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La preuve par Baker - Par Maître Mario Stasi

La preuve par Baker Par Maître Mario Stasi Président de la LICRA

Le 28 décembre 1953, dans la salle comble de la Mutualité, à Paris, Joséphine Baker prononçait sous l’égide de la Lica (future Licra) un long discours où elle expliquait pourquoi elle luttait contre le racisme. La déléguée internationale à la propagande de l’association – c’était son titre – rendait compte de la situation du racisme dans différents pays, et notamment aux États-Unis. En ces circonstances, la foule parisienne mesurait dans la gravité des paroles de son artiste chérie l’horreur concrète de la ségrégation. Au terme de la soirée, le public avait sans conteste saisi les motivations de celle qui affirmait vouloir combattre la « discrimination raciale, religieuse et sociale partout où [elle] la trouv[ait] ». Le caractère haïssable du racisme avait été rappelé, le message de l’antiracisme était passé. L’hebdomadaire Rivarol, fondé deux ans auparavant pour faire entendre la voix d’une extrême droite en voie de recomposition, commentait au sujet de « la négresse de la saison » : « Quand on a bâti une carrière et une fortune sur la couleur de sa peau et sur le galbe très particulier de la race noire, n’a-t-on pas mauvaise grâce à se plaindre de la “discrimination raciale” ? »

Le camp des vaincus exprimait avec sa bassesse coutumière son racisme ordinaire. La sincérité et l’engagement intégral de la résistante au cours de ces années, qui allait conduire l’oratrice à s’exprimer le 28 août 1963 à Washington, sous son uniforme de la France libre et aux côtés de Martin Luther King, écraseraient d’un suprême mépris l’injure et la calomnie.

La nation reconnaissante

Le 30 novembre 2021, cette « grande femme », artiste accomplie, résistante, patriote ardente, est entrée au Panthéon. La Licra en défendait le projet depuis quatre ans. La cérémonie a montré que la geste républicaine n’avait rien perdu de son éclat ni de son pouvoir d’édification. La force de l’hommage national est venu rappeler que notre pays, si souvent pris en flagrant délit de désunion, de division, est capable de se retrouver dans un narratif national commun, qui met à l’honneur des valeurs à la fois simples et essentielles. Nos valeurs.

La nation a donc exprimé sa reconnaissance à la militante qui, lors du 30e anniversaire de notre organisation, le 12 mai 1957, n’avait pas oublié de « supplier » ses amis de la Lica en ces termes : « Ne laissez pas penser aux gens de couleur qu’ils ont eu tort de croire en vous, qu’ils ont eu tort d’avoir confiance en vous. Ce serait tragique. » Les « gens de couleur » étaient alors de plus en plus nombreux en métropole.

Certains avaient à subir les attitudes et comportements discriminatoires des lecteurs de Rivarol et, plus généralement, de ceux pour qui la dignité ne revêt pas une dimension universelle. Cette panthéonisation nous rappelle au pacte républicain. L’écho de la supplique de Joséphine, dans une France coloniale qu’elle savait en proie au racisme, ne doit cesser de se mêler aux accents de cette Marseillaise, qui a résonné pour elle sous le dôme de la nécropole. Il doit retentir dans nos consciences.

L’égalité, la lutte contre les discriminations sont des urgences dans une France balayée par des vents mauvais. Pour cela, la République n’est pas désarmée. Des outils juridiques, des politiques publiques existent. Un sondage récemment paru sur leddv.fr a montré l’attachement d’une immense majorité de Françaises et de Français aux lois qui sanctionnent le racisme.

La fraternité à portée de main

La lutte contre la discrimination « raciale », cet autre étage de la fusée antiraciste, à laquelle ce numéro est consacré, constitue un chantier dont notre association entend s’emparer avec une vigueur et un pragmatisme accrus.
Nous le devons à Joséphine, à son idéal universaliste qu’il nous arrive malheureusement d’entendre aujourd’hui attaqué, au prétexte qu’il serait une abstraction, un leurre, une illusion… Nous entendons combattre pour l’égalité réelle et la dignité de chacun, qui sont piétinées lorsque certains subissent l’agression du traitement inégal, comme le soulignent les contributions de ce dossier.

Alors qu’un candidat à l’élection présidentielle affirme vouloir abroger les lois antiracistes, pour que Rivarol, publication qui continue de bénéficier d’aides publiques – scandale que nous combattons –, puisse continuer de déverser sa haine sur une partie de nos concitoyens, nous affirmons au contraire que nous avons besoin de plus de volontarisme d’État en la matière. Joséphine Baker vilipendait la discrimination.

La France généreuse qui l’applaudissait hier tend la main à une France qui aspire aujourd’hui à renouer avec la République une et indivisible. En cette période troublée, sachons lire dans le passé la promesse d’une plus grande fraternité. Loin du mirage d’un âge d’or qui n’a jamais été, elle est à portée de main, dès lors que l’on se donne les moyens et l’ambition d’y croire.

Mario Stasi

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