JUIFS ET BERBERES DU MAROC
Les plus vieux témoignages sur l'ancienneté de la présence juive au Maroc sont épigraphiques. Ce sont ceux des inscriptions funéraires en hébreu et en grec qui ont été trouvées dans les ruines de Volubilis et qui remontent au IIème siècle avant notre ère. Mais la tradition orale des juifs du Maroc fait remonter la présence juive à l'arrivée des premiers bateaux phéniciens, il y a donc plus de 3000 ans ! Durant toute une partie de l'époque phénicienne, puis durant toute la présence romaine, les villes de Chellah (Salé), de Lixus (Larache), de Tingis (Tanger) ont été très certainement des centres de négoce importants pour les juifs du Maroc, qui pratiquaient surtout le commerce de l'or et du sel. Lorsque les Vandales surviennent, ils trouvent des alliés parmi les juifs, et ceux-ci vont connaître une totale liberté de culte pendant un siècle. Mais quand, en 533, le général Bélisaire est envoyé en Afrique du Nord par Justinien, l'empereur de Byzance, pour chasser les Vandales, les juifs vont entrer dans une période très douloureuse de leur histoire. A la veille de la conquête musulmane, plusieurs tribus juives berbères sont identifiées à travers tout le Maghreb. La conquête musulmane sera pour eux une libération. Rachid Benzine.
Plus de 400.000 Juifs vivaient au Maroc dans les années 1950. Aujourd'hui ils sont moins de 3000. La présence des juifs dans ce pays est très ancienne et fut nourrie par diverses vagues d'immigration et souvent suite aux vicissitudes et persécutions dont ont été victimes le peuple au cours de l'histoire, mais aussi des conversions parmi les populations berbères autochtones. Commerçant avec eux puis avec les romains, ces communautés on prospéré et se sont considérablement développées avec la civilisation arabo-andalouse à partir du VIème siècle. Vivant en bonne entente avec les musulmans et les Chrétiens, il participent activement au rayonnement de cette civilisation pendant que l'Europe entière vit dans la barbarie gothique, Cordoue est incontestablement au VIIe siècle la ville la plus importante et attire médecins, scientifique, et artistes.
Averroes, traducteur d'Aristote réintroduit la philosophie grecque et son élève juif Maïmonide, théologien et médecin à la cour de Saladin, publie le "Guide des Egarés" où il tente de concilier religion et science. Il est aussi l'auteur d'une importante pharmacopée qui restera très longtemps une référence.
Cette communauté juive compte deux sous-ensembles ethnico-culturels : les toshavim (autochtones) et les megorashim (expulsés d'Andalousie).
Les différentes communautés juives d'origine marocaine comptent plus d'un million de membres à travers le monde.
Les juifs étaient intégrés au tissu culturel du Maroc rural, ils avaient des coutumes communes avec leurs voisins musulmans : l'habillement, la nourriture, la « vénération de saints hommes et, à l'occasion, de saintes femmes, ainsi que les rythmes et les modes de la vie quotidienne. Les liens sociaux et économiques entre les juifs et les musulmans dans les régions de culture berbère étaient très étroits, bien que chaque groupe ait aussi gardé des traits culturels distincts et des « limites religieuses très strictes. Alors que dans toutes ces régions les juifs parlaient « berbère, car d'aussi loin que les gens se souviennent, ils parlaient l'arabe « vernaculaire (avec des tournures spécifiquement juives) dans la plupart des mellahs, comme leur langue maternelle. Ils écrivaient en judéo-arabe, employant « des caractères hébraïques pour transcrire leur parler marocain. Bien que la [nourriture consommée par les juifs ressemblât beaucoup à celle des musulmans, leurs lois alimentaires leur interdisaient de consommer des repas préparés dans « des maisons non juives. Par ailleurs, ils pouvaient manger des œufs, des olives, du « miel, de l'huile ou des produits laitiers chez leurs voisins. Alors que les costumes des juifs et des musulmans paraissaient très semblables, un examen approfondi « révélait presque toujours des signes distinctifs chez les juifs, qu'il s'agisse de la « couleurdu vêtement du dessus ou bien de la sorte de coiffe portée par les femmes « et par les hommes. La loi islamique stipulait que les dhimmis devaient porter un vêtement les distinguant des musulmans (et leur interdisait par exemple le port d'un turban), mais dans le pays berbère, les traits distinctifs permettant de reconnaître les juifs relevaient davantage de la coutume que de l'exigence légale. (Daniel Schroeter). M. André Azoulay, Conseiller de SM le Roi et actuel président de la Fondation Anna Lindh, a affirmé que les juifs du Maroc ont su résister à la tentation de l'[(amnésie]], indiquant qu'aujourd'hui, près d'un million de juifs dans le monde se réfèrent avec force et conviction à la profondeur de leurs racines marocaines.
