Share |

L’ÉTÉ, Par Thérèse Zrihen-Dvir

L’ÉTÉ, Par Thérèse Zrihen-Dvir

L’été s’annonçait régulièrement quelques semaines après Shavouot, avec ses rayons de soleil qui tapent très fort sur nos têtes, tandis qu’au sein d’un tapi de glaïeuls  ornant les allées de nos écoles, surgissaient soudain des vers de terre poilus que nous prenions aisément pour des vers à soie et que nous tentions d’élever comme tels.

Nous les amassions dans des bocaux en verre, les forçant de se nourrir de feuilles de murier. La besogne n’était guère aisée, puisqu’il fallait en trouver des muriers ! Il y en avait un géant juste à côté de la place de la Bahia. Les plus costauds d’entre nous grimpaient l’arbre, non seulement pour lui arracher sans pitié des branches, mais surtout,  le secouer très fort afin qu’il laisse tomber une pluie de mures blanches ou noires sur nos têtes et nos tabliers d’écoliers.

On retournait de ces fréquentes excursions la frimousse tachée, l’humeur imbattable et quelques égratignures saignantes que nous ignorions avec véhémence.

Bien sûr que nos vers de terre n’avaient aucune chance de survivre à notre traitement… et puis, cela n’avait réellement aucune importance. C’était l’aventure, la camaraderie, la joie, le jeu, la fin des études scolaires et les préparatifs pour le grand jour de la distribution des prix.

Avant cet événement qui clôturait la fin des études, on préparait des scènes de théâtre, on apprenait par cœur des poèmes, et même on organisait un petit ballet sur le thème de la truite de Schubert, avec des fillettes en tutu de papier crépon rose et des cerceaux.

Exceptionnellement, on nous offrait la démonstration d’un magicien avec ses nombreuses écharpes multicolores qui s’échappaient de ses bâtons, son lapin qui pointait son nez rose de son chapeau et ses pigeons qui sortaient miraculeusement de ses manches…

Cette masse d’enfants qui riaient à pleine gorge, chantait et se bousculait… C’étaient nous tous.

« Gai, Gai l’écolier, c’est demain les vacances,  nous nous égosillons en scandant nos chaussures sur l’asphalte de la rue, en chahutant à crever le tympan, en riant comme des soulards, en nous croyant enfin libérés de nos devoirs, de nos maitresses au regard pointu, de nos parents qui zieutaient nos livrets scolaires avec angoisse, et enfin, jouir de l’opportunité de courir dans les champs, de jouer aux billes, au tiro, pinaud, et tant d’autres jeux… Bien sûr que nous avions sciemment oublié que l’été dans notre Marrakech est tellement chaud, qu’il devenait vraiment hasardeux de se promener sous les dardant rayons de soleil et ne pas craindre d’y perdre la vie.

Ce flot d’enfant qui se déversait de la porte d’entrée de l’école, se ruait alors vers la fontaine la plus proche pour s’abreuver de son liquide frais et savoureux. Mais une fois dehors, nos mamans venaient nous cueillir les yeux rivés sur nos mains vides…

« Pas de prix, hein ? Un cancre comme toi, ne retournera pas chez lui avec une montagne de livres et de prix… T’es bon à quoi exactement », sermonnait-elle en tirant avec violence l’oreille de son fils.

« Tu peux mettre une croix sur tes jeux et tes vacances. Tu t’occuperas de tes frères et couvriras mes emplettes. Cela t’apprendra à mieux calculer les sous que l’épicier te remettra ».

Et vlan, c’était clair, précis et incontournable.

Que nous soyons de bons élèves ou des cancres ne changeait rien au programme prévu d’avance par nos mères qui honnêtement parlant, croulaient sous le nombre ahurissant de corvées.

Mais avec le couchant du soleil, elles avaient déjà préparé leurs brocs de limonade, leurs petits gâteaux – surtout leurs massepains –Mazapan – aux amandes moulues enchâssées dans une pâte croustillante qui craquaient sous nos dents avant de fondre délicieusement…

Le cancre d’hier deviendra docteur, avocat ou simple commerçant, mais il aura vécu des moments mémorables d’une famille unifiée et aimante. Il aura connu les joies d’une enfance naturelle et saine. Il se souviendra de toutes les séquences, des plus farfelues aux plus dangereuses, des plus belles aux plus tristes, des plus émouvantes aux plus bouleversantes … Il connaitra leurs dates, leurs lieux, leurs circonstances qu’il ne cessera de citer à tous ceux qui lui prêteront l’oreille.

Il aura connu une enfance que peu d’enfants auraient eu le privilège de vivre. Il aura des souvenirs qui nous ferons rire ou pleurer… Il connaitra la nostalgie, le regret et se dira à la fin du jour…

J’ai vécu une enfance unique.

Commentaires

Publier un nouveau commentaire

Le contenu de ce champ sera maintenu privé et ne sera pas affiché publiquement.
CAPTCHA
Cette question permet de s'assurer que vous êtes un utilisateur humain et non un logiciel automatisé de pollupostage (spam).
Image CAPTCHA
Saisir les caractères affichés dans l'image.

Contenu Correspondant