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L’une est juive, l’autre pas

L'une est juive, l'autre pas

Par Naruna Kaplan de Macedo

 

 

 

 

 

Mon film « depuis Tel-Aviv » a été invité au festival de Ahskelon. Ce festival est dans sa huitième édition. Sa proposition : une semaine de cinéma dans une ville du Sud d’Israël plus connue pour être la cible des roquettes venues de Gaza que pour ses événements culturels. Donc, une semaine de films, 85 en tout, des documentaires, des films de fictions, des courts et des longs et même de l’animation. Point commun : leur « Regard Juif », le nom du festival.

 

J’y vais avec mon amie Laura, une Allemande tout ce qu’il ya de pas juif.

 

Une shikse, mais qui comme tous les Allemands qui viennent ici, subit les liens étroits entre la terre promise et ses origines. C’est assez évident une fois que c’est dit et cela ne me semblait donc pas mal élévé de demander aux amis allemands qu’elle avait invité à dîner : il a fait quoi, toi, ton papy pendant la guerre ?... mais vu le regard que Laura me lance, je sens quej’ai gaffé. Je ratrappe le coup en expliquant : quand je vivais ici j’avais pris l’habitude de demander à chaque Israélien ou Israélienne ce qu’il ou elle avait fait pendant son service, s’il continuait ses réserves, où il avait été stationné pendant telle ou telle opération. Je sentais que c’était une manière de comprendre le pays... et de faire connaissance. Alors, quoi de plus normal pour essayer de comprendre les motivations d’une demie-douzaine d’Allemands à venir vivre dans un pays où le ministère de l’intérieur leur fait subir régulièrement diverses humiliations et tortures bureaucratiques dignes du gouvernement de Vichy… que d’essayer de les mettre en lien avec leur histoire familiale, et ce faisant avec la grande Histoire mondiale. Non ?

 

Ce qui est bien dans le fait d’entreprendre une aventure pareille avec Laura c’est que, outre le fait qu’elle est d’excellente compagnie, elle est profondément intéressée par tout ce qui est Juif.

 

Laura est tombée amoureuse de la ville de Tel-Aviv, terriblement, profondément, absolument. Elle a été aidée en cela par un homme, Itzhik Dudvevan, avec qui elle a vécue trois mois de passion torride qui s’est soldé par un mariage civil en Bavière. Elle est devenue Laura Duvdevan, un nom exagérement israélien qui contraste de manière comique avec ses nattes blondes et ses traits teutons. Pour finir, cela n’a pas marché entre Itzhik et Laura et ils sont en instance de divorce. Ça arrive. Ce qui arrive moins souvent c’est que, maintenant qu’elle se sépare de son mari, elle devient, selon ses propres termes « inexistante » pour le Ministère de l’Intérieur de ce pays malade, le Misrad Hapnim où je l’ai accompagné une dizaine de fois en quinze jours pour prendre, retirer,donner, tamponner, faxer des formulaires B75 et autres documents.

Je l’aientendu hoqueter : mais j’ai habité ici six ans !

Pas grave : Itzhik le salaud refuse de se pointer aux rendez-vous au Ministère et, donc, Laura n’a aucune manière de prouver qu’elle est mariée « pour de vrai ». Forcée de quitter le pays puisque son visa touche à sa fin, elle s’est décidée à entreprendre une conversion pour pouvoir ne plus jamais quitter cette ville où elle se sent tellement chez elle. Donc… mon amie Laura Duvdevan, née Laura von Andersen est à présent d’une curiosité insatiable pour la religion Juive, « ma » religion qui, si elle ne m’indiffère pas tout à fait, ne provoque pas chez moi de tels élans d’intérêt.

 

Bref : Laura a sauté au plafond de joie anticipée quand je lui ai proposé de m’accompagner à Asheklon et a battu des mains quand je lui ai fait la liste des événements à la gloire de la culture juive qui nous y attendait (spectacle de hora, danses traditionelles, films aux narrations tirées de contes juifs,exposition photos sur les synagogues marocaines…).

 

Nous sommes arrivées juste à temps pour le specacle de hora et avons étées terriblement déçues quand nous avons appris que le film d’ouverture (sur la Shoah) était en Croate sous-titré Hébreu. Qu’à cela ne tienne, le lendemain nous avons pu voir un film américain qui tentait de répondre à la question : pourquoi il n’y a pas d’Arabes parmis les justes entre les nations ? puis un film tout à fait fascinant sur une femme religieuse dont les parents (religieux) s’éloignent de la religion (au grand déséspoir de leur fille) et qui, par la prière (et l’amour chaste du meilleur étudiant de la yeshiva) arrive à les convaincre qu’avec Dieu, c’est mieux. Après le déjeuner, un autre film sur la Shoah et puis un film où Fanny Ardant joue le rôle d’une pécheresse repentie sauvée par une congregation d’étudiantes en Torah.

Même Laura a fini par avouer que : ça fait un peu beaucoup, quand même… non sans une certaine culpabilité.

 

On va faire un tour sur la plage.

