La dimension kabyle, par David Bensoussan
L’Algérie moderne s’est lancée dans un processus d’arabisation, d’islamisation et de socialisme et cette triple politique a été un échec : les slogans socialistes et la gestion étatique de l’économie n’ont pas suffisamment modernisé le pays ou diminué la corruption; l’islamisation a dégénéré en une guerre civile qui a fait près de 200 000 morts et le régime achète la paix des imams en leur faisant des concessions; l’arabisation est farouchement combattue par les Kabyles qui tiennent à conserver leur langue et leur culture.
En effet, les Kabyles sont des Amazighs (Berbères). Ils ont une langue et une culture propres et le plus souvent du temps, ils ont une préférence marquée pour la laïcité. Les Kabyles sont ostracisés par le gouvernement d’autant plus que beaucoup expriment leur volonté d’autonomie ou même d’indépendance.
Le passé kabyle
Lorsque l’empereur Napoléon III débarqua en Algérie, il qualifia l’Algérie de royaume arabe donnant à cette notion une résonnance internationale. Pourtant, l’Algérie fut conquise en 1839, mais la Kabylie ne fut annexée à la colonie française qu’en 1857 et l’on s’y battait encore durant la visite de l’empereur français.
Historiquement, l’Afrique du Nord fut peuplée d’Amazighs (Berbères). À l’époque romaine, elle fut sous l’influence des Puniques dont la trace s’estompa après la destruction de Carthage. Les Numides et les Maures occupaient le centre et l’Ouest de l’Afrique du Nord. Alors que l’Empare romain d’Occident était débordé par les invasions des Visigoths, des Ostrogoths, des Vandales, des Lombards puis celles des Huns, le christianisme latin se développa en Afrique du Nord et le premier évêque de Rome, Victor, fut originaire d’Algérie.
L’invasion arabe se heurta à l’opposition des tribus berbères christianisées ou judaïsées avant de s’imposer et de culminer par la conquête de la Péninsule ibérique. L’étau de l’emprise du califat arabe se desserra rapidement en Afrique du Nord. Le Royaume du Maroc fut indépendant et celui de Tlemcen perdura dans l’Ouest algérien jusqu’à ce qu’il soit intégré à l’Empire ottoman en 1554. Dans l’Est algérien, la Kabylie fut longtemps inaccessible aux deys ottomans, et fut constituée par les principautés indépendantes d’Ait Abbas et de Koukou. Les Kabyles luttèrent contre l’armée française en 1857, en 1871 et furent à l’avant-garde des combattants durant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962).
La lutte pour les droits linguistiques.
À l’avènement de l’indépendance de l’Algérie en 1962, la langue kabyle fut niée, réprimée et interdite. Depuis, la Kabylie fait face avec opiniâtreté au processus d’arabisation et d’acculturation qui portent atteinte à sa langue et son identité. De 1968 à 1978, l’Académie berbère en France a lutté pour la reconnaissance de l’identité et de la culture amazighe en Algérie.
En Algérie même, il y eut le printemps berbère en 1980, bien avant le printemps arabe de 2011. Ce fut une manifestation populaire qui revendiqua l’officialisation de la langue amazighe (berbère). Cette révolte fut suivie d’une grève généralisée et d’une répression gouvernementale qui se traduisit par de nombreuses arrestations.
Le Printemps noir en 2001 fut une manifestation populaire de très grande envergure. 126 manifestants furent tués par la gendarmerie, et près de 5000 autres furent blessés. Les familles des victimes n’ont jamais eu droit à la justice. La contestation kabyle prit ensuite plusieurs formes : ainsi, des marches annuelles se tiennent en Kabylie et au sein de la diaspora kabyle pour défendre les revendications identitaires kabyles.
En 2002, le gouvernement algérien finit par accepter certaines revendications kabyles : la langue amazighe fut adoptée comme seconde langue nationale, mais la langue arabe fut réaffirmée langue nationale et officielle en 2008. Le tamazight fut enfin reconnu comme langue nationale en 2016.
L’affirmation politique
Après le printemps noir, deux structures politiques virent le jour. Le mouvement des Archs et le MAK (Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie). En 2010, le président du MAK mit en place un gouvernement provisoire en exil, « l’Anavad. ».
L’Anavad présidé par Ferhat Mehenni met en avant que le peuple kabyle est fort de près de 12.000.000 d’âmes, que son territoire de plus de 40.000 km2 est plus grand que celui plus de 30% des pays membres de l’ONU et que sa population dépasse celle de plus de 60% d’entre eux. L’Anavad se réclame le droit des peuples autochtones à l’autodétermination conformément à l’article 3 de la Charte de l’ONU et défend sa cause dans tous les forums internationaux.
La dimension juive et chrétienne
L’islam est la religion d’État en Algérie et l’école obligatoire inclut l’éducation islamique. Une loi contre le prosélytisme non musulman a été adoptée en 2006. Elle prévoit de lourdes peines de prison et des amendes pécuniaires importantes aux contrevenants. Des sanctions sont également prévues contre ceux qui fabriquent, entreposent ou distribuent des documents visant à « ébranler » la foi musulmane.
Bien des Kabyles se considèrent comme descendants de tribus chrétiennes ou juives avant la conquête arabe. La présence chrétienne est marquée par des personnalités éminentes telles Saint Augustin, Saint Cyprien ou Tertullien. La présence de tribus juives est documentée par des historiens arabes : Al Adwani au XIIe siècle et Ibn Khaldoun au XIVe siècle.
Il existe une empathie des Amazighs pour les Juifs amazighs qui, pour la plupart, sont installés en Israël. Nombreux sont les Kabyles et l’Anavad qui ne se reconnaissent pas dans la propagande antiisraélienne du gouvernement algérien qui est aussi morbide qu’obsessive, et affirment ouvertement leur sympathie à son égard. À Montréal même, les leaders Kabyles participent régulièrement à la fête d’indépendance d’Israël.
L’Algérie en crise
L’Algérie connaît aujourd’hui des manifestations massives qui combattent le statu quo du régime et l’emprise de l’élite du parti FLN et des militaires sur la société et l’économie. Le vent de liberté souffle dans l’ensemble du pays et non plus que sur la Kabylie.
Néanmoins, la dimension kabyle est un des pôles importants de la problématique de l’Algérie actuelle. Ses ramifications dépassent la contestation anti gouvernementale et la perte de confiance envers la classe privilégiée du pouvoir.
Commentaires
Publier un nouveau commentaire