L’Amérique en redéfinition, par David Bensoussan
La nouvelle administration américaine
Les élections américaines ont résulté en un congrès à majorité démocrate mais un sénat républicain. Selon toute probabilité, le Sénat conservera sa majorité républicaine après les élections au Sénat dans l’état américain de Géorgie le 5 janvier 2021.
Les politiques du président élu Biden devront donc être mitigées car il devra faire des compromis avec le Sénat. Cela va lui permettre plus de liberté de manœuvre par rapport à la minorité radicale du parti démocrate.
Les mesures à prendre pour contrer la pandémie seront toutefois prioritaires. Le président devra modérer son plan de taxation. Il ne pourra appliquer intégralement l’accord de Paris sur le climat qui risquerait de mettre fin à l’indépendance énergétique des États-Unis (ÉU) récemment acquise. Le budget de stimulation de l’économie de 4 billions sera voté pour être distribué en partie aux États et non plus exclusivement aux individus comme le désirait l’administration Trump.
Le président Biden a promis de rejoindre d’autres instances internationales dont les États-Unis s’étaient retirés, tout comme l’Organisation mondiale de la santé. Il ne pourra cependant ignorer les considérations de l’administration Trump relativement à la gestion et à l’efficacité de ces organisations.
Au plan extérieur
La dépendance américaine des hydrocarbures du Moyen-Orient n’est plus. Par ailleurs, la Chine devient prioritaire en termes de préoccupations militaires et non seulement économiques. Du point de vue des ÉU, la Russie et le Moyen-Orient viennent en second et troisième plans par rapport à la Chine. La montée en puissance fulgurante de la Chine, sa politique de faits accomplis dans les pays voisins et le manque de respect des droits de la personne ont de quoi inquiéter. Cela est également vrai pour la Russie qui par contre a une économie relativement plus faible. Il y a donc un pivot d’intérêt vers les pays de la zone indopacifique. Une alliance stratégique avec ces pays dont le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et l’Inde se dessine.
L’Europe doit reconfigurer sa dépendance stratégique des États-Unis et devenir proactive en termes de défense. Le fait que l’Allemagne ait décidé de ne pas s’équiper d’avions furtifs F-35 mais plutôt de 93 avions Eurofighter européens et de 45 avions F-18 américains pour conserver des emplois et développer des armements européens est une indication dans ce sens. Mais il n’en demeure pas moins que la protection américaine sera nécessaire pour les deux prochaines décennies et que le fardeau financier de cette défense devra être mieux réparti entre les partenaires de l’OTAN.
Or, les pays de l’OTAN ne sont pas d’accord sur le virage à prendre. Les pays de l’Europe de l’Est tiennent très fort à une alliance serrée avec l’Amérique. En outre, sous Erdogan, la Turquie est devenue une dictature qui tient des discours anti occidentaux. Il serait peut-être temps d’élargir l’OTAN au-delà de la zone Atlantique Nord et de coordonner les efforts au niveau global. Cela rejoint le souhait fait par Jo Biden dans un article du Foreign Affairs de mars-avril 2020 d’organiser un sommet des démocraties et de développer une politique commune par rapport à la Chine dans les domaines économique – notamment du numérique – et de la défense.
Pour ce qui est du Moyen-Orient, Israël demeure le seul pays qui soit démocratique et vraiment fiable. La volonté de Biden de s’opposer aux régimes autoritaires devra cependant tenir compte de la realpolitik qui ne voudra pas couper les ponts avec des partenaires importants tout comme l’Arabie saoudite.
Israël a rendu des services extraordinaires à l’OTAN alors que l’Union soviétique faisait pression pour étendre son influence sur les pays du Golfe en surarmant la Syrie, l’Irak et l’Égypte. Rappelons qu’en 1970, Israël se mobilisa alors que la Syrie se prépara à envahir la Jordanie. L’aide américaine à Israël aura été dérisoire compte tenu du fait que ce pays a freiné l’expansion soviétique sans impliquer un seul soldat américain. Aujourd’hui, Israël demeure une puissance économique et militaire à laquelle les pays du Golfe veulent s’allier pour construire une économie qui dépendra de moins en moins des ressources pétrolières.
Pour ce qui est du l’accord des 5 +1 sur le nucléaire iranien, Biden visera à le réintégrer en y apportant surement des réserves.
Le rêve américain en question
Bien des idéalistes et des miséreux ont vu en l’Amérique un pays de liberté et de possibilités dans lequel la libre entreprise pouvait se développer considérablement en comptant sur le seul talent individuel. Or, sous la présidence de Trump, des antagonismes et des tensions ont été ravivées de par son langage cru et provocateur qui aura été source de division.
La lutte électorale s’est plus concentrée sur les pro Trump et anti Trump plus qu’autour d’une feuille de route qui dessinerait les nouvelles directions à prendre. Il est fort possible que beaucoup d’Américains ont voté à contre cœur pour Biden qui est trop peu inspirant ou pour Trump qui est trop abrasif. La surprise aura été que les Afro-américains et les Latinos ont voté en plus grand nombre (accroissement de plus de 50%) pour le parti républicain.
Ce qui est nouveau dans le paysage américain est le discours de victimologie émanant de plusieurs secteurs : de la part de certains milieux intellectuels et de militants qui se réclament des droits collectifs et non pas des droits individuels, entre autres pour tenir compte du passé esclavagiste des États-Unis.
En outre, il existe une nouvelle réalité qui est celle des réseaux sociaux qui abondent de théories conspirationnistes, fabulent des complots ahurissants qui trouvent une audience non négligeable. Les médias américains qui furent autrefois considérés comme un quatrième pouvoir ont perdu de leur influence en raison des réseaux sociaux et de leur crédibilité en raison des accusations répétées de fake news de la part du locataire de la Maison Blanche.
Par ailleurs, le virement soudain des derniers votes électoraux en faveur de Biden, compte non tenu de la participation au vote après le jour d’élection ont frustré bien des républicains qui y ont vu une fraude et la transition gouvernementale souffre de cet état de chose. Cette transition de gouvernement inharmonieuse est un coup dur pour la démocratie américaine.
L’Amérique est en redéfinition. Biden et Harris pourront-il rétablir la sérénité dans une Amérique divisée ?
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