La Passion de La Rochelle et ses Juifs
On ne se méfie jamais assez des Cohen
Si vous voulez savoir d’où vient la crise économique actuelle, vous devez connaître la pièce de théâtre intitulée « Le rôle de vos enfants dans la reprise économique mondiale ». Le responsable de tous nos malheurs n’est autre que la multinationale « Goldberg and Co ». Les Goldberg sont « juifs et riches », obsédés par l’argent, ils investissent sur des nouveau-nés censés rapporter gros une fois devenus adultes. On trouve aussi dans cette pièce deux Juifs, « Cohen 1 » et « Cohen 2 », des « rabbins » déguisés, chasseurs de nazis débiles et méchants, qui soldent tous leurs comptes avec le passé dès qu’on leur remet une liasse de billets et pour qui avoir été nazi devient simplement « un petit défaut ».
De l’humour, du second degré, vous dit-on, dont les Juifs font encore les frais. Les Juifs sont « riches » (mais il est interdit de le dire), exploiteurs, malhonnêtes, menteurs… Du vrai Dieudonné, y compris dans le costume « hassidique » des Cohen. Le plus curieux, c’est que cette pièce qui rassemble tous les poncifs a été représentée début avril, non pas à Téhéran sous les auspices d’Ahmadinejad, mais à La Rochelle au cours de la semaine du théâtre étudiant. Elle a été écrite et jouée par des étudiants de l’Université de la Rochelle, qui ont « bénéficié » de l’encadrement d’Eric Noël, un jeune écrivain québécois, et de Claudie-Catherine Landy, la directrice du théâtre « Toujours à l’horizon », pour la mise en scène.
Cette pièce de théâtre rappelle étrangement les Passions, ces farces jouées lors des Pâques pour commémorer le martyre de Jésus. À l’occasion de ces représentations, devant un public composé d’enfants et de parents, les Juifs, qui tenaient le rôle des méchants, des assassins, étaient sujets à des moqueries féroces. L’une des Passions les plus célèbres était jouée chaque année à Oberammergau, une petite ville de Bavière. Pure coïncidence, Oberammergau fut également un bastion du parti nazi dans la région. Cherchez l’erreur.
Outre l’antisémitisme viscéral de la population allemande dans cette région catholique, ces festivités étaient d’un bon profit pour les commerçants. Mais cet enrichissement était fondé sur la stigmatisation d’une partie de la population. Cette haine a formé le terreau de la mort et de la destruction qui se sont abattues sur l’Europe.
C’est cet enracinement de l’antisémitisme en terre chrétienne que résolut d’extirper Jules Isaac, le rédacteur des fameux manuels d’histoire « Malet-Isaac ». Meurtri dans sa chair par la Shoah, il consacra les quinze dernières années de sa vie à dénoncer l’attitude de l’Eglise, qui accusait les Juifs de déicide. Fondateur de l’Amitié Judéo-Chrétienne, il remit notamment au pape Jean XXIII un mémoire où il préconisait un certain nombre de réformes pour expurger l’enseignement catholique de ses références antijuives. Jules Isaac appelait cela« l’enseignement du mépris ».
Il fallut attendre la déclaration conciliaire de Vatican II, en 1965, pour que les Juifs ne portent plus, aux yeux de l’Eglise, la responsabilité de la mort de Jésus. Dès lors, ces Passions haineuses cessèrent.
Cinquante ans plus tard, à La Rochelle, c’est une nouvelle farce nauséabonde qui a été jouée. Finis les Juifs déicides qui ont assassiné Jésus, voici venus ceux de la finance internationale qui saignent l’humanité par cupidité, une génération après l’autre. Ce n’est plus désormais la « tradition » que l’on met en avant comme pour la représentation des Passions, mais la sacro-sainte « liberté d’expression », voire la « liberté artistique ». Vive le XXIe siècle.
Alertés, nous avons pris contact avec Michel Goldberg, enseignant-chercheur à l’Université de La Rochelle, dont le témoignage est accablant : « Plusieurs spectateurs de la pièce m’ont fait part de leur grand malaise devant les caricatures des Juifs qui parsèment toute la pièce […]. La pièce laisse entendre une vieille rengaine selon laquelle il existerait une sorte de chape de plomb de la censure à l’encontre de ceux qui parlent de l’argent des Juifs. » Mais le président de l’université, Gérard Blanchard, qui a la réputation d’un honnête homme, soutient qu’il faut voir la pièce « au second degré ». A ses yeux, cette équipe d’humoristes en herbe a bénéficié d’un encadrement « dont le professionnalisme ne souffre, lui, pas de discussion ».
Nous sommes pourtant en présence d’un texte qui rassemble tous les stéréotypes: la finance folle, l’appât du gain, la mafia, le Shoah business, etc. D’où viennent donc ces clichés? De l’air du temps ? À en croire la présidence de l’université, les étudiants ne sont pas antisémites, et c’est tant mieux. Mais d’où vient que ce sont les Cohen et les Goldberg que l’on campe pour représenter la grosse finance ? Ceux qui ont mission d’enseignement ne devraient-ils pas s’interroger ? Et rectifier le tir ?
Or, selon la présidence, la seule « question qui se pose [pour les étudiants] est celle de leur protection ». Mais les protéger de quoi ? De qui ? Des Juifs ? La seule question qui se pose vraiment à l’université en l’occurrence, en dehors du talent d’écriture de ces jeunes, n’est-ce pas celle de leur éducation morale et civique, et du respect mutuel ?
Avec de telles œillères, il est à craindre que ce théâtre du mépris n’ait de beaux jours devant lui – un mépris qui se mue régulièrement en haine. Il faut avoir conscience du pouvoir destructeur de la moquerie, que, par confort ou par ignorance, l’on confond trop volontiers avec l’humour. Le cas de Mohammed Merah à Toulouse il y a un an et les assassinats de Boston par les frères Tsarnaïev prouvent la virulence de la haine qui baigne la société. La liste ne cesse de s’allonger. Et juives ou non, les victimes s’accumulent.
*Photo: campus de la Rochelle.
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