L'histoire des Juifs du Maroc commence dès le IVe siècle avant J.-C. Les villes de Salé et d’Ifrane sont des centres importants de négoce, où l’on pratique le commerce de l’or et du sel. La communauté juive marocaine connaît, aux Ve et VIe siècles sous les Vandales et les Byzantins, des périodes de répit et d’oppression. L'islamisation du Maroc qui se fera progressivement à partir du VIIe siècle soumet les Juifs à la dhimma dès la première dynastie musulmane en 788. Depuis cette date, entre âge d’or, humiliation, ségrégation, privilèges… la situation des Juifs au Maroc n’est absolument pas le long fleuve tranquille que veulent bien proclamer les thuriféraires de la «tolérance».
D'ailleurs le mot seul n’en dit-il pas suffisamment long ? Les derniers massacres de Juifs, lors du protectorat français en 1912, sont commis alors que l’insurrection éclate. Ils viennent conclure une fin de siècle (le 19è) tragique avec les émeutes de Sefrou qui font plus de quarante victimes juives, le mellah de Mogador est pillé, les Juifs de Fès, Meknès et Marrakech sont persécutés...Une émigration massive de plusieurs dizaines de milliers de Juifs marocains va être organisée par le Général Oufkir à partir du port de Casablanca.
En résumé : entre 1948 et 1955 : 70 000 émigrants légaux (vers Israël) entre 1955 et 1961 : 60 000 émigrants clandestins (vers Israël) entre 1961 et 1967 : 120 000 émigrants légaux (vers Israël) La guerre Israélo-arabe de 1967 entraîne aussi une très importante émigration vers les Etats Unis, Le Canada ou la France.
La communauté juive du Maroc qui comptait près de 300 à 400 000 membres est actuellement réduite à quelques centaines de familles et les Juifs d'origine marocaine représentent plus d'un million de personnes dans le monde.
Dans les années 50 et 60, près de 750 000 Juifs originaires du Maghreb et du Moyen-Orient émigrèrent en Israël, dont 250 000 Marocains. Ces derniers ont particulièrement souffert d’un système socio-éducatif qui les a coupés de leur culture judéo-arabe marginalisés dans des “villes de développement” et les quartiers périphériques des grandes villes. Le réalisateur David Benchetrit leur consacre un long documentaire qui, à peine primé en juillet 2002, suscitait une violente polémique.
LA DÉCOUVERTE DES JUIFS BERBÈRES, DANIEL J. SCHROETER
LES JUIFS DANS LA SOCIÉTÉ BERBÈRE
Au Maroc le juif occupait une place bien définie dans le système socio-économique du village berbère: il remplissait généralement la fonction soit d'artisan (orfèvre, cordonnier, ferblantier), soit de commerçant, l'une et l'autre occupation pouvant être ambulantes. Aujourd'hui encore, après trente ou quarante ans, les villageois de l'Atlas et des vallées sahariennes se souviennent avec nostalgie du temps où les juifs faisaient partie de leurs vies. Alors que la législation musulmane fixe le statut du juif (et du chrétien) en tant que dhimmi «protégé», soumis à certaines obligations et interdictions, la société berbère semble avoir été l'une des rares à n'avoir pas connu l'antisémitisme. Le droit berbère, azref, dit « coutumier », contrairement au droit musulman et au droit juif, est tout à fait indépendant de la sphère religieuse. Il était, par essence, « laïque » et égalitaire, et n'imposait aucun statut particulier au juif.
