L’Iran entre l’implosion et l’explosion
Les difficultés actuelles de l’Iran ne sont pas qu’économiques bien que, selon l’ancien ministre des Finances Shamseddine Hosseini, le PNB ait baissé de 5% en 2018 et d’un autre 7% l’année suivante et que l’inflation ait été de 30% puis de 40% pour ces mêmes années. Le malaise qui y sévit actuellement exprime la frustration envers la gouvernance corrompue, frustration qui va jusqu’à remettre en question la marque d’identité islamique exclusive imposée par le régime.
Un mécontentement généralisé
La population iranienne est muselée par la dictature actuelle et les pendaisons publiques récurrentes viennent rappeler le sort qui est réservé aux dissidents. En 2009, les manifestations anti gouvernementales – citadines pour la plupart – ont été réprimées dans le sang. En 2019, des slogans anti gouvernementaux ont fusé partout dans les régions et la répression gouvernementale a résulté en plus de 180 morts en 72 heures.
La population constate sa misère et aussi les ressources considérables que le régime met à contribution pour déstabiliser le Moyen-Orient. En sus, elle est témoin de l’impunité des Gardiens de la Révolution qui constituent une puissance économique et militaire et qui ne sont pas redevables au Parlement. Le Parlement iranien est élu démocratiquement parmi les candidats « agréés », mais le Guide suprême a le dernier mot sur tout, y compris sur les allocations budgétaires.
Le mécontentement envers la mullacratie iranienne est particulièrement important chez les minorités ethniques kurdes, azéries, arabes, baloutches, turkmènes et autres qui constituent 40 à 50% de la population. Dans un autre ordre d’idées, nous sommes témoins d’un nouveau phénomène : l’opposition au régime par des Iraniens vivant à l’étranger vient de s’unifier alors que les quatre dernières décennies ont été marquées par des diatribes incessantes entre communistes, socialistes, Moudjahidine El Haq, fidèles du Shah, laïques, etc. Tous ces groupements se sont réunis pour la première fois sur la base du seul désir de renverser le régime des Mullahs.
La crise du Covid19
Il y a bien sûr la crise de la pandémie qui affecte la population iranienne. Le doute subsiste néanmoins en regard de la version officielle relative au nombre de victimes. Le centre de recherche du Parlement iranien a publié à la mi-avril un rapport dans lequel l’estimation du nombre de décès est deux fois supérieure à celle du chiffre officiel. En outre, le porte-parole de l’armée Abolfazl Shekarchi a déclaré avoir sous les verrous plus de 3 600 personnes accusées de diffuser des fausses nouvelles sur la pandémie.
Dans une adresse télévisée, le Guide suprême Ali Khamenei a affirmé que la pandémie avait fait un million de décès de par le monde quand le nombre global des victimes ne dépassait pas 90 000. Il a ajouté que le remède à la pandémie ne serait pas obtenu par la science et la technologie, mais par la manifestation du douzième imam caché qui se prépare à faire apparition depuis plus de mille ans.
Khamenei a rejeté l’offre d’aide médicale américaine et suggéré que les États-Unis seraient à l’origine de la pandémie actuelle. Quant au ministre des Renseignements Mahmoud Alavi, il a indiqué avoir autorisé la venue de Médecins sans frontières (MSF) en Iran et constaté qu’il a été interdit à MSF d’ériger un hôpital mobile.
La haine de l’Amérique, ciment du régime.
L’obsession antiaméricaine est la marque de commerce du régime. Les déclarations visant à noircir l’Amérique en citant des experts douteux sont monnaie courante depuis 1979. Des conférences intitulées « Fin de l’Amérique » regroupent annuellement des antiaméricains de tout acabit. À cela s’ajoute une haine irrationnelle envers Israël et la continuité de la lutte séculaire contre les musulmans sunnites.
Il est vrai que le populisme des dirigeants iraniens s’appuie sur la haine antiaméricaine pour serrer les rangs autour du régime. L’Iran a cependant une population sophistiquée qui est capable de distinguer – sans pouvoir les séparer – la graine de l’ivraie. Du fait que les sanctions américaines touchent durement l’économie iranienne, les conservateurs et les radicaux utilisent cet argument pour pousser à l’escalade antiaméricaine, étouffant ainsi les voix « relativement » modérées au sein du Parlement iranien.
Identité iranienne et identité islamique
Le nom même de République islamique prétend représenter l’ensemble des musulmans, bien que les Chiites n’en constituent que 10 à 15%. Mais dans les faits, la laïcité gagne du terrain en Iran et les mosquées sont beaucoup moins fréquentées que par le passé.
Du temps du Shah, le passé antique de la Perse faisait partie de l’identité iranienne. Feu le Shah d’Iran Reza Pahlavi avait fêté en grande pompe les 2500 ans de l’antique dynastie perse dans les ruines de l’antique ville de Persépolis. Peu après la prise du pouvoir par les islamistes en 1979, l’ayatollah Khakhali avait demandé de détruire Persépolis pour en effacer le passé païen. Mais il n’a pas été en mesure d’y procéder ni même d’effacer l’identité perse.
Le pouvoir iranien a essayé d’islamiser ces manifestations et le président Ahmadinejad a tenté de récupérer cette volonté populaire en vantant le patrimoine préislamique. La population ne s’est pas laissée berner. Le Nouvel An zoroastre est encore fêté et l’anniversaire de Cyrus, fondateur de l’antique Empire perse est célébré en plus grand que celui de la mort de Khomeini au son du slogan « Cyrus notre père, l’Iran notre partie. » Ces dernières années, on y a scandé des slogans anti gouvernementaux.
Entre l’implosion et l’explosion.
Le régime iranien veut tenir jusqu’aux élections américaines, espérant que le républicain Trump sera remplacé par le démocrate Biden qui a confirmé qu’il souscrirait à l’accord des 5+1 sur le nucléaire iranien s’il était élu, ce qui réduirait les effets des sanctions. L’implosion inévitable de la population iranienne en raison des difficultés économiques et du ras-le-bol devant l’incompétence des Mullahs serait alors retardée.
En même temps, le régime qui se justifie par sa haine envers l’Amérique n’hésite pas à jouer avec le feu en faisant intervenir des milices chiites contre les forces américaines encore présentes en Irak ou en envoyant des vedettes « harceler » la flotte américaine dans le Golfe. Ces bravades constituent une bombe à retardement et pourraient dégénérer en explosion.
à propos de l'auteur
Dr. David Bensoussan est professeur d’électronique. Il a été président de la Communauté sépharade unifiée du Québec et a à son actif un long passé d’engagement dans des organisations philanthropiques. Il a été membre de la Table ronde transculturelle sur la sécurité du Canada. Il est l’auteur de volumes littéraires dont un commentaire de la Bible et du livre d’Isaïe, un livre de souvenirs, un roman, des essais historiques et un livre d’art.
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