 

Nous sommes à dix minutes de la bande de Gaza. On essaie de voir si on l’entrevoit depuis le sable, en tordant le cou dans sa direction. Envain. Mais de savoir ce lieu si chargé de fantasmes soudain tellement proche nous émeut étrangement. C’est bizarre : je suis quelqu’un qui a toujours eu un rapport précis à la géographie, à l’espace. Mais en Israël j’en perds toute notion. Nord, Sud, Est, Ouest : c’est confus dans tous les sens, je ne sais jamais tout à fait où je suis…

Là, sur la plage d’Ashkelon, devant la mer agitée qui seprolonge vers un lieu que j’aimerais tant connaître autrement que par des clichés médiés, j’ai encore cette sensation d’être décalée, à côté de quelque chose. Je fais un effort pour me représenter les cartes d’Isratine/Palestël, pour visualiser où je me trouve.

 

J’étais très touchée de voir ce film que j’ai tourné pendant les années où j’ai vécu en Israël enfin projeté devant un public Israélien. Il faut dire que, parmi tous les festivals israéliens où je l’ai envoyé, le festival « juif » d’Ashkelon a été le seul qui en ait voulu. Mais bon, je cite les amis à qui j’en parle : les Israéliens aiment rarement quand des « étrangers » parlent d’eux.

Ah bon ? moi aussi je suis étrangère ?

Ben oui…

 

La projection commence bien : une quarantaine de personnes, beaucoup de petites vieilles dames en chapeau (religieuses, donc), et Laura qui me tient la main.

Pendant le film, ça cause, ça cause… je sens qu’il y a des remous. A la moitié, l'une des petites dames se lève et sort de la salle en faisant beaucoup de bruit, pestant : c’est n’importe quoi, pourquoi elle ne montre que les aspects horribles ? ce n’est pas la ville que jeconnais, ce n’est pas le pays que je connais !

Le débat après le film commence de manière houleuse. Je m’attendais à ce qu’on me demande des comptes et je connais la manière israélienne de porter le conflit, de manière immédiate, à son paroxysme. Bon : je me fais crier dessus par la petite dame qui est revenue dans la salle, elle se fait hurler dessus par deux autres dames qui prennent ma défense. Un homme me demande comment le film a été reçu en France et fait une moue entendue quand je lui dis : plutôt bien. En fait, l’intéressant est plutôt ce qui se passe entre les spectateurs, ce qu’ils se disent quand ils prennent la défense du film ou quand ils l’attaquent : ils parlent de « leur » pays que je vilipende, de « leur » ville, pour ceux qui connaissent Tel-Aviv.

Sommée de m’expliquer, je trouve la parade : moi, je ne suis pas Israélienne, je n’ai jamais réussit à l’être et ce film parle justement de cela, de cette incapacité à me sentir « chez moi » ici.Par contre, je suis Juive. Je serais bien incapable de dire ce que cela veut dire pour moi, d’autant que je ne crois pas en dieu. Mais c’est à partir de ma judéité que je veux me battre contre ce pays raciste. Et si pour certain celaveut dire être antisémite, alors… alors je suis prête à essayer de m’expliquer sur ce que cela veut dire pour moi, être Juive. Même si je ne suis pas sûre d’y arriver.

 

A la sortie de la salle, une des petites dames vient mevoir : merci pour ce joli film… je ne sais pas si j’ai tout à fait compris tes positions mais c’était bien de voir Tel-Aviv. Ici, tu sais, on est un peu loin de tout, et puis, entre les roquettes et les problèmes du quotidien, on sort rarement, alors merci pour ces belles images.

Elle prend ma main dans la sienne : dis moi… ton « Kaplan » il vient d’où ? Euh… Pologne. Ah ! Et d’où en Pologne, tu sais ? Je fais un effort pour prononcer : Cecnakowa. Ah ! dommage, j’ai cru qu’on était cousine ! nous on est de Lodz…

 

Laura à mes côtés, je sers la main de ceux qui veulent bien, essaie tant bien que mal de répondre aux questions qui continuent hors de lasalle.

Et ton amie, là, elle en pense quoi de tout ça ? demande un homme en désignant Laura du menton. Je commence à répondre mais suis interrompue par la sentence assénée brute et sans appel par une dame en perruque: mais elle n’est pas Juive, elle ! Comment ça ? je réponds d’un air de défi, qu’est ce que vous en savez ?

La dame en perruque ne dit rien, elle a juste un petitmouvement du menton qui dit explicitement : dis donc, à moi tu vas essayer de me la faire, hein ? à moi ?

Elle réajuste sa perruque et s’en va.

Laura est détruite. MAIS COMMENT ELLE A SU ???

Je ne sais pas. Après tout, les Juifs il y en a de toutes les couleurs, de toutes les formes.

Comment elle a su ?

Je ne le saurais jamais.

Et je ne saurais pas non plus répondre à la question inquiète de Laura, qui insiste : mais une fois que je serais convertie, personne ne saura que j’étais pas Juive avant, non ?

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