JUIFS ET BERBÈRES : VERS UNE COMMUNAUTÉ DE DESTIN
Deux peuples au passé commun, séparés par le temps mais culturellement très proches par leur histoire millénaire commune, se côtoient sur les bords de la Méditerranée. Une histoire à rétablir d’urgence dans nos mémoires... Les tribus berbères étaient installées depuis très longtemps en Afrique du Nord. Les écrivains arabes font remonter leur origine à Goliath le Philistin et évoquent l’émigration des Canaanites. Des récits talmudiques et rabbiniques, dont les sources remontent au I° siècle de notre ère, font état, en effet, d’une migration volontaire des habitants de Canaan vers l’Afrique du Nord après la conquête de Josué. Procope, historien byzantin du VI° siècle, cite une inscription phénicienne à Tigisis (aujourd’hui, Aïn-El-Bordj, à 50 km au sud-est de Constantine) affirmant : " C’est nous qui avons pris la fuite devant ce bandit de Josué ". Ibn Khaldoun, au XIV° siècle, reprend cette affirmation : " Les Berbères sont les enfants de Canaan, fils de Cham, fils de Noé ". Il s’agit probablement de légendes qui ont été entretenues tout au long de la domination carthaginoise et rendues plausibles par la proximité de la langue punique et de l’hébreu. Salluste parle des Numides (berbères nomades) et des Maures (berbères sédentaires). Il s'agit probablement de tribus éthiopiennes d'origine sémitique, arrivées en Afrique du Nord en vagues successives : d'abord les Louata et les Haouara, puis les Néfoussas et Djéraoua, enfin les Zénata qui refoulèrent les autres tribus.
Quoi qu’il en soit de leur véritable origine, certaines de ces tribus berbères ont probablement été judaïsées lors des multiples émigrations juives en Afrique du Nord. Dès 814 av J-C, des juifs auraient suivi les Phéniciens fondateurs de Carthage. Après la destruction du Premier Temple et surtout celle du second Temple par Titus en 7O, des dizaines de milliers de Juifs auraient été déportés ou auraient émigré vers la Cyrénaïque puis le Maghreb occidental. Plus de 30 000 colons juifs auraient été installés à Carthage par Titus. Enfin, une nouvelle vague d’immigrants juifs suivit l’échec de la révolte juive de Cyrénaïque (115-116 après J-C) puis la défaite de la Révolte de Bar-Kokhba (132-135). Les juifs auraient alors pratiqué un certain prosélytisme, convertissant les tribus berbères qui les accueillaient (et notamment les tribus nomades refoulées vers le désert saharien par la colonisation romaine). On en trouve notamment témoignage dans les écrits de Tertullien au III° siècle et de Saint Augustin au V° siècle, qui s’indignent de ces conversions berbères au judaïsme.
MOHAMMED V ASSURAIT LA PROTECTION AUX JUIFS DURANT UNE PÉRIODE SOMBRE DE L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ
De cette communauté retenons quelques personnalités qui ont marqué les sciences, les arts, la culture
La composante juive de l’identité marocaine est malheureusement encore méconnue. L'Islam et le Judaïsme marocains possèdent plusieurs similitudes (traditions, liturgie,….) ce qui a permet d'entretenir, dans le passé, une belle symbiose judéo-musulmane dans ce pays.
Que reste-t-il de cette culture judéo-maghrébine, aujourd'hui que les juifs du Maghreb se trouvent dispersés dans le monde ?
