J’ai raté ma vie, je suis juif et pauvre
par Laurent Sagalovitsch
J’ai tellement honte.
Je crains d’avoir dépassé le mitan de ma vie et l’argent continue à me fuir.
Je ne comprends pas.
Pourtant, sur le papier, c’était gagné d’avance.
Avec ma bonne bouille de youpin, mon nom aux consonances russo-hébraïques, mes ascendances mêlées ashkénazes et sépharades, mon omniprésence dans les médias, la fierté assumée de ma judaïté revendiquée, à l’heure où je rédige ces lignes, je devrais être en train de siroter du champagne californien à bord de mon yacht mouillant dans la Baie de Cannes.
Jonglant avec des milliards.
Copinant avec les grands argentiers de ce monde.
Me torchant le cul avec des poignées de dollars.
Offrant à des dames de compagnie des diamants gros comme le Ritz.
Laissant mes chats persans astiquer leurs griffes sur des tableaux de Picasso dispersés aux quatre vents de mes résidences princières, ayant jeté l’ancre dans des atolls aux noms exotiques dont je serais l’unique propriétaire.
C’est horrible à confesser mais je dois être le seul juif pauvre ayant jamais existé depuis le début de la Création.
Je ne sais pas comment je me suis débrouillé pour en arriver là.
Je dois être maudit.
Comment se fait-il que j’en sois encore réduit à louer l’appartement où je vis, à n’être propriétaire d’aucun bien, à ne disposer que d’un seul compte en banque qui flirte toujours, avec une obstination rare, dès le milieu du mois, avec la ligne de flottaison, à ne pas avoir ma table réservée dans les meilleurs restaurants de la ville, à devoir compter sur le fruit de mon seul travail pour pouvoir manger à ma faim, à ne posséder aucun Manoir en Ecosse ?
Je serais donc maudit.
Appartenant au peuple élu et en même temps pauvre comme Job.
Quelle infortune.
Il fallait que ça tombe précisément sur moi.
De tous les juifs qui, sans exception aucune, dorment tous les soirs dans des draps de soie, entassent des lingots dans leur congélateur, crèvent sous le poids d’une fortune tentaculaire, colonisent les bourses du monde entier, il a fallu que je sois le seul de ma lignée à ne pas connaître sort aussi enviable.
Une malédiction biblique.
Soupçonnant que mon père ait confisqué mes lingots hérités de mes grands-parents, comme c’est le cas dans toutes les familles juives recensées depuis la nuit des temps, je m’en suis allé réclamer mon dû.
Il m’a répondu, mon fils, les sanglots longs des lingots de l’automne bercent mon portefeuille d’une langueur monotone.
A la synagogue, tout le monde me regarde de travers.
Le rabbin ne me salue jamais.
Au moment de la quête, lorsque le bedeau arrive à ma hauteur avec sa corbeille débordant de Napoléons et de pièces montant jusqu’au plafond, c’est avec dédain qu’il me regarde, ne prenant même pas la peine de me tendre son panier, assuré d’avance que les poches de mon pantalon sont trouées.
Je suis un paria.
Je fais honte à toute la communauté.
A cause de cette infortune, il m’arrive de drôles de mésaventures.
Le tandem Ferrara-Maraval , ébloui par la lecture de mes romans tenait absolument à me rencontrer.
Ils m’ont demandé de venir les voir à New York pour une session de travail.
J’ai demandé s’ils pouvaient me payer le billet d’avion, vu que je n’avais pas le début d’un kopek pour m’en acheter un, ils ne m’ont pas cru, ils m’ont dit “ dans tes bouquins, tu te présentes comme un juif et maintenant tu viens nous dire que t’as même pas de quoi te payer un billet d’avion, tu te fous de nous ou quoi ? T’es pas juif, c’est ça ? T’es un imposteur ?”.
Je crois qu’ils ont raison : je ne dois pas être juif.
Je ne vois pas d’autre explication.
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Commentaires
T'es pas le seul moi aussi. Je me pose tous les jours la question : pourquoi ? Je ne sais pas
Il y a aussi la richesse du coeur. Et elle doit surement peser lourd chez vous. Quelle fierté pour vous !!
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