation de la Palestine judenrein, ce monstre né de l’union du djihad avec le nazisme chrétien et objet de toutes les sollicitudes de l’Europe.
Pour d’autres, le souci principal implique la survie de la civilisation judéo-chrétienne. Beaucoup suppriment le mot judéo, mais sans judaïsme le christianisme n’existerait pas. Le concept même sur lequel il se fonde – Christ, c’est-à-dire Messie, sauveur -, n’existe que dans le judaïsme. Une civilisation qui se retourne contre son origine fondatrice est une civilisation qui se suicide.
Ce processus s’est engagé pour la seconde fois, en novembre 1973 par l’alliance de l’Occident avec le jihad de l’Oumma contre Israël. Le soutien idéologique et tactique au jihad contre le peuple Juif a conduit l’Europe à nier ce même jihad contre elle-même car elle ne pouvait s’unir à son propre ennemi. L’Union européenne se devait de démoniser l’Etat d’Israël pour légitimer la Palestine sur un territoire juif et le démanteler. Les défenseurs de la « Palestine » n’appellent plus à la destruction d’Israël, mais à la construction de la « Palestine » à la place d’Israël. L’Europe nia le passé biblique et islamisa ses lieux géographiques et religieux. Par cet acte délibéré, elle rompt définitivement son lien biblique qu’elle récuse, elle n’est plus le rameau païen greffé sur la racine et s’affranchit enfin du judaïsme. L’histoire d’Israël racontée dans la Bible avec toute sa densité spirituelle n’est plus la sienne.
Le rêve de symbiose euro-islamique d’Hitler et de déjudaïsation du christianisme s’accomplit dans la « Palestine », cadeau de l’Europe à l’islam qui a déjà décidé d’en faire le siège d’un futur Califat.
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PRECISIONS TYPOGRAPHIQUES
Les mots « judaïsme », « christianisme » et « islam » considérés comme religion, débutent par une minuscule. Les termes « juifs », « chrétiens » et « musulmans », fidèles de leur religion, commencent aussi par une minuscule.
La majuscule est utilisé pour désigner un peuple : le « peuple Juif ».
(1) Voir Bat Ye’or, Juifs et Chrétiens sous l’Islam, Berg international, Paris 1994, pp.269-275.
(2) Voir Juifs et Chrétiens, pp.116-19.
(3) Bat Ye’or, Les Chrétientés d’Orient entre Jihad et Dhimmitude, Préface de Jacques Ellul, Le Cerf, Paris 1991, rééd. Jean-Cyrille Godefroy, Paris 2007 (1991).
(4) Bat Ye’or, Les Chrétientés d’Orient, p.305
(5) Antoine Fattal, Le Statut Légal des Non-Musulmans en Pays d’Islam, Imprimerie Catholique Beyrouth, 1958
(6) Jean Juster, Les Juifs dans l’Empire romain. Leur condition juridique, économique et sociale, 2 vol., Paris, Geuthner, 1914.
(7) Bat Ye’or, Juifs et Chrétiens, pp.116-119.
(8) Bat Ye’or, “Islam and the Dhimmis”, The Jerusalem Quarterly, 42 Spring 1987, pp. 83-88, Jerusalem.
(9) Voir ma discussion entre tolérance et droit dans Bat Ye’or, Les Chrétientés d’Orient, chap. 9.
(10) Bat Ye’or, Autobiographie Politique. De la Découverte du dhimmi à Eurabia, Les provinciales, 2017, pp.139-152.
(11) Bat Ye’or, voir la conclusion de Juifs et Chrétiens,
(12) Voir Bat Ye’or, Autobiographie Politique.
https://www.cairn.info/revue-pardes-2003-1-page-289.htm
(13) Bat Ye’or, Eurabia : l’Axe Euro-Arabe, Paris, Jean-Cyrille Godefroy 2006, éd. anglaise 2005.
(14) Voir David Motadel, Les musulmans et la machine de guerre nazie, Paris, Editions la découverte 2019.
(15) Matthias Küntzel, Nazis, Islamic Antisemitism and the Middle East, The 1948 Arab War against Israel and the Aftershocks of World War II, Routledge London/New York 2024.
(16) David Motadel, Les musulmans ; Christophe Bourseiller, Ombre Invaincue, La survie de la Collaboration dans la France de l’après-guerre 1944-1954, Paris, Perrin 2021.
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