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"L’Attentat" contre les idées reçues

 

"L’Attentat" contre les idées reçues (info # 021312/12) [Analyse d’une œuvre]

Par Sandra Ores © Metula News Agency

 

Ouvrir une porte ; entrer dans un monde.

Un monde étranger, antagoniste, lisse face à nous, abscons.

Comprendre sa manière de penser, expliquer ses réactions. Discerner le chemin qui l’a amené à agir avec violence.

Saisir, par l’esprit, cette inconnue.

Accepter sa singularité, c’est réparer le chaos.

Briser ses préjugés, du genre de ceux qui gisent au plus profond de notre chair afin de pouvoir saisir l’autre visage.

 

Ces subtilités composent le fil conducteur de l’œuvre du réalisateur libanais Ziad Doueiri.

 

L’Orient, l’Occident, l’incompréhension.

Et l’incompréhension, c’est le chaos, la violence.

 

Un thème cher à de nombreux artistes arabes, explorant cette réalité douloureuse, dont les ficelles échappent aux non-initiés.

 

Après "West Beirut" (Beyrouth-Ouest, Prix François Chalais à la quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes en 1998), un plongeon dans le Liban de l’après guerre civile (1975-1990) : deux jeunes gens issus de deux mondes qui se sont opposés, chrétiens et musulmans, se découvrent.

 

Après "Lila dit ça", en 1995, film retraçant l’histoire d’une adolescente enjôleuse et énigmatique, mi-ange mi-démon, dont un adolescent magrébin éveillé peinera à saisir les contours du comportement ambigu.

 

Ziad Doueiri poursuit sur des terrains instables et pénètre dans l’antre du conflit israélo-palestinien. Ou la quintessence de l’incompréhension entre deux civilisations, imbriquées l’une dans l’autre, et qui ne savent vivre ensemble. En lutte l’une contre l’autre.

Une société moderne, high-tech, médicale.

Une autre, le chaos.

Le réalisateur libanais explore cette collision à travers le personnage d’un médecin israélien arabe.

 

"L’Attentat", son dernier film, a reçu samedi dernier l’Etoile d’or (le grand Prix) du Festival International du Film de Marrakech. Ce film est inspiré du célèbre roman du même nom de l’Algérien Yasmina Khadra - le pseudonyme de Mohammed Moulessehoul. Ce livre a été récompensé sept fois, notamment par le Prix des Libraires, un an après sa parution, en 2005.

Le point de départ de l’action tombe cru.

Faisant place à un voyage mouvant jusque dans les sillages les plus profonds de soi ; il n’était pas prévu de s’y rendre.

Mais à présent, le réalisateur ne nous laisse plus le choix.

Amin Jâafari, chirurgien, israélien, arabe d’origine palestinienne, opère à la chaîne les victimes d’un attentat survenu dans un restaurant de Tel-Aviv. La nuit, l’hôpital l’appelle. C’est pour identifier le corps inerte de sa femme, celui de la kamikaze qui s’est faite exploser dans la journée.

Jâafari rejette cette réalité. Il ne peut pas comprendre. Ils étaient heureux, intégrés, laïcs.

Celle qui vivait à ses côtés, qu’il croyait connaître.

Il devra conclure qu’il ne la connaissait pas. Du tout.

 

Doueiri explique que son objectif a été de saisir l’incroyable quantité de dilemmes et d’antagonismes que ressent ce personnage à cet instant. Arriver à comprendre l’inimaginable, les ténèbres, ce qui n’existe pas.

Car, dorénavant, cette sphère vit devant lui.

 

Jâafari ira jusqu’à Naplouse, dans son fief natal, afin de retrouver ceux qui ont lavé le cerveau de sa femme. Il se plongera dans un monde qu’il a quitté depuis longtemps, qu’il avait ignoré. Un monde déchiré par le conflit israélo-arabe.

 

Doueiri quitte le Liban à vingt ans, en 1983, pendant la Guerre du Liban, pour gagner les Etats-Unis. Lui est musulman. Les chrétiens, ce sont des ennemis. Doueiri grandit dans une famille laïque. Sa mère est avocate ; elle se bat, entre autres, contre l’excision. A la maison, rapporte Doueiri, on apprend à remettre en cause le système. Avec son cortège de choses établies, imposées.

