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Judaïté et Marocanité : la renaissance

Judaïté et Marocanité : la renaissance

  • par Wissam El Bouzdaini

Un large programme est mis en oeuvre pour réhabiliter et mettre en valeur les sites historiques du judaïsme marocain et ainsi raviver la mémoire millénaire de cette communauté.

Curieux spectacle auquel on avait droit le 13 avril 2019, rue Jaber Ben Hayane à Casablanca, en plein quartier historique de la ville blanche, à l’ombre des immeubles art déco laissés à son départ en mars 1956 par le colonisateur français. D’un style plutôt sobre, voire inaperçue dans la mesure où une imposante muraille la soustrait aux regards potentiellement indiscrets, la pourtant célèbre synagogue Beth-El tranche avec son environnement qui a justement pour vocation de taper dans l’oeil, et c’est justement pour cette raison que le défilé de berlines transportant des individus à l’apparence soignée et, selon toute vraisemblance, importants, en a interpellé plus d’un.

«Il y a une synagogue», confiaient, dans les jours suivants, les riverains les plus informés, sans, visiblement, pouvoir en dire plus. En fait, c’est vers la presse israélienne qu’il fallait s’orienter dès le lendemain pour avoir sinon une explication, du moins une piste: Beth-El aurait accueilli l’intronisation du rav Yochiahou Pinto à la tête du grand rabbinat du Maroc.

Une spécificité marocaine
Cette dernière institution, chargée de régenter la vie spirituelle et religieuse de la communauté juive marocaine, est orpheline depuis août 2018 de tout dirigeant suite à la disparition du rav Aharon Monsonego, ce qui rend la chose plausible. Pour étayer cette affirmation, le compte Twitter Yiddish News, spécialisé dans l’actualité de la population juive de par le monde, publiait une photo où l’on peut reconnaître, talit autour du cou, le rav Pinto, entouré de Saïd Ahmidouch, désigné le 18 février 2019 par le roi Mohammed VI wali de la région de Casablanca-Settat, et du secrétaire général du Conseil des communautés israélites du Maroc (CCIM), Serge Berdugo. Justement, ce dernier, via une mise au point adressée aux médias ayant relayé les informations de la presse israélienne, apportera le 15 avril un éclairage définitif sur ce qui s’est passé à Beth-El: plutôt que d’être nommé grand rabbin du Maroc, le rav Pinto est le nouveau «av beth din», ou président du «beth din», qui est le tribunal religieux juif.

Ce «beth din» n’existait pas jusqu’à présent et a été créé, selon M. Berdugo, aux fins de «mise en place d’une cacheroute », c’est-à-dire d’un code alimentaire juif, «fiable, apte à garantir le respect des prescriptions alimentaires à la communauté et aux 100.000 touristes juifs observants». «Le CCIM a décidé la création d’un beth din Maroc pour différencier les responsabilités des chambres rabbiniques, des tribunaux marocains avec les autres tâches du rabbinat, dont la cacheroute. Cette distinction est spécifique au Maroc où les tribunaux sont une partie intégrante du système judiciaire national», détaille le secrétaire général du CCIM.

Quant au grand rabbinat, ce n’est que «dans un futur très proche», pour reprendre M. Berdugo, que «le CCIM procédera à [sa] désignation», laquelle est, selon la même source, «en cours de finalisation».

Sous le boisseau, les choses bougeaient donc au sein de notre communauté juive, et d’ailleurs six jours après la désignation du rav Pinto, c’est-à-dire le 19 avril, le ministère de l’Intérieur faisait parvenir aux médias un communiqué rendant compte d’instructions du roi Mohammed VI pour l’organisation des élections des instances représentatives des communautés israélites marocaines. Une chose dont l’on ne peut saisir la pleine portée qu’en rappelant que ces élections n’ont plus eu lieu depuis 1969, dans un contexte marqué par la défaite arabe face à Israël à la guerre des Six Jours de juin 1967.

Des attentes légitimes
Qui plus est, le roi Mohammed VI a également demandé au département de Abdelouafi Laftit de veiller dorénavant au respect de la périodicité du renouvellement desdites instances. «Les très hautes instructions données par Sa Majesté le Roi, Amir Al-Mouminine, pour l’organisation des élections des instances représentatives des communautés juives marocaines, répondent aux attentes légitimes de leurs membres», s’est exprimé, dans un texte rendu public, M. Berdugo.

Tout semble donc aller pour le mieux dans la vie de la communauté juive marocaine. Petit à petit, celle-ci semble retrouver sa place légitime en tant qu’«affluent» de l’unité du Maroc, comme l’indique, dès son préambule, la Constitution du 1er juillet 2011.

Un message fort
D’ailleurs, la semaine même où il donnait ses instructions au ministère de l’Intérieur, S.M. le Roi lançait dans la ville de Fès, le 15 avril, les travaux de construction d’un musée de la culture juive. Ce musée, qui devrait coûter la bagatelle de 10 millions de dirhams et vise, selon le président de la Fondation nationale des musées (FNM), Mehdi Qotbi, à «lancer un message fort au monde, selon lequel la coexistence entre les Marocains et toutes les autres religions est une réalité», viendra s’ajouter au Musée du judaïsme marocain de la ville de Casablanca, créé en 1997 par l’intellectuel juif marocain Simon Lévy et est, à ce jour, le seul du genre dans tout le monde arabe. De fait, dans la région, le Maroc fait figure d’exception. Un statut qu’il doit en grande partie à la propre oeuvre du roi Mohammed VI, véritable parangon de la coexistence entre religions comme l’a récemment illustré la réception, le 30 mars 2019, du pape François au Maroc.

