La fin de l’âge d’or du judaïsme espagnol
Fondée sous l’empire romain et probablement abandonnée lors de l’invasion arabe au 8ème siècle, Ségovie, située à une trentaine de minutes de Madrid et symbolisée par son impressionnant aqueduc romain, devient dès le 12ème siècle une plaque tournante pour le commerce de la laine et du textile.
Place forte pourvue de murailles et d’un imposant alcazar, la cité connaîtra son âge d’or culturel et commercial à la fin du Moyen Âge, période à laquelle Isabelle de Castille y est proclamée reine, en décembre 1474.
Avec une présence juive remontant au début au 11ème siècle, Ségovie deviendra, avec sa voisine Tolède, un « Eden » pour les Juifs d’Espagne. Comptant jadis pas moins de cinq synagogues, deux écoles religieuses et deux boucheries, la Juderia de Ségovie, ceinturée de portes dont deux persistent encore aujourd’hui — la porte San Andrés et le Postigo del Sol, menant à la nécropole juive —, propose elle aussi de très nombreuses traces de présence juive.
Si à Tolède, Séville ou Madrid, les violences anti-juives de la fin du 14ème siècle ont été importantes et violentes, Ségovie sera relativement préservée. Mais en 1412, Juifs et Musulmans de la ville se voient contraints de se regrouper autour de « zones fermées », délimitées par des murs. S’il ne fut pas, dans les faits, réellement appliqué, ce décret marquait cependant le début d’une nouvelle ère.
La Juderia de Ségovie, ou « aljama », était établie dans la partie sud-ouest de la vieille ville, entre la cathédrale et la muraille sud. Mais en raison du durcissement instauré par les Rois Catholiques, accompagné d’une inévitable hausse de la démographie, la Juderia dut être largement agrandie en 1481 pour finalement s’étendre de l’ancien abattoir de la ville jusqu’à la Plaza del Corpus, point de départ de la visite où se trouve l’ancienne synagogue Majeure de la ville.
La synagoga Mayor, jadis centre religieux de la communauté juive et aujourd’hui « église Corpus Christi », propriété des soeurs Clarisses, a sans doute été construite à l’emplacement d’une ancienne mosquée dans la seconde moitié du 14ème siècle, puis transformée en couvent en 1419. Composée de trois nefs séparées par des arcades en forme de fer à cheval supportées par des colonnes aux chapiteaux à motifs végétaux — on retrouve ici encore le style Mudejar de Santa Maria la Blanca —, elle fut quasiment détruite au cours d’un violent incendie en 1899.
Magnifiquement restaurée, elle marque le point d’entrée de la Juderia, plaza del Corpus. Il suffit ensuite de suivre la calle Juderia Vieja, à l’arrière de la Catedral de la Asunción de la Virgen al Cielo y San Frutos pour découvrir l’antique quartier Juif.
Entre la synagogue Corpus Christi et l’ancienne demeure d’Abraham Senior, qui abrite aujourd’hui un couvent franciscain, la calle del Sol mène le visiteur à la Puerta del Sol, l’une des deux portes antiques qui fermaient la Juderia.
Avec la transformation en couvent de la synagogue Majeure de la plaza del Corpus en 1419, les Juifs de Ségovie font de la synagogue de Los Ibanez, calle San Geroteo, le nouveau centre religieux de la ville. Après leur expulsion d’Espagne, le bâtiment devient, à partir de 1507, la résidence de la famille de Bartolomé Ibanez, qui l’occupera jusqu’au 19ème siècle. Au début des années 1980, dans le cadre de travaux de restauration, les soeurs Jésuites y exhumeront un mikvé, preuve de l’importance que cette synagogue devait avoir à l’époque.
Plus loin, un peu avant la plaza de la Merced, où se trouvait la synagogue Vieja, une des deux écoles religieuses ainsi qu’une boucherie, la calle la Juderia Nueva mène vers la Casa del Sol, anciens abattoirs Juifs aujourd’hui reconvertis en Musée de la Ville de Ségovie, et vers la porte Saint Andrés donnant accès, au-delà des murailles, au cimetière juif. Installé en plein coeur de la pinède, cette nécropole originale présente deux sortes de sépultures, l’une utilisant les cavités calcaires existantes dans lesquelles ont été aménagées des tombes, et une seconde dite « anthropomorphe », caractérisée par une tombe évoquant le corps du défunt.
5/5. Salamanque, l’universitaire aux deux cathédrales
Au début du 12ème siècle, alors que l’empereur Alphonse Ier de León poursuit la Reconquista et reprend Salamanque aux Almoravides, des immigrants issus de diverses communautés — mozarabes, cantabres, castillans et juifs — arrivent dans la cité nouvellement reconquise afin de s’y installer.
