L’illustre histoire des Séfarades exposée au musée juif de Montréal
Les visiteurs du musée peuvent découvrir comme jamais auparavant le côté glorieux - et parfois trouble - du passé juif de la ville
Par JULIE MASIS
MONTRÉAL – En septembre, le Musée du Montréal juif a lancé sa première visite pédestre consacrée aux Séfarades de la ville. L’excursion de deux heures raconte l’histoire des communautés juives marocaine, irakienne, iranienne, égyptienne et libanaise de la ville – depuis leur implantation dans les années 1950 et 1960 jusqu’à l’essor d’une population riche de près de 25 000 membres aujourd’hui.
Les participants peuvent visiter la synagogue espagnole et portugaise, qui est aussi la synagogue la plus ancienne du Canada, le Grand Rabbinat du Québec, les institutions religieuses marocaines de Montréal et faire un tour dans les poissonneries et boucheries marocaines de la ville. Ils peuvent également découvrir le festival séfarade de Montréal, écouter des Montréalais séfarades leur raconter leurs histoires et même avoir la chance de sentir les épices utilisées dans la cuisine judéo-marocaine.
« Nous en sommes ravis », s’enthousiasme Zev Moses, le directeur du musée. Jusqu’ici, toutes les visites « juives » se concentraient sur le patrimoine ashkénaze de Montréal.
“Nous avons travaillé avec l’histoire orale et les histoires des gens qui nous ont aidé à identifier certains des endroits que nous faisons découvrir pendant la visite », précise Moses.
L’histoire des Séfarades dans la province francophone du Canada n’a pas toujours été facile.
Les Juifs séfarades sont arrivés à Montréal dans les années 1950, 1960 et 1970 – une période de nationalisme francophone qui a lancé ce qu’on a appelé la Révolution tranquille au Québec. A cette époque, les Canadiens francophones ont commencé à affirmer leurs droits linguistiques et les lois sur l’immigration au Québec ont commencé à favoriser les francophones.
Beaucoup de Juifs ashkénazes, dont la plupart parlaient anglais, ont réagi en déménageant de Montréal à Toronto. Certains d’entre eux n’ont pas fait confiance aux Juifs séfarades récemment arrivés, craignant qu’ils ne soient partisans des francophones, explique Aviv Milgram, responsable communautaire du musée et principale organisatrice de la visite.
« La principale source de tension était linguistique, souligne Milgram. Les gens étaient déconcertés par le fait qu’il puisse y avoir des Juifs francophones. Les Juifs francophones étaient parfois appelés les ‘Juifs catholiques’ parce que le catholicisme et la langue française étaient entremêlés. »
Aujourd’hui, environ 28 % des 90 000 Juifs de Montréal parlent français, selon Moses. La plupart des Juifs francophones à Montréal sont marocains, mais certains viennent aussi de Tunisie, du Liban et de France.
La situation des Juifs francophones au Québec a été d’autant plus compliquée que les enfants juifs n’étaient pas autorisés à fréquenter le système scolaire public francophone.
« Les écoles publiques du Québec étaient séparées entre catholiques et protestants, et les Juifs ont été intégrés par le système scolaire protestant, parce que les catholiques ne voulaient pas d’eux », précise Milgram.
« Lorsque les Juifs séfarades arrivaient, même s’ils étaient francophones, ils devaient s’intégrer au système scolaire protestant et recevoir un enseignement en anglais. Les parents ne pouvaient pas aider leurs enfants à faire leurs devoirs. C’était une situation étrange », ajoute-t-elle.
Selon Milgram, pendant un certain temps, les écoles protestantes du Québec ont permis aux enfants juifs d’assister aux cours, mais ils n’ont pas embauché d’enseignants juifs et les parents juifs n’étaient pas autorisés à participer aux commissions scolaires.
La communauté juive de Montréal a réagi en créant ses propres écoles privées. Dans les écoles ashkénazes, cependant, les enfants ont d’abord appris leurs leçons en yiddish et plus tard en hébreu et en anglais. Quand les Séfarades francophones sont arrivés, ils n’ont pas pu s’y intégrer.
« Cela a poussé les Juifs séfarades à créer une école privée, l’École Maïmonide », raconte Milgram.
Selon le site internet de l’école, l’établissement a été créé en 1969 parce que, à l’époque, les enfants juifs francophones devaient choisir entre une école publique protestante qui accueillait les Juifs mais leur dispensait des cours en anglais, une école ashkénaze privée où la langue d’enseignement était aussi l’anglais, et une école publique catholique, où les enfants pouvaient étudier en français, mais au sein de laquelle l’éducation religieuse chrétienne était obligatoire.
Malgré les tensions entre Ashkénazes et Séfarades à Montréal, les deux communautés se sont influencées mutuellement, explique Milgram. Par exemple, les Juifs ashkénazes de Montréal ont commencé à adopter la coutume séfarade consistant à manger du riz pendant Pessah.
D’autre part, certains des Séfarades de Montréal ont adopté les traditions religieuses ashkénazes. Par exemple, il existe aujourd’hui une synagogue séfarade Habad-Loubavitch à Montréal, souligne Milgram.
Pour préparer la visite, les chercheurs du musée ont passé plusieurs mois à parler avec les Montréalais séfarades et ont même effectué des tests pour que les membres des communautés juives nord-africaines et moyen-orientales de la ville puissent donner leur avis avant que la visite ne soit proposée au public, indique Milgram.
L’écrivain juif irako-canadien Naim Kattan, auteur de plus de trente livres et décoré de l’Ordre du Canada, fait partie des personnes qui ont été interviewées par le personnel du musée pour l’élaboration de la visite.
Kattan parle à la fois l’anglais et le français parce qu’il est né en Irak – une ancienne colonie britannique – mais a été éduqué en France. Il a aidé à établir des ponts entre les communautés juives francophones et anglophones au Québec, ainsi qu’entre les catholiques et les Juifs francophones.
L’écrivain a créé la première publication juive en langue française au Canada, « Le Bulletin du Cercle juif », et a organisé des débats auxquels il a invité d’importants politiciens québécois.
La visite s’arrête notamment devant une maison où Kattan a habité.
D’autres arrêts sont prévus dans un jardin communautaire ou encore dans un centre communautaire sportif, où les participants peuvent découvrir le mouvement scout juif marocain et une chorale.
La visite permet également de voir une synagogue séfarade où cinq types de services différents pour les différentes communautés de la ville se déroulent pendant les grandes fêtes juives. Dernier arrêt : le Centre Segal, un théâtre dans lequel les visiteurs peuvent se familiariser avec le festival séfarade de Montréal et découvrir un groupe qui joue en Ladino.
La visite « Milieux séfarades – le Montréal juif refaçonné » est proposée en anglais et en français tous les dimanches. Pour plus d’informations, visitez le site du Musée du Montréal juif.
Commentaires
Publier un nouveau commentaire