En écho à des déclarations qu’il avait tenues à la presse malgache en novembre 2016, lors d’une visite à l’Île rouge, le Roi rappelait dans le discours prononcé à l’occasion du déplacement du souverain pontife qu’il était «le Commandeur de tous les croyants» et, qu’en tant que tel, il ne pouvait «parler de terre d’islam, comme si n’y vivaient que des musulmans». «Je veille, effectivement, au libre exercice des religions du Livre et je le garantis. Je protège les juifs marocains et les chrétiens d’autres pays qui vivent au Maroc », soulignait-il. Le Souverain a ainsi été derrière l’initiative de réhabiliter, depuis 2010, quelque 167 cimetières juifs nationaux, ce qui a permis «de construire plus de 40 kilomètres de murs, de rénover 169 portes de cimetières, ainsi que 200.000 mètres carrés de pavement et l’édification de dizaines de bâtiments et dépendances», se félicitait, en juin 2017, M. Berdugo.

Parangon de la coexistence
Des cimetières juifs marocains du Cap-Vert et de Gibraltar, où une importante communauté juive a émigré au XIXe siècle à partir du Maroc, ont également été concernés par ces opérations. Le roi Mohammed VI a, pour ce faire, puisé dans sa propre cassette, à travers des dons remis aux autorités des deux territoires susmentionnés.

On ne peut, en outre, faire l’impasse sur la décision royale, actée en janvier 2017, de rebaptiser les rues et ruelles de l’ancien quartier juif de la ville de Marrakech de leurs noms juifs originaux. Naturellement, le Roi jouit d’une grosse cote de popularité au sein de la communauté juive marocaine, où qu’elle soit.

En marge de la visite officielle qu’il a effectuée aux Etats-Unis en novembre 2013, les représentants de cette communauté dans la ville de New York avaient tenu à lui réserver un accueil très chaleureux, selon certaines indiscrétions ébruitées plus tard dans des médias locaux.

La Mimouna perpétuée
En Israël même, où demeure la majeure partie de la diaspora juive marocaine -quelque 800.000 personnes selon un guide du gouvernement Abdelilah Benkirane datant de mars 2016-, beaucoup placardent à leurs murs des photos du roi Mohammed VI, comme le montrent différents reportages réalisés dans le pays. Il faut dire aussi qu’à rebours des nombreuses communautés nationales constituant l’Etat hébreu, les Israélo- Marocains sont toujours restés attachés au pays qui les a abrités presque deux millénaires durant suite à la destruction du Second Temple de Jérusalem en 70 de notre ère.

Une fidélité qui se traduit notamment par la revendication continue de la culture marocaine et de ses différentes manifestations. Ainsi, une fête typiquement marocaine telle la Mimouna, organisée au sortir de la Pâque juive, est presque devenue une fête nationale israélienne, tellement nos concitoyens des rives du Jourdain ont tenu à la perpétuer sur leurs nouvelles terres. Depuis septembre 2016, la darija est même enseignée dans certaines écoles, afin que les nouvelles générations puissent continuer à la parler. En octobre 2013, le Franco-Marocain Kamal Hachkar transcrivait dans un poignant documentaire la douleur que ressentent encore beaucoup de Marocains d’Israël lorsqu’ils se rappellent ce qui, pour eux, ne fut pas loin d’un âge d’or dans leur pays d’origine.

L’Histoire prolongée
Car à leur arrivée au Proche-Orient, ils furent nombreux à déchanter, en se retrouvant citoyens de seconde zone dans ce qui devait être un foyer national pour tous les Juifs mais qui le fut surtout pour ceux d’Europe, dits Ashkénazes. Contre le sort qui leur est fait, ils se soulèveront dès juillet 1959 dans ce que l’histoire gardera sous le nom de la révolte de Wadi Salib, une banlieue de Haïfa, suite au meurtre d’un Israélo-Marocain par la police. Les choses commencent à changer avec l’arrivée, en juin 1977, de Menahem Begin à la tête du gouvernement. Patron du parti de droite du Likoud, ce dernier parvient à déloger la gauche, au pouvoir depuis la proclamation de l’Etat d’Israël en mai 1948, en s’appuyant justement sur ces centaines de milliers de Mizrahim, ou Juifs orientaux, exclus du système.

Aujourd’hui, les Marocains disposent d’un poids politique tout au moins égal à celui qui est le leur démographiquement -deuxième communauté israélienne après les Russes-, mais pour autant la marocanité semble demeurer un aspect important de leur personnalité.

Chaque année, des milliers d’entre eux continuent ainsi de revenir sur la terre de leurs ancêtres pour notamment les hiloulas de certains saints juifs tels, à Essaouira, le rav Chaim Pinto, qui n’est d’ailleurs autre que l’arrière-grand-père du tout nouveau av beth din, en l’occurrence donc le rav Yochiahou Pinto. Une façon de prolonger une histoire qui, tout bien considéré, n’est pas faite pour prendre fin...

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