Et les premières traces de présence juive confirment cette date, puisque l’on peut attester que les Juifs de la ville contribuent financièrement aux guerres menées par le roi Ferdinand II dans la reconquista des territoires du Sud, Cordoue et Grenade entre autre.
En guise de reconnaissance pour leur soutien financier — il est important de préciser que, jusqu’aux violentes émeutes de 1391, les Juifs resteront les principaux contributeurs financiers des différents monarques —, ils obtiennent les mêmes droits que les chrétiens.Si elle n’était pas de taille comparable à celles de ses voisines Tolède ou Ségovie, la Juderia de Salamanque — nommée « Aljama » en raison de l’existence de la figure légale du rabbin —, implantée entre l’actuelle cathédrale et l’Alcazar, comptait un midrash, une yeshiva, une boucherie, de nombreux commerces, un cimetière juif, proche de l’Arrabal del Puente, ainsi que trois synagogues, dont il ne reste aujourd’hui plus de traces.
La première d’entre elles, la synagogue Mineure, se situait dans l’actuelle Postigo, aujourd’hui occupée par la Faculté de Mathématiques ; la synagogue Nouvelle se trouvait quant à elle non loin du parc de la Merced ; et enfin la Vieille Synagogue, aux alentours de l’église de San Millán.
Lors d’un synode en 1382, il fut décidé, de manière unilatérale et sans aucune communication préalable de supprimer certains des édifices religieux de la communauté juive de la ville. C’est donc sous les bons auspices de l’évêque dominicain Juan de Castellanos que la Vieille synagogue de Salamanque fut dévolue au culte chrétien.
Comme partout en Espagne, en 1391 Salamanque sera en proie à de violentes émeutes antisémites. Si nombre de communauté du pays vont disparaître à cette époque, celle de Salamanque, à l’instar d’autres grandes cités, va persister pendant un siècle encore, mais dans des conditions de plus en plus difficiles : des familles vont être persécutés, expulsés, et leurs maisons et commerces saisis au profit de l’université, qui récupérera ces terrains pour son expansion.
Un comble lorsque l’on sait que les Juifs de Salamanque, réputés pour leur savoir-faire quant aux métiers du livre et du parchemin, étaient les principaux fournisseurs des différentes facultés de la ville.
Après leur expulsion en 1492, la Aljama de Salamanque, dont le centre névralgique s’articulait autour de la Rua Nueva — actuelle calle Libreros — sera abandonnée et totalement détruite avant que ses terrains ne soient officiellement donnés à l’université par Jean II, le 30 mars 1413.
Les universités de Salamanque — l’université pontificale, université privée de l’église catholique créée en 1134, et l’université publique créée en 1218 par Alphonse IX de León, la plus ancienne d’Espagne et l’une des plus anciennes du monde —, contribueront très largement au prestige et à la renommée internationale de la ville.
Visités à de nombreuses reprises par les Rois Catholiques, elles verront passer sur leurs bancs des noms illustres : le conquistador Hernan Cortès, qui s’empara de l’empire Aztèque, Beatriz Galindo, dite « La latina », première femme à être entrée dans le monde universitaire, ou encore l’astronome et mathématicien Abraham Zacuto, qui y fut également enseignant. Ce dernier occupera un rôle essentiel dans les préparatifs de l’expédition de Christophe Colomb, qui saisira par ailleurs l’université pour discuter de ce projet.
En 1492, Abraham Zacuto trouvera refuge au Portugal voisin, où il deviendra astronome royal du souverain Jean II.
Salamanque et la renommée de ses universités atteindront leur apogée le siècle suivant, sous l’impulsion des Rois Catholiques et du cardinal Cisneros, qui feront également construire de nombreuses écoles et séminaires dans la ville.
La ville est inscrite au Patrimoine Mondial de l’Humanité depuis 1988.
Si vous désirez aller plus loin :
L’Inquisition, de Didier le Fur, aux éditions Livre de Poche. 192 pages.
Histoires de l’Inquisition, de Rémy Bijaoui, aux éditions Glyhes. 230 pages.
Les Juifs du roi d’Espagne. Oran 1509-1669, éditions Hachette. 240 pages.
Passeurs d’Orient : Les Juifs dans l’orientalisme, éditions de l’Eclat. 220 pages.
Les Juifs dans l’Espagne chrétienne avant 1492, éditions Albin Michel. 137 pages.
Juda Halévi, d’Espagne à Jérusalem, éditions Albin Michel. 172 pages. 8,90€.
Les rois catholiques, ou L’Espagne sous Ferdinand et Isabelle (1474-1515), éditions Hachette BNF. 174 pages.
L’élixir de l’immortalité, de Gabi Gleichmann, aux éditions Grasset. 550 pages.
Et pour la jeunesse :
La véritable histoire vraie. Torquemada, de Bernard Swysen et Marco Paulo, aux éditions Dupuis. 64 pages.
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