En France, la communauté séfarade vivote à côté de l'émigration musulmane. En Israël, juifs maghrébins et juifs orientaux, bien que majoritaires, sont pourtant traités en minorité marginale. "Cette culture a marqué de toute son empreinte l'âme des juifs maghrébins. Elle résonne encore dans le cœur, dans l'âme déracinée des émigrés en Israël, elle retentit dans leur musique, dans leurs chants, dans leur folklore et leurs rites. Il y a le mal du pays" (source : Haïm Zafrani, écrivain juif marocain vivant en Israël).
LES PERSÉCUTIONS DES ALMOHADES ET LA RÉORGANISATION DES COMMUNAUTÉS
Au début du xiie siècle. apparaît dans des tribus berbères, montagnardes et sédentaires installées dans l’Anti-Atlas marocain, un personnage charismatique qui va imposer une morale rigoureuse et puritaine ainsi qu’une théologie farouchement monothéiste privilégiant le retour aux sources primordiales de l’Islam. Utilisant la langue berbère pour diffuser ses idées et s’appuyant sur un cercle restreint de fidèles, celui qui devient le « Mahdi » Ibn Toumert va révolutionner durablement le rapport à la religion des Berbères. Après sa mort vers 1128, son plus proche fidèle, Abd al-Mumin prend le titre de Calife en référence au premier compagnon du Prophète Abou Bakr, cinq siècles auparavant.
Sous la direction d’Abd al-Mumin, les tribus Almohades vont, en une vingtaine d’années, renverser l’Empire Almoravide, étendre leur puissance sur le Maghreb entier et sur l’Espagne méridionale et imposer un Islam rigoureux, intolérant et extrémiste qui perdurera longtemps après leur chute au début du xiiie siècle. La doctrine du Mahdi ne pouvait que renforcer l’intolérance à l’égard des autres religions du Livre. Comme le note André Chouraqui, les Almohades soulignaient le fait que cinq cent ans après l’apparition du Prophète Sidna Mohammed, de toute évidence, le Messie d’Israël n’était pas encore venu et que, d’une manière non moins certaine, le Christ n’était pas revenu. Juifs et Chrétiens ne pouvaient plus longtemps persévérer dans leur erreur et n’avaient plus que le choix entre l’Islam et la mort. L’application de cette politique au fur et à mesure des conquêtes marocaines installa une terreur profonde et provoqua de nombreuses conversions forcées mais aussi des exécutions : un document mentionne l’exécution de 150 Juifs à Sijilmassa, le chef de la communauté juive de Fès, rabbi Juda Hacohen ibn Shoushan est exécuté en 1165. Certaines familles juives parviennent pourtant à s’enfuir, notamment celle de Maïmonide.
Au Maroc qui veut se démocratiser, qui veut respecter et garantir la diversité et la liberté à la mosaïque ethnique et religieuse qui le compose, demeurent certains points noirs, certains comportements de bas étage qui ne font point honneur à sa réputation de pays d'ouverture d'esprit et de culture. Chaque fois que le pays traverse une période agitée, certains milieux occultes et franchement antisémites s'arrangent pour taper sur du juif. Cible facile dans pays à 99 % musulman.
IL ÉTAIT UNE FOIS DES JUIFS AU MAROC PAR ARMAND LEVY
Dans ce livre, il évoque le passé à la fois lointain et proche de la judaïcité marocaine, qui a joué et joue encore un rôle important dans l'histoire juive. Il donne dans ce récit une "Image du dedans" où ses souvenirs personnels sont enrichis par des témoignages recueillis auprès de ses parents; ils sont complétés par des recherches documentaires.
ELÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
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Victor Malka : "La mémoire brisée des Juifs du Maroc". Editions Entente. 1978.
Robert Assaraf, Une certaine histoire moderne des juifs au Maroc 1860-1999, éd. Gawsewitch, 2005, ISBN 2350130053
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Le dictionnaire des noms : site internet www.jtosti.com/
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Racines des noms dans le mensuel l'Arche.
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