 

Une éducation qui l’a certainement conduit, dans son film "West Beirut", à aller visiter l’autre côté de la guerre, chez les chrétiens. La curiosité de découvrir celui contre lequel on se bat.

Car, lorsque l’on sort de l’image, nous sommes tous des ennemis.

Chacun possède ses raisons de haïr et de combattre.

S’interroger sur les raisons profondes qui motivent les actions de son ennemi. Sur son imaginaire collectif. Les combats intérieurs de ceux qui composent ce peuple. Cette entité étrangère, entière, définie.

 

Puis Doueiri est allé en Israël. Impensable. Israël, c’était l’ennemi, il a grandi dans cette idée.

Deux tiers du film se déroulent dans l’Etat hébreu, un en Cisjordanie.

Le réalisateur a travaillé avec l’équipe israélienne, s’est assis à côté d’eux, mentionne-t-il. Ceux avec qui il a été en guerre pendant longtemps. Toute sa vie.

 

"C’est ce qui reste avec moi aujourd’hui", retrace Doueiri. "Un voyage incroyable". Avec l’équipe du film, ils ont découvert que chacune des parties possède sa propre perspective. Doueiri avoue qu’il ne pensait pas, avant de tourner "L’Attentat", que les Israéliens avaient, eux-aussi, un point de vue de l’histoire. Il les croyait limités à l’ambition de récupérer la terre biblique.

Il a découvert un peuple. Avec ses propres angoisses, ses peurs, son anxiété.

Qui dictent ses réactions.

Il a entrevu une sensibilité humaine, un peuple doté d’une pensée, qui a parcouru son chemin jusqu’ici, en se démenant, lui aussi, pour sa survie.

 

Le deuxième film de l’artiste, "Lila dit ça", met en évidence la confusion dans l’esprit de l’adolescent Chimo, qui ne dispose pas de l’entièreté des moyens nécessaires afin de discerner le cours des évènements auxquels il est confronté. De distinguer sa place parmi les autres. D’entrevoir que les adultes, ou les plus perfides, ceux qui possèdent un agenda, tentent d’aiguiller les plus candides dans la voie qui les arrange.

 

Dans la chambre sombre, les volets entrouverts, le rayon de lumière oblique et poussiéreux pénétrant la pièce est parfois trop haut. C’est peut-être un mirage, inatteignable. Mais éventuellement on le remonte, jusqu’à sa source, et, dehors, un monde existe.

 

La démarche de Doueiri ne l’a pas amené à fraterniser avec les Israéliens. A être d’accord avec eux, leurs "méthodes" (celles de l’armée), comme il le cite. Mais pressentir un autre point de vue. Avancer. Se réconcilier avec une part de soi. Absorber le choc d’accepter une douleur. Pour s’en sortir ; et, finalement, chercher la coexistence. La paix.

 

L’heure n’est plus à l’accusation, mais à la constatation, la compréhension.

 

L’objectif de "L’Attentat" ne consistait pas à créer un film au sujet du conflit israélo-palestinien, précise le réalisateur. Sa richesse implique, dans sa démarche mentale, d’entrer nu de préjugés dans un univers que l’on n’avait pas-même la capacité d’imaginer. La démarche de Jâafari afin de comprendre le comportement de sa femme touche cette problématique de manière subtile.

 

La douzième édition du Festival du Film International de Marrakech a récompensé Ziad Doueiri. Un film d’une grande qualité esthétique et artistique, selon l’un des membres du jury. Le festival marocain a également rendu cette année hommage au cinéma indien, très apprécié dans le pays. En compétition officielle, quinze films de diverses nationalités, une sélection très pointue, à en croire les professionnels.

 

Ziad Doueiri a, pour sa part, pensé à plusieurs reprises que son long métrage ne verrait jamais le jour. Pour cause, le conflit israélo-palestinien, un sujet tabou, à même de faire reculer les producteurs les plus téméraires. Un sujet qui requiert toute la finesse et le goût du risque de ceux qui s’y lancent.

 

Si le monde arabe lui a décerné un grand Prix, c’est qu’il semble avoir apprécié la démarche du cinéaste. Un monde arabe qui commence juste à vouloir comprendre et appréhender les démons du passé commun entre le monde occidental et oriental. Et surtout, du présent commun. Simplement pour exister.

 

Pour notre part, nous sommes impatients de voir le film, qui sortira l’année prochaine sur les écrans. Avec une mise en garde : Doueiri n’est pas encore un ami d